La critique de Jean Madiran

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Cinci
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La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » dim. 23 mai 2021, 21:27

Bonjour,

Je voudrais mettre ici la post-face de 1987 que Madiran lui-même aura ajouté à une nouvelle édition de son volume écrit en 1968, L'Hérésie du XXe siècle. Parce qu'il se trouve à y exprimer sa pensée au sujet de l'évolution de l'Église au XXe siècle et jusqu'à aujourd'hui. On pourrait y voir une sorte de «massacre à la tronçonneuse». Il n'y va pas de main morte avec les évêques. Ce que je trouve intéressant pour ma part, lisant ses critiques, je croirais trouvé un compte-rendu fidèle des actualités de l'Église de l'an 2000.

Il écrit:
«La désorientation générale que l'on constate aujourd'hui parmi les hommes d'Église n'est pas un phénomène récent - et donc n'est pas non plus un phénomène passager. Les idées qui agitent présentement les hommes de vingt à quarante ans sont celles qui étaient agitées au moment de leur naissance, et même avant. Le débat est le même. Ou plutôt l'absence de débat : il s'est produit dans l'Église une rupture doctrinale avec la doctrine de l'Église, et cette rupture doctrinale demeure sans motivation doctrinale proportionnée et officiellement énoncée. Elle allègue des motifs puérils, débiles, sentimentaux, démocratiques, humanistes, elle ne déclare aucun motif catholique, elle esquive le débat en doctrine. Elle joue au contraire sur l'atrophie doctrinale qu'elle favorise dans les nouvelles générations. Pauvres générations nouvelles. On se moque d'elles.

On leur propose comme idées nouvelles celles qui saccagent l'identité catholique depuis plus de quarante ans, et c'est trop peu dire : les idées nouvelles de la religion d'aujourd'hui ce sont celles que l'on trouve recensées comme idées fausses au siècle dernier, par le syllabus de 1864. Il y a certes des idées qui changent véritablement, mais c'est dans le domaine des sciences physico-mathématiques et de leurs applications techniques. Elles ne changent pas beaucoup, elles ne changent qu'en apparence dans les domaines de la pensée religieuse, philosophique, morale.

C'est Newman qui disait de son côté, je le cite de mémoire, mais je voudrais bien que quelqu'un me retrouve ou donc il le disait : - le temps viendra ou l'on tiendra le christianisme pour réfuté. Il n'aura pas été réfuté, mais on répandra partout la conviction qu'il est réfuté définitivement, que c'est un fait acquis et qu'il n'y a plus à y revenir.

Ce temps qu'annonçait Newman, le voici, nous y sommes depuis vingt ou quarante ans.

Ce sont les docteurs catholiques eux aussi qui ont désormais la conviction que le christianisme tel qu'il était pensé et vécu a été réfuté. Ils se lancent dans un christianisme nouveau, d'une nouveauté qui a déjà un siècle ou deux, mais enfin un christianisme différent du christianisme ancien, un christianisme de droits de l'homme et de démocratie, de pluralisme et de construction d'un monde, parce que le christianisme ancien leur paraît dépassé. Ils ne croient plus à la virginité perpétuelle de Marie, ils ne croient plus à l'ascension du Seigneur, ils ne croient plus que les évangiles nous rapportent historiquement la vie et les paroles de Jésus, ils ne croient plus à la résurrection des corps [...] ils ne croient plus que le sacrifice de la messe est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Calvaire, ils ne croient plus que Jésus est présent en corps et en âme et en divinité dans l'hostie consacrée, et ne le croyant plus, ils ne le professent désormais que du bout des lèvres ou pas du tout. Et quelques fois ils s'imaginent le croire encore, mais c'est d'une foi trop faible pour apercevoir que ces croyances sont dévastées par les docteurs, prédicateurs, professeurs, communicateurs qu'ils cautionnent, qu'ils couvrent et qu'ils défendent.

La «modernité» qu'a épousée l'épiscopat est essentiellement une négation de la loi (morale) naturelle en tant que certaine, objective, universelle, immuable. Mais s'il n'y a plus de loi naturelle, il n'y a plus de misère humaine qui ait un sens et qui soit guérissable par un salut venu d'en haut; il n'y a plus de religion; il n'y a plus que la religion de l'homme, chantée dans le vocabulaire d'un évangélisme devenue mythologie. Le rejet de la loi naturelle est le principe d'une apostasie sans doute immanente, mais finalement totale.
[ Pensez à ça : écrit en 1987 mais relu à la lumière de ce qui passe en Allemagne ou à la lumière de déclarations comme celles du nouveau président de l'Institute théologique pontificale Jean-Paul II qui donne raison aux dissident contre la CDF]

Toute mutation religieuse a des conséquences politiques. L'apparition du christianisme dans le monde en a eu, et pour longtemps. L'arianisme, l'islamisme, le protestantisme en ont eu et en ont. Le déchristianisation moderne en a.

Avec les progrès récents de l'ignorance religieuse et de l'obscurantisme spirituel, la défaillance globale de l'épiscopat n'est en général perçue du peuple chrétien que lorsqu'on en vient très concrètement au faire et au prendre. L'anomalie d'une Église ou les évêques ont interdit tous les catéchismes catholiques préexistants, y compris celui du concile de Trente, y compris celui de saint Pie X, est la cause d'une grande méfiance envers la hiérarchie. Mais on reste souvent très prudent, ou très timoré, par crainte de s'entendre comparer au Gros-Jean qui voulait en remontrer à son curé. Au contraire quand il s'agit de politique, le peuple chrétien sent, sait et dit que les évêques déraisonnent, et scandaleusement.

