Une article bien branché sur notre actualité
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Une société dans laquelle l’autonomie personnelle, qui devrait en soi reposer sur l’usage de la raison, l’honnêteté et l’exercice de la vertu de prudence, est réduite à l’illusion de la liberté plonge aisément dans le désarroi dès lors que ceux qui la composent sont sommés de juger et de définir une conduite pratique. D’une certaine manière, l’homme-masse a le choix entre le malaise qui naît de l’impossibilité de trancher et la soumission. En ce sens on peut comprendre qu’il éprouve un besoin de peur.
Une comparaison – lointaine – peut être suggérée avec la situation qui a donné naissance à la « pastorale de la peur », telle que l’avait analysée, non sans apriorismes, Jean Delumeau, en référence à une prédication insistant sur les fins dernières, cela au cours des périodes critiques de la fin du moyen âge et jusqu’à celles du XVIIIe siècle. Guillaume Cuchet, sociologue de la religion qui a consacré un travail à ce sujet, donne le commentaire suivant :
« Dans ce contexte général très sombre, sans même parler des conditions ordinaires de la vie quotidienne et notamment de la mortalité, la “pastorale de la peur” était à la fois ambiante et utile paradoxalement, parce qu’elle substituait à une angoisse diffuse, résultat de stress accumulés, une série de peurs théologiques bien définies, segmentées et face auxquelles on pouvait agir. Contre la peur de la mort, on ne pouvait pas grand-chose, mais contre le diable, le péché, l’enfer, avec l’aide de l’Église, on n’était pas impuissant. De ce point de vue, la “pastorale de la peur” se présentait comme une “médication héroïque” […] là où autrement il n’y avait que le vide, les esprits errants et la mort. »
Sans discuter le fond historique du jugement ainsi porté, mais en considérant seulement l’analogie des attitudes psychologiques observées, la « peur de la liberté » (c’est-à-dire, pour Erich Fromm, auteur de la formule, la peur de la responsabilité) et la peur irrationnelle que l’on constate aujourd’hui de par le monde se rejoignent, alors même que la doxa prétend les esprits plus que jamais libérés des contraintes attribuées à la morale chrétienne.
Article complet :
https://www.catholica.presse.fr/2021/04 ... e-la-peur/
Le rapprochement avec la pastorale de la peur est intéressant.On doit également noter dans la culture contemporaine l’existence de certaines impasses spécifiques. Giulio Meiattini, moine bénédictin et théologien italien, a eu l’occasion d’en relever au moment où le premier confinement avait à peine commencé, dans un texte intitulé « La peur qui tue et le courage qui manque». Il y faisait ressortir que si l’impréparation politique à la survenue d’un virus ravageur avait été patente, l’impréparation morale l’avait été plus encore.
Parmi les raisons immédiates, la société occidentale et occidentalisée a été frappée par une inversion des valeurs entre corps et âme, au bénéfice exclusif du premier. La constitution de l’OMS pose ainsi que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Et au fil des années, ce principe est devenu un impératif, le but de la vie sur cette terre se réduisant à la possession d’un corps idéal toujours plus recherché. Il faudrait relire ici l’ouvrage très significatif, et critique de cette promotion disproportionnée du corps, de Lucien Sfez, La santé parfaite. Narcissisme de masse ?
Peut-être, mais bien plus encore, perte de toute aspiration collective supérieure, vide de toute perspective future. Quelle cause mérite-t-elle encore que l’on donne sa vie pour elle ? Que pense-t-on du sacrifice des martyrs ? Ce sont là des questions devenues inaccessibles à la majeure partie des masses actuelles et objet des ricanements des doctes. « Cela signifie que nous n’avons plus d’avenir – la gloire immortelle avec la postérité ou l’unité de la patrie ou une société d’égaux, le progrès, le ciel et la vie éternelle.
Notre culture n’a que le présent, ce qui apparaît maintenant, l’éphémère. Et nous voulons désespérément la préserver, car il n’y a pas d’alternatives ou d’issue de sécurité possible. » Dom Meiattini note encore que l’espérance cultivée aujourd’hui est celle d’une surhumanité située quelque part entre l’animal et la machine : « Un être humain, d’une part, qui régresse au niveau d’une instinctivité débridée, satisfaisant tous ses besoins sans scrupules (émotivité instantanée) et, d’autre part, un homme technologiquement transplanté, équipé de prothèses et d’applications sophistiquées qui le rapprochent d’un assemblage mécanique. »
Le théologien constatait, au moment où la discipline imposée impliquait la fermeture des églises, avec l’acquiescement des épiscopats : « Mais le plus triste et le plus inquiétant pour l’avenir de l’humanité est que l’Église elle-même (ou plutôt les hommes d’Église) ont oublié que la grâce de Dieu vaut plus que la vie présente. C’est pourquoi les églises sont fermées et alignées sur des critères de santé et d’hygiène. L’Église s’est transformée en une agence de santé au lieu d’être un lieu de salut. »