Un petit détour par des éléments historiques pour mieux comprendre la nature des relations entre l'Église et l'État, le laïcisme, le régime républicain en France, etc. C'est un ouvrage de Jean Sévillia qui sert de fil conducteur ici. Quand les catholiques étaient hors la loi.
Donc, pour les progrès de l'Église ...
Au XIXe siècle, un spectaculaire renouveau catholique
La Révolution de 1789 avait laissé l'Église dans un état dramatique. Sous le Premier Empire, de nombreuses paroisses étaient vacantes, leurs églises réduites à des bâtiments nus, sans ornements ni mobilier. Le clergé, décimé et vieilli, s'éteignait peu à peu. Sous la Restauration, la population qui accédait à l'âge adulte n'avait pas reçu d'éducation religieuse. En 1826., le nonce dressait ce constat : «Plus de la moitié de la nation est dans une ignorance complète des devoirs chrétiens et est plongée dans l'indifférence. A Paris, un huitième à peine de la population est pratiquante, et l'on peut se demander s'il y a dans la capitale 10 000 hommes qui pratiquent.»
Cinquante années ont suffit a redressé la situation. Dans un pays amputé de l'Alsace et de la Moselle, le recensement de 1872 - le dernier ou chaque citoyen doit déclarer son affiliation religieuse - indique que, sur 36 millions de Français, 35.4 millions se déclarent catholiques, soit 95, 5 % de la population !
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Grâce à la protection que lui assure le Concordat, le clergé, au rythme moyen de 1300 ordinations par an, reconstitue ses effectifs : 36 000 prêtres en 1814, 56 000 en 1870. Sans doute, dans les diocèses pauvres, la perpsective de promotion sociale encourage-t-elle les vocations. Cependant, ce n'est pas la raison principale : le XIXe siècle est aussi une époque de foi populaire. Pour le recrutement ecclésiastique, la paysannerie ou les familles humbles, rurales ou citadines, constituent un réservoir inépuisable. Tous ces prêtres sont pauvres et vertueux. «J'ai passé treize ans de ma vie entre les mains des prêtres, et je n'ai jamais vu l'ombre d'un scandale » : c'est l'anticlérical Renan qui se le rappellera.
En 1878, la France compte 30 000 religieux et 130 000 religieuses. Selon l'expression de Christian Sorrel, c'est le temps des Congrégations. Soixante ans plus tôt, en 1816, ne subsistaient que quelques centaines de Frères des écoles chrétiennes et 12 000 religieuses. Pour le clergé régulier, lui aussi décimé par la Révolution main non concerné par le Concordat, le redressement est spectaculaire.
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Deux lois adoptées sous la Restauration on favorisé une rapide croissance des ordres religieux. En 1817, l'autorisation des congrégations a été soumise à un vote du parlement, et elles ont reçu la faculté de bénéficier de dons et de legs. En 1825, les congrégations féminines ont acquis l'avantage d'être dispensées de l'autorisation législative, une simple autorisation administrative suffisant à leur existence.
C'est un extraordinaire réveil religieux qui pousse à la renaissance d'ordres engloutis par la Révolution ou à la fondation de nouvelles communautés. Jésuites (1814), chartreux (1816, capucins (1820), carmes (1830), bénédictins (1837), dominicains(1839) ou oratoriens (1852) sont reconstitués. Mais les créations se multiplient : Dames du Sacré Coeur dès 1800, Oblats de Marie Immaculée et maristes en 1816, marianistes et Frères de l'instruction chrétienne en 1817, Religieuses de l'Assomption en 1839, Petites Soeurs des pauvres et Religieuses de la Sainte-Croix en 1840, Soeurs de Notre-Dame de Sion en 1842, assomptionnistes en 1845, salésiens de saint Jean Bosco, Religieuses de Marie Réparatrice et Auxiliaires des Ames du Purgatoire en 1856.
Sous Napoléon III, les congrégations jouissent de la protection de l'administration impériale. Les chiffres parlent. En 1851, on compte 3000 religieux; en 1861, ils sont 18 000. Quant aux religieuses, entre 1851 et 1861, elles passent de 34 000 à 89 000 . En 1877, elles sont plus nombreuses qu'elles ne l'étaient en 1789. Il ressort d'une enquête menée en 1861 par le ministère des Cultes que, sur le sol français, les congrégations possèdent 14 000 établissements, que ce soient des monastères, des écoles ou des hospices. 72% des religieux et 65% des religieuses se consacrent à l'enseignement, 25% des religieuses aux activités hospitalières.
Mais les chiffres ne sont que des chiffres : derrière eux, il y a des centaines et des centaines de milliers d'enfants, de malades ou d'indigents à qui l'Église prodiguent son savoir-faire. Dans les campagnes, les «bonnes soeurs», institutrices ou infirmières, assurent une fonction qu'aucun service de l'État ne remplit. A une époque ou le Code civil maintient les femmes dans un statut inférieur, la condition de religieuse, comme l'a montré Claude Langlois, permet à beaucoup d'entre elles d'accéder à d'authentiques responsabilités impossibles dans la société civile. De 1852 à 1901, 43 des 73 femmes décorées de la Légion d'honneur sont des religieuses. Ajoutons que, dans des secteurs comme l'aide aux handicapés, aux aliénés, aux orphelins, aux vieillards sans ressources, aux prisonniers ou aux prostituées, les oeuvres fondées et entretenues par l'Église jouent un rôle pionnier.
Hors du territoire national, les congrégations exercent également un rôle considérable, les religieux français exerçant leur apostolat sur les cinq continents. Commencé vers 1830, le mouvement missionnaire, d'abord dirigé vers l'Amérique et l'Asie, se développe en Afrique, à partir de 1860, avec l'expansion coloniale. En 1856 sont fondées les Missions africaines de Lyon, en 1868 les Pères blancs. En 1875, sur les 6 100 missionnaires catholiques répandus à travers le monde, 4500 sont des Français : en même temps que la foi catholique, c'est la culture et la langue de leur pays qu'ils propagent.
Le cléricalisme nourrit l'anticléricalisme
En 1878, prêtres, religieux ou religieuses, le clergé français représente 216 000 personnes dont la visibilité saute aux yeux : tous portent l'habit ecclésiastique. Ils appartiennent à une religion pratiquée dans le moindre village de France et qui, de processions en pèlerinages, n'hésitent pas à se montrer. Ils assurent enfin une mission qui, de l'école à l'hôpital, se traduit par une présence massive dans la société. Cette Église florissante va déchaîner une réaction en retour. Un catholicisme puissant, un anticléricalisme croissant : tout est en place pour la guerre des deux France.
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