On peut remarquer que le gauchisme marxisant n'est pas une exclusivité de l'épiscopat français, mais une contagion idéologique largement répandue, aussi bien parmi les évêques brésiliens que chez les bureaucrates de la curie vaticane. De toute temps l'hérésie ne devient dangereuse que sous le masque catholique à l'intérieur de la hiérarchie. A la fin du règne de Léon XIII, la franc-maçonnerie, son anti-dogmatisme et son modernisme avaient pénétré dans l'Église [...] De même, le communisme n'a pas attendu la mort de Pie XII pour y pénétrer lui aussi.

Je dis bien le communisme. Sans doute les évêques ne font pas habituellement voter pour le parti communiste : mais ils ne le tiennent plus pour intrinsèquement pervers, ils ne le désignent plus comme le pire. La progression incessante de l'esclavagisme communiste, marchant ouvertement à la domination mondiale et courbant sous son emprise nation après nation, ils ne considèrent plus qu'elle constitue le plus grand danger temporel et spirituel de notre temps [...] Aujourd'hui, les évêques sont à gauche : mais point la gauche modérée, tout le monde le voit, le constate, le sait, ils sont en connivence avec la gauche sectaire, la gauche maçonnique, la gauche marxisante, la gauche immonde des Polac, des Jack Lang, des Harlem Désir, des coluchonneries, de Danièle et François Mitterand [...] L'implantation dans l'Église de l'hérésie du XXe siècle n'est ni superficielle ni passagère.
[Je lis ce mot de 1987 de Madiran, je croirais revoir le poing en l'air de l'évêque du Texas en solidarité avec "Black Lives Matter" de Soros à l'été 2020, suivi du coup de fil du pape [du pape !] à l'intéressé pour lui signifier son contentement le lendemain. Le groupe de gauchistes extrémistes fait profession de vouloir détruire définitivement la famille, en sus de militer pour l'homosexualisme, l'avortement, etc. ]
Cette hiérarchie, et pas suite le corps entier du clergé et du peuple, se trouvent collectivement en un état de non-résistance croissante au mal et à l'erreur. Non-résistance au communisme, c'en est la manifestation la plus visible et la plus immédiate, la plus concrètement dramatique. C'était déjà de «non-résistance au communisme» dont je parlais en 1955 dans Ils ne savent pas ce qu'ils font et dans Ils ne savent pas ce qu'ils disent. Une telle non-résistance, l'Église ne l'a pas inventée, elle l'a contractée au contact de l'intelligentsia et de la politique occidentales, qui n'avaient pas compris d'elles-mêmes ce que Soljénitsyne leur enseignait d'ailleurs en vain, à la fin des années 1960 et tout au long des années 1970. Le communisme est pire que tout, pire que le nazisme, pire que le racisme, il est le péril principal. En cela l'Église a subi la contagion de la modernité.

[...]

L'évêque de Metz vient de mourir. Il a été le porte-parole historique des formules qui définissent l'hérésie du XXe siècle. Il ne m'a jamais rien répondu. Il n'a jamais rien rétracté. Je lui souhaite d'avoir eu l'excuse absolutoire de l'ignorance invincible.

septembre 1987

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Re: La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » dim. 23 mai 2021, 22:22

Et que disait l'évêque de Metz en 1968 ? avec le commentaire critique de Madiran qui décode en retour ?


Récapitulons

1. La transformation du monde (mutation de civilisation) enseigne et impose un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ ( l' évêque de Metz; à l'occasion d'une des toutes premières assemblées plénières de la Conférence des évêques de France suivant le concile)

Madiran :

Cette proposition est le principe nécessaire et suffisant de la religion nouvelle. Il n'est pas explicitement énoncé dans le nouveau catéchisme national français, mais il est implicitement allégué dans plusieurs des explications que les auteurs ont données de leurs théories et de leurs méthodes (numéro 29 de la revue Catéchèse). Ce nouveau catéchisme est le fruit le plus important à ce jour d'un tel principe : qui a fait merveille aussi dans le domaine de la liturgie.


2. La transformation du monde nous révèle que la pensée de l'Église sur le dessein de Dieu était, avant la présente mutation, insuffisamment évangélique.


Madiran :

Cette seconde proposition est un corollaire ou une variante de la première. Elle y ajoute le terme «évangélique». De tout temps, mais surtout depuis le XVIe siècle, on a fait «appel de l'Église à l'Évangile» ; on a reproché à l'Église de s'être écarté de l'Évangile; on l'a exorté à redevenir évangélique.

Mais ces vues étaient fondées sur une lecture de l'Évangile, si inexacte que fût cette lecture, et non sur une lecture du monde. Maintenant c'est le monde, par sa "mutation de civilisation', qui nous apprend comment devenir «plus évangélique».


3. La foi écoute le monde

Madiran :

Les deux premières propositions ont en fait changé l'objet de la foi. La proposition 3 énonce dogmatiquement ce changement.

La foi chrétienne écoute Dieu parce que c'est Dieu : c'est ce que l'on appelle l'objet formel de la foi. La foi nouvelle écoute le monde parce que c'est le monde : l'objet formel a changé.

L'objet matériel de la foi chrétienne est ce que Dieu fait entendre dans sa révélation, et que l'Église codifie en "article de foi". L'objet matériel de la foi nouvelle est ce que le monde fait entendre, et qui est codifié dans les deux articles de la propositions 4


4. La socialisation n'est pas seulement un fait inéluctable de l'histoire du monde. Elle est une grâce.

Madiran :

L'objet matériel de la foi nouvelle est la socialisation :

a. - en tant qu'elle est tenue pour un fait inéluctable de l'histoire
b. - en tant qu'elle est tenue pour une grâce


5. Aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle.

Madiran :

Cette cinquième proposition a valeur justificative par rapport aux propositions 1 et 2 : la croyance qu'aucune époque autant que la nôtre n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle explique que l'Église reçoive de cette époque des «conceptions nouvelles» et «plus évangéliques» en ce qui concerne le dessein de Dieu et le salut apporté par Jésus-Christ.

