Je voudrais mettre ici la post-face de 1987 que Madiran lui-même aura ajouté à une nouvelle édition de son volume écrit en 1968, L'Hérésie du XXe siècle. Parce qu'il se trouve à y exprimer sa pensée au sujet de l'évolution de l'Église au XXe siècle et jusqu'à aujourd'hui. On pourrait y voir une sorte de «massacre à la tronçonneuse». Il n'y va pas de main morte avec les évêques. Ce que je trouve intéressant pour ma part, lisant ses critiques, je croirais trouvé un compte-rendu fidèle des actualités de l'Église de l'an 2000.
Il écrit:
[ Pensez à ça : écrit en 1987 mais relu à la lumière de ce qui passe en Allemagne ou à la lumière de déclarations comme celles du nouveau président de l'Institute théologique pontificale Jean-Paul II qui donne raison aux dissident contre la CDF]«La désorientation générale que l'on constate aujourd'hui parmi les hommes d'Église n'est pas un phénomène récent - et donc n'est pas non plus un phénomène passager. Les idées qui agitent présentement les hommes de vingt à quarante ans sont celles qui étaient agitées au moment de leur naissance, et même avant. Le débat est le même. Ou plutôt l'absence de débat : il s'est produit dans l'Église une rupture doctrinale avec la doctrine de l'Église, et cette rupture doctrinale demeure sans motivation doctrinale proportionnée et officiellement énoncée. Elle allègue des motifs puérils, débiles, sentimentaux, démocratiques, humanistes, elle ne déclare aucun motif catholique, elle esquive le débat en doctrine. Elle joue au contraire sur l'atrophie doctrinale qu