Mais si l'on adopte les propositions 1,2, 3 et 5, le dessein de Dieu et le salut apporté par Jésus-Christ perdent toute réalité transcendante et même toute réalité propre. Ces expressions traditionnelles sont verbalement conservées : plus que transformées dans leur signification, elles sont annulées. Le monde, fût-il moderne, ne révèle et n'enseigne absolument rien sur le péché, la grâce, le salut. Quand l'objet formel de la foi est le monde, l'objet matériel de la foi n'a plus rien de surnaturel : c'est une idéologie ou un mythe imaginaires. La grâce nouvelle est explicitement ramenée au niveau d'un fait inéluctable de l'histoire.

6. Dans un monde tourné vers la prospective, l'espérance des chrétiens revêt sa pleine signification.

Madiran :

L'espérance des chrétiens n'avait jamais encore revêtu sa pleine signification au cours des dix-neuf siècles écoulés de la vie de l'Église. Pendant dix-neuf siècles la christianisme n'avait pas bien compris l'Évangile (proposition 5) ni pleinement saisi la signification de l'espérance (proposition 6) : mais nous accédons enfin aujourd'hui à cette compréhension supérieure ; nous y accédons «parce que le monde actuel est tourné vers la prospective» et «parce que nous recevons la grâce de la socialisation», par le sacrement d'un «fait inéluctable de l'histoire».

Que l'idée ait pu venir à quelqu'un de faire le moindre rapprochement entre la «prospective» contemporaine et l'espérance surnaturelle n'est pas plus aberrant que tout le reste, et dénote au même degré, mais de manière sans doute plus spectaculairement visible, quelle absence radicale de toute foi chrétienne est nécessairement inhérente à de telles conceptions.


p. 224

Jean, Madiran, L'Hérésie du XXe siècle, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1968, 320 p.

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Re: La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » mar. 08 juin 2021, 17:35

Je poursuis la lecture de Madiran.

Son ouvrage est absolument assassin pour l'épiscopat français en particulier; étant assuré que ce qu'il raconte chez ceux-là se retrouve également chez bien d'autres (Italie, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, etc.). L'ouvrage reste capital pour saisir l'enjeu de ce qui se passe dans l'Église catholique. En observant son analyse de 1968, il est proprement stupéfiant de constater à quel point aucune ligne de ce qu'il a pu écrire à l'époque ne se trouve à avoir vieillie au vu et au su de ce que nous pourrions tous voir, ressortant de déclarations ou de gestes du Vatican, de quantité d'évêques et même jusqu'au pape.

Celui qu'il appelle Mgr de Metz, c'est Paul-Joseph Schmitt (1911-1987) et qui fut évêque de Metz de 1958 à 1987. Cet évêque fut porté à la tête de la Conférence des évêques de France dès le lendemain du concile en 1966-1967.

C'est pourquoi Madiran le prend à témoin dans son ouvrage. Lui-même avait publiquement interpellé la totalité des évêques de France à l'époque et y compris l'évêque de Metz. Mais aucun ne se sera jamais donné la peine d'entrer en dialogue avec lui, ni n'auront accédé à l'une ou l'autre de ses requêtes. Des déclarations publiques de Mgr Scnmitt à Metz en 1967, Madiran dit qu'elles constituent à ce jour la meilleur profession de foi de ce qu'il appelle "la religion nouvelle de Saint-Avold"; un schisme en fait. Ici l'auteur n'emploie pas le mot «schisme» dans son livre. Mais en lisant on comprend bien qu'il ne saurait être question d'autre chose.

Mais je désir mettre quelques lignes pour que vous puissiez voir au moins de quoi il s'agit. Après, je devrais mettre des passages de son avant-propos qui constitue un survol historique, depuis le XIXe siècle, de ce que Madiran croit bien avoir été le fil rouge de toute l'affaire.

Extrait :
«... c'est à Saint-Avold que, pour la première fois à ma connaissance, au mois de septembre 1967, un évêque français parlant en qualité d'évêque et donnant officiellement à ses prêtres un enseignement magistral, a formulé comme évidentes et nécessaires les propositions dogmatiques de la nouvelle religion. C'est à Saint-Avold que, pour la première fois, en énonçant les principes de la religion nouvelle, un évêque français imposait à ses prêtres le devoir de s'y convertir. Le message de Saint-Avold est simultanément une révélation et un acte d'autorité. Il ordonne et définit. C'est l'évêque qui parle en évêque et il parle en toute clarté. Il édicte la formulation indépassable, et à cet égard définitive, de la religion séculière qui à l'intérieur de l'Église combat la religion chrétienne.

Ses deux propositions principales ont entièrement dévoilé le visage jusqu'alors plus ou moins masqué de la nouvelle religion :

1) La transformation du monde (mutation de civilisation) enseigne et impose un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ;

2) cette transformation nous révèle que la pensée de l'Église sur le dessein de Dieu était avant la présente mutation, insuffisamment évangélique.

Par ces deux affirmations. Mgr de Metz a énoncé les deux propositions nécessaires et suffisantes de la religion nouvelle. Luther avait affiché le 31 octobre 1517, sur la porte de la chapelle de Wittenberg, 95 propositions en trois cents lignes de texte latin. L'hérésie de Moselle, en septembre 1967, a résumé en dix lignes et deux propositions de langue française ce qui est l'hérésie même du XXe siècle.

[...]

Il fallait sans doute les charismes d'un évêque catholique, détournés de leur fonction mais toujours subsistants, pour arriver à énoncer l'anti-christianisme actuel dans sa formule la plus nette, la plus fondamentale, la plus universelle.

Saint-Avold (chef-lieu du canton du département de la Moselle, à 18 km de Forbach) est une corruption de saint Nabor : celui dont on fait mémoire le 12 juin et le 12 juillet. Soldat romain, compagnon de saint Nazaire, de saint Basilide et de saint Cyrin, il fut martyrisé sous Dioclétien, et saint Ambroise fit son panégyrique. Saint Nabor est à l'origine, mais phonétiquement seulement, de «saint Avold» qui n'eut sous ce nom aucune existence et aucune religion. «Saint Avold» étant le nom et le résultat d'une erreur, il convient donc très bien pour donner son patronage à la religion nouvelle de Mgr de Metz, qui est l'hérésie du XXe siècle.

Les deux première propositions de l'hérésie de Moselle n'ont pourtant aucun contenu positif. Elles sont en quelque sorte purement méthodologiques, et purement négatrices : elles ne disent pas en quoi consiste la religion nouvelle, elles disent seulement qu'il en faut une, imposée par le monde contemporain et par sa mutation. Elles annoncent un changement, sans dire lequel. Elles rejettent la religion catholique pré-existante comme inactuelle, puisque le monde change, et comme insuffisamment évangélique, puisque le monde l'a déclare telle.

Le monde reçoit la fonction magistérielle d'interpréter l'Évangile : en effet, l'insuffisance évangélique de la religion catholique pré-existante n'est pas aperçue en se tenant à l'écoute de l'Évangile reçu dans et par la tradition apostolique, mais en se tenant à l'écoute de la mutation du monde : «La foi écoute le monde» (Enseignement de Mgr de Metz, Bulletin officiel de l'évêché de Metz, numéro 134 du 1er septembre 1967, page 2).

Or, qu'enseignent de positif la mutation du monde et le magistère mondain ? Strictement rien dans l'ordre du péché, de la grâce et du salut : rien, sinon qu'il n'y en a point.

On gardera plus ou moins les mots eux-mêmes, pendant quelque temps sans doute, pour assurer la transition sous anesthésie : on en aura changé la conception même, c'est à dire qu'on les aura vidés de toute signification. On nommera encore la grâce, mais la grâce des temps nouveaux, tenez-vous bien, dans la doctrine de Metz, c'est la «socialisation», comme nous allons le voir tout à l'heure.

[...]

L'esprit et la situation de cette mutation religieuse sont analogues, voir identiques, à la situation et à l'esprit de la doctrine sociale de François Bloch-Lainé, dont la formule fameuse, relevée en son temps par Louis Salleron, proclamait le dessein de favoriser une évolution, sans prétendre en déterminer la fin. Si vous ne déterminez pas vous-même la fin de l'évolution que vous favorisez cependant, ne craignez rien, d'autres sauront la déterminer. Le gouvernail abandonné ne restera pas à l'abandon, il changera de main. Au vrai, c'est déjà fait.

La proposition 1) du message de Saint-Avold déclare :

La transformation du monde impose et enseigne un changement dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ.

Cette transformation, mater et magistra, c'est la socialisation, «fait inéluctable», que l'hérésie enseigne à tenir pour une grâce.

La proposition 2) déclare :

La pensée de l'Église, avant la présente mutation du monde, était insuffisamment évangélique.

Le supplément d'évangélisation qui manquait au christianisme, c'est la grâce de la socialisation qui nous en apporte la nouvelle Pentecôte.

«La foi écoute le monde», enseigne Mgr de Metz. Elle écoute la mutation du monde. Elle s'y soumet. Le monde lui enseigne [...] Le monde enseigne à la foi nouvelle les faits inéluctables du monde, et les faits inéluctables du monde sont la grâce nouvelle.

C'est plus fort que du Piasecki. Naturellement : nous sommes passés du niveau policier de Pax au niveau épiscopal de Metz. Mais sans solution de continuité.

Le nom du polonais Boleslaw Piasecki et celui de son officine Pax semblent aujourd'hui passablement oubliés. C'était, sous pavillon catholique, une agence policière soviétique de noyautage des mouvements chrétiens, notamment en France et notamment par la manipulation des organes de presse. Contre quoi nous avons mené une rude bataille, qui s'ouvrit le 1er janvier 1964 par la parution dans le numéro 79 d'Itinéraires d'une ample étude intitulée : «Le mouvement Pax en Pologne, en France et autour du concile». Le noyau dirigeant de l'épiscopat français voulu couvrir et défendre les complices français de Pax, parce que non sans raison, il se sentait lui-même compromis. La lourde et décisive culpabilité de José de Broucker fut publiquement démontrée sans qu'il soit aucunement disqualifié dans la presse catholique d'appellation contrôlée. Sur l'ensemble de l'affaire on consultera : L'affaire Pax en France, supplément de la revue Itinéraires, seconde édition, 200 pages, publié en décembre 1964 ( note de 1987)

Mgr de Metz enseigne :

«Dût notre bonne conscience en être troublée, il nous faut prendre en considération le reproche que nous font les marxistes. Les chrétiens, disent-ils, en dix-neuf siècles, n'ont pas réussi à mettre l'économie au service de l'homme et à répartir équitablement les biens de ce monde. L'exploitation de l'homme par l'homme est encore une tragique réalité en de nombreux secteurs du monde économique ... Il serait vain de répondre que les chr.étiens n'en sont pas les seuls responsables ou de rappeler la lutte séculaire de l'Église contre le prêt à intérêt.» (Bulletin officiel de l'évêché de Metz, numéro 125 du 1er mars 1967)

Comme si Jésus-Christ s'était incarné et comme si l'Église avait été fondée pour répartir équitablement les biens de ce monde. Comme si cela était la promesse de l'Évangile. Comme si le christianisme était ainsi pris en flagrant délit de n'avoir pas réalisé son but.

Après avoir présenté le reproche marxiste dans toute sa force, Mgr de Metz écarte la vaine réponse de l'Église, en ignorant sans doute que la réponse de l'Église n'est pas du tout celle-là. S'il l'ignore, bien sûr, il est incapable de l'enseigner (Mais ou donc est-on allé chercher de tels évêques ?) Il vit dans un univers mental ou les objections des marxistes sont formidables et ou les réponses (qu'il imagine) de l'Église sont faibles et vides. Avant de ravager les âmes de son clergé et de son peuple, il est lui-même ravagé, victime du collapsus doctrinal avant d'en devenir à son tour relais et fauteur.

Si l'on adoptait le même processus de pensée, on dirait semblablement qu'en dix-neuf siècles l'Église n'a pas encore "réussi" à rendre nos évêques infaillibles et indéfectibles. Et l'argument aurait exactement la même valeur, c'est à dire nulle : sauf sans doute dans l'univers mental conditionné, colonisé, démembré, finalement désertique et nu comme le dos de la main ou ces choses peuvent être proférés avec un semblant d'apparence de fantomatique existence.

Le châtiment de notre temps, c'est d'avoir à subir que le désert mental s'affirme forêt, champ et jardin, aux applaudissements unanimes de tout le barnum mondain. Ce désert, avec son vide ouvert à un emplissement marxiste, nous enseigne magistralement :

«Aucune époque que la nôtre n'a été en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle» (Bulletin officiel de l'évêché de Metz, numéro 125 du 1er mars 1967)

En mesure de comprendre l'idéal évangélique : de comprendre. Il ne s'agit même pas de mesurer et d'estimer des réalisations pratiques. L'époque de saint François d'Assise n'était certainement pas en mesure de comprendre l'idéal évangélique de vie fraternelle autant que l'èpoque de Mgr de Metz. Ni l'époque de saint Benoît. Ni celle des premiers chrétiens. La mutation (proposition numéro 1 de Saint-Avold) n'était pas encore survenue. La révélation n'était pas achevée, puisque l'on n'était pas en mesure de comprendre autant qu'aujourd'hui, ou nous avons enfin la ressource de nous instruire dans le Bulletin diocésain de Metz. Il fallait que l'intelligence humaine ait eu le temps de progresser jusqu'à l'état ou l'établit sous nos yeux le prophète de Saint-Avold.

Nous n'en avons pas à la déficience personnelle d'un homme parmi d'autres, d'un évêque parmi d'autres. L'évêque de Metz s'appelle légion. Le service exceptionnel qu'il rend à l'Église est d'avoir énoncé les propositions nécessaires et suffisantes auxquelles s'articulent logiquement les divagations éparses de la religion nouvelle.

La conjonction de la religion nouvelle avec le communisme par le moyen de la grâce nouvelle (qui est le fait inéluctable de la socialisation) est sous-jacente à un grand nombre d'attitudes épiscopales et d'enseignements épiscopaux, d'une manière quasiment insaisissable. On peut néanmoins la saisir parfois au passage quand ils saluent dans le communisme l'apparition d'un système social moins éloigné de la morale de l'Évangile. C'est l'affirmation de seize évêques groupés pour l'occasion autour de Don Helder Camara, archevêque de Recife : leur message du 15 août 1967 nous est asséné et ressassé, pour notre édification, dans toute la presse dite catholique [...] Le communisme n'y est point nommé, et pourtant désigné sans erreur possible [...] il est revêtu du faux nom de "socialisme" dont il aime à se couvrir.

Je cite :

«L'Église depuis un siècle a toléré le capitalisme avec le prêt à intérêt légal et ses autres usages peu conformes à la morale des prophètes et de l'Évangile. Mais elle ne peut que se réjouir de voir apparaître dans l'humanité un autre système social moins éloigné de cette morale. Il appartiendra aux évêques de demain, selon l'invitation de Paul VI, «de reconduire à leurs vraies sources qui sont chrétiennes, ces courants de valeurs morales que sont la solidarité, la fraternité, la socialisation» (cf. Ecclesiam suam). Les chrétiens ont le devoir de montrer que le vrai socialisme, c'est le christianisme intégralement vécu dans le juste partage des bien et l'égalité fondamentale de tous ...»

(«Message de quelques évêques», dix-sept, dont le premier signataire est Helder Camara. Documentation catholiquedu 5 novembre 1967, col. 1902 - ce message a été à nouveau abondamment cité et recommandé, notamment dans les bulletins diocésains, à l'occasion de mai 1968)

Le vrai sens et le vrai but de l'incarnation de Jésus-Christ, c'est donc de réaliser au temporel le juste partage des biens et l'égalité fondamentale de tous.

«... le vrai socialisme, c'est le christianisme intégralement vécu, dans le juste partage des biens et l'égalité fondamentale de tous. Bien loin de le bouder, sachons y adhérer avec joie, comme à une forme de vie sociale mieux adaptée à notre temps et plus conforme à l'esprit de l'Évangile.»

Nous le disons : un tel tissus de confusions est indigne d'évêques catholiques. Mais surtout, c'est une trahison.

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Re: La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » mer. 09 juin 2021, 4:42

Et dans l'avant-propos, il vaut la peine de considérer ce que Madiran fait valoir.

Ici :
« [...]

Voilà un siècle environ qu'ont apparu dans notre épiscopat les premiers germes de l'actuelle opposition à l'Église de Rome et au Siège romain. Des oppositions, il y en a toujours; ou il y en a toujours la tentation. Il y avait eu dans l'histoire d'autres oppositions, qui étaient d'une autre sorte. Celle d'aujourd'hui, qui est provoquée par l'hérésie du XXe siècle, a sa nature propre, dont on peut distinguer les premiers signes au moment su Syllabus (1864). Sans vouloir en faire une monographie minutieuse qui appellerait beaucoup de nuances et de précisions, disons que l'on a commencé dans l'épiscopat non point par refuser ou mettre en doute, mais par comprendre de moins en moins l'enseignement que dispensait le Saint-Siège. Si le Saint-Siège avait entrepris de tellement enseigner, c'est évidemment parce que l'Église universelle en avait de plus en plus besoin. Mais plus elle en avait besoin et moins les évêques entraient dans l'esprit de cet enseignement. Un siècle d'encycliques, de Pie IX à Pie XII, n'a pas atteint la société chrétienne dans son ensemble, parce que la transmission de cet enseignement a de plus en plus été arrêtée au niveau épiscopal.

Il y avait des fidèles et des prêtres pour s'instruire, de leur propre initiative, aux sources romaines : pour cette raison, ils cessaient d'être en consonance avec l'épiscopat local. Cela fut presque imperceptible au début, puis s'accentua, à mesure que les enseignements pontificaux devenaient plus nombreux et plus insistants. Ceux qui «croyaient aux encycliques» furent progressivement désignés comme des catholiques de plus en plus à part, de moins en moins à part entière, et bientôt dénoncés comme intégristes et papolâtres.

Inversement, ce qui était mis en oeuvre par l'épiscopat s'en allait plus ou moins dans une autre direction. Il y eut bien sûr des hauts et des bas, l'épiscopat français avait été partiellement converti par Pie X : mais ce fut comme une parenthèse. Déjà les Instituts catholiques, ceux d'aujourd'hui, fondés en France après la guerre de 1870, le furent dans le mépris des normes romaines d'enseignement, aussi bien en ce qui concerne les rôles réciproques du Séminaire et de la Faculté de théologie qu'en ce qui concerne la conception d'ensemble d'une Université catholique. L'épiscopat, théologiquement, paraissait irréprochable, et d'autant plus facilement que la vigilance regardait ailleurs : vers les survivances gallicanes en train de disparaître, vers les relents de jansénisme pratique plus sensibles dans le clergé de second ordre que chez les évêques. Mais il se préparait tout à fait autre chose, d'une autre manière : non point le modernisme, qui n'en fut qu'une conséquence. Il se préparait, il se passait quelque chose de beaucoup plus considérable et de beaucoup moins visible : la ratio studiorum et les méthodes intellectuelles en vigueur dans l'enseignement catholique rendaient les esprits étrangers à la doctrine romaine. En suite de quoi, ils devenaient modernistes ou ils ne le devenaient pas; ou ils devenaient n'importe quoi; ou rien. Mais ils étaient intellectuellement étrangers. On a eu les conséquences.

La conséquence la plus générale a été l'isolement progressif de l'Église de Rome à l'intérieur de l'Église universelle : son isolement intellectuel. On pouvait bien modifier, renforcer, renouveler (ou faire semblant) les critères présidant aux nominations épiscopales : même romains de formation, même "intégristes" d'origine, les nouveaux évêques étaient absorbés en quelques années par le milieu intellectuel d'un monde clérical vivant dans un esprit qui était de moins en moins celui de Rome.

La théologie dite romaine fut considérée de plus en plus comme une école théologique parmi d'autres, et point la meilleure, une école rétrograde, scolastique. juridique, dépassée. Les encycliques étaient tenues pour un produit local de cette école théologique contestée. En cela, évêques et docteurs se sont parjurés, ils ont forfait à leur serment solennel de tenir au contraire l'Église de Rome pour mater et magistra omnium ecclesiarum. Ils ont imaginé quantité de prétextes pour considérer les normes romaines comme le fruit d'une école particulière et non plus comme cela même à l'école de quoi ils devaient rester pour conserver l'intégrité de la foi. S'ils ont passé outre à leur serment, c'est d'abord sans doute qu'ils n'en comprenaient plus le sens, qu'ils y voyaient qu'une formalité protocolaire, une survivance sans valeur. Mais pendant longtemps ce ne fut chez eux qu'une déviation ou une diminution de l'intelligence, sans conscience nette de culpabilité, et ils demeurèrent fidèles, en rechignant, en en prenant plus ou moins à leur aise, globalement fidèles néanmoins, par discipline. La discipline sans conviction, l'obéissance sans l'intelligence ont fini par périr d'inanition.

[...]

Mais bien sûr, au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, l'épiscopat n'avait encore touché ni au dogme ni, visiblement, au catéchisme. Il avait touché seulement aux méthodes intellectuelles et à la philosophie générale, et le hiatus avec Rome s'était établi en matière sociale, il faut dire plus complètement : «en matière intellectuelle et sociale». Les évêques français qui comprirent vraiment le Syllabus étaient déjà l'exception.

Par la suite les encycliques sociales n'ont été ni comprises ni vécues par l'épiscopat, bien qu'il en ait beaucoup parlé, avec beaucoup de respect, voire d'enthousiasme, jusque vers 1950. Il n'en parle plus aujourd'hui, il ne parle plus que de Pacem in terris, de Populorum progressio et de la constitution concilaiire Gaudium et Spes, uniquement dans la mesure ou il croit que ces documents récents annulent les documents antérieurs : et il en parle de telle façon qu'en fait les documents antérieurs s'en trouvent annulés.

Mais auparavant la situation n'était guère meilleure, et ce respect ou cet enthousiasme avec lesquels l'épiscopat parlait des encycliques sociales étaient profondément dérisoires : parce qu'ils ne les connaissaient point. [...] Ils parlaient des encycliques sociales en disant qu'il y en avait deux : il y avait Rerum novarum et Quadragesimo anno. Ils ouvraient les yeux ronds, sans y croire, quand on leur faisait observer que Léon XIII à lui seul avait publié 12 (douze) encycliques sociales. Ils n'en savaient déjà rien. Et qu'à la mort de Pie XII, le nombre des encycliques sociales depuis Léon XIII atteignait la vingtaine. L'ignorant, ils ne pouvaient évidemment l'enseigner. Quand par hasard ils jetaient un oeil sur l'une des deux encycliques sociales, Rerum novarum ou Quadragésimo anno, ils étaient assurés (sauf miracle) de n'y rien comprendre, incapables de les interpréter dans l'esprit et le contexte de l'ensemble de cet enseignement social dont ils ne soupçonnaient pas l'existence. Il n'y avait donc en France aucun enseignement véritable de la doctrine sociale de l'Église, et dans les séminaires moins qu'ailleurs.

La preuve définitive que les encycliques sociales ne furent ni comprises ni vécues par les évêques, malgré tout le verbiage épiscopal sur ces questions, réside en ce fait constatable : ils ne les ont jamais appliquées à ce qui dépendait d'eux directement, leurs écoles, leurs journaux, leurs propriétés, leurs finances, leurs salariés.

Les évêques, comme le monde moderne et à son école, sont passés du libéralisme au socialisme : ils sont passés à côté de la doctrine de l'Église.

Il n'y avait plus la communion de l'intelligence entre les évêques et le Saint-Siège. Mais, surtout à partir de 1950, les évêques ont eu le sentiment , ou on le leur a insufflé, que la communion avait été rompue par le Saint-Siège, prisonnier d'une école théologique et juridique particulière, et dépassée : et qu'il incombait donc au Saint-Siège de retrouver la communion avec l'épiscopat; ou d'y être ramené.

Tout le second concile oecuménique du Vatican a été conduit par les évêques dans cette perspective, qui n'a évidemment pas pu prévaloir en droit, mais qui a fait grande impression sur les psychologies, y compris sur les psychologies romaines.

[...]

1) La dissidence de l'épiscopat, avons-nous dit, s'est manifestée d'abord en matière sociale. Jusqu'en 1950, et même jusqu'en 1960, les évêques ne touchaient ouvertement ni aux dogmes ni au catéchisme : ils ne paraissaient donc point hérétiques. Leur désaccord grandissant portait directement et semblait porter uniquement sur la doctrine sociale . Ils ne tenaient plus, ils ne voulaient plus tenir, par exemple, la doctrine d'ailleurs jamais comprise par eux de Divini Redemptoris et de Divini illius Magistri. Ils abandonnaient l'école chrétienne et la résistance au communisme. Du libéralisme social, dont ils n'avaient aperçu et condamné que les aspects les plus superficiels, ils passaient normalement au socialisme, qui est engendré, dans les esprits et les sociétés, précisément par le libéralisme. Mais c'était déjà de leur part le résultat d'une défaillance plus profonde : ils avaient perdu le sens de la loi naturelle.

La doctrine sociale de l'Église se fonde sur la loi naturelle et la loi naturelle fait partie de l'économie du salut. Une dissidence concernant la loi naturelle devait logiquement se manifester d'abord par un désaccord sur la doctrine sociale : mais une telle dissidence contient en germe une subversion radicale de la religion chrétienne.

2) Quand on ne comprend plus la loi naturelle, c'est un naufrage général de la raison et de la foi. Il n'importe plus dès lors que l'on continue, dans un premier temps plus ou moins long, à répéter avec une exactitude littérale, d'ailleurs à éclipse, les formules évangéliques et les définitions dogmatiques : elles n'ont gardé que leur apparence verbale, elles ont perdu leur substance. Un épiscopat qui a perdu la loi naturelle n'a plus accès au sens de l'évangile et des dogmes définis. A vrai dire, il n'a plus accès à rien. Et il ne peut plus rien conserver ni transmettre.

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Re: La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » jeu. 30 déc. 2021, 14:40

Une petite interview de Madiran de 2002. L'abbé Guillaume de Tanoüarn posait les questions.


http://certitudes.free.fr/nrc11/nrc11002.htm


Sur la grave crise de l'Église ...
[...]

L'abbé de Tanoüarn :

Certain critique a pensé que vous ne teniez pas assez compte de toutes les améliorations intervenues durant le pontificat de Jean Paul II. Et voilà que non seulement vous n'en tenez pas compte, mais vous parlez d’aggravation ?

Jean Madiran :

Je crois que j'en ai toujours tenu compte. Je me souviens, lorsque l'encyclique Veritatis splendor est arrivée, en 1993, nous étions heureux... On ne pouvait que s'en réjouir. On peut dire la même chose plus récemment avec le document Dominus Jesus, sur l'unicité de l'Eglise. D'une manière générale, je n'ai pas manqué de faire écho à ce que vous nommez les améliorations intervenues durant le pontificat de Jean Paul II, mais on est bien obligé d'observer que ces améliorations sont restées absolument théoriques. Si vous voulez comprendre à quel point la situation de l'Église se dégrade, regardez la Bible Bayard. Elle se trouve inscrite dans la tradition catholique par la Commission doctrinale de l'épiscopat en raison de son apparat critique. C'est tellement incroyable que cela peut paraître suspect, alors je cite le texte de l'épiscopat, si vous voulez bien : « L'appareil critique, comportant introductions, notes et glossaires permet d'inscrire cette traduction dans la tradition vivante de l'Église catholique ». Et, dans cet appareil critique, nous lisons que les évangélistes ne sont ni Matthieu, ni Marc, ni Luc, ni Jean, mais des inconnus beaucoup plus tardifs, qui ont inventé, qui ont fabriqué les paroles attribuées à Jésus. Appeler cela un appareil critique conforme à la tradition, c'est se moquer du monde, car le beau résultat c'est qu'il n'y a aucune parole authentique de Jésus dans l’Évangile. Que cela puisse paraître sans que personne d'autorisé, sans qu’aucun évêque ne proteste, c'est le signe clair d'une aggravation de la situation intérieure de l’Église.

Je ne cherche pas à brûler les livres, non, mais je voudrais simplement qu'il y ait des évêques pour mettre en garde. Le seul qui ait protesté, Mgr Guillaume évêque de Saint-Dié, l'a fait par le truchement du n° 1 de la revue Képhas, publiée en Suisse ... En France même, il n'y a eu que le silence... Autre exemple de cette aggravation de la crise : La Croix, à l'occasion de la rétrospective, organisée pour les 40 ans du Concile Vatican II, a publié intégralement, pour le rejeter comme obsolète, le texte de l’Acte de foi (je parle de la prière que nous apprenons au catéchisme) : elle explique en ricanant qu'il s'agit de la foi de Vatican I et non de la foi de Vatican II...

Alors ce qui est vrai en revanche, c'est qu'il existe ici et là des communautés qui s'efforcent de garder intégralement la foi, la liturgie, les sacrements, l'Écriture, et aussi la philosophie chrétienne et l’histoire de l'Église.

Mais cette magnifique germination de la grâce de Dieu ne change rien à la direction suivie par le grand navire. Voyez encore l'évêque d'Evry qui nous dit: il faut aimer le monde tel qu'il est. Comment un évêque peut-il dire une chose pareille ? II faut bien sûr aimer le monde de la Création pour lequel Dieu a donné son Fils, mais non le monde de la Révolution tel qu’il est et dont Satan est le Prince, cela n'a pas de sens pour un chrétien.
Encore ...

Guillaume de Tanoüarn :

Vous militez pour la rectification du Concile, mais croyez-vous que nous verrons une rectification de la liturgie ?

Jean Madiran :

Vous savez, je crois que le vrai coup de maître de la subversion, c'est la nouvelle messe. Tant qu’il n'y a pas de distinction extérieure, on peut rester dans les paroisses et y maintenir la résistance nécessaire avec respect, humilité et patience. Les familles de tradition catholique qui sont sorties de « la pratique paroissiale », comme dit aujourd'hui l'archevêché, ces familles seraient restées dans leurs paroisses sans la nouvelle messe. La nouvelle messe est vraiment l'arme de la déchirure. Nous devons corriger, nous devons modifier cela, disais-je. Mais pour l'instant, nous n'en sommes pas encore là.

Pour l'instant, on peut dire qu’il faut lutter contre le régime odieux de l'autorisation préalable, auquel est soumise la messe traditionnelle. Je dis que ce régime est odieux, au regard des titres imprescriptibles qui sont ceux du rite romain. Il faut ensuite que les évêques rendent à la messe traditionnelle sa primauté d’honneur. Que tous les dimanches, les évêques chantent dans leur cathédrale une grand messe latine grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. On ne rétablira pas la liturgie traditionnelle du jour au lendemain dans toutes les paroisses. Je crois d'ailleurs qu'il y a quelque chose d'irréversible dans l'abandon du latin par les prêtres eux-mêmes. Le latin d’Eglise, c'est un univers! Regardez Henri Charlier, à l'école du Mesnil Saint Loup, ce village qui avait été entièrement rechristianisé par le Père Emmanuel. Une ou deux fois par semaine, sous sa férule, les élèves répétaient le propre du dimanche suivant, qui leur avait été expliqué au préalable. Ils en vivaient! Cette discipline du chant choral n'est pas anecdotique, elle existe déjà pour Platon, pour Aristote. Le chant forme une véritable armure artistique pour les jeunes gens. Il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, pour les garçons, quasiment seules les Ecoles de la Fraternité Saint-Pie X ont conservé cette tradition latine vivante...
Il est étrange de découvrir cela du Madiran de 2002, mais seulement après le «coup de boule» ecclésiastique de TC servi aux traditionalistes en 2021.

Il écrivait :

«Pour l'instant, on peut dire qu’il faut lutter contre le régime odieux de l'autorisation préalable, auquel est soumise la messe traditionnelle.»

Pour lui la situation s'aggravait et le régime était déjà odieux en 2002. Que dirait-il aujourd'hui ?

Cinci
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Re: La critique de Jean Madiran

Message non lu par Cinci » jeu. 30 déc. 2021, 14:54

Et ici un exposé non complaisant ou «critique» délivré par un abbé en «rupture de ban» avec la FSSPX, pour nous aider à positionner le bonhomme (Jean Madiran) sur l'échiquier des grandes figures de résistants intellectuels du monde catholique français au XXe siècle.

La causerie de l'abbé Roussin au sujet des lieux d'appartenance de Madiran ... qui était un journaliste à la base à l'instar d'un André Frossard.

https://www.youtube.com/watch?v=RT14c3Po5Ig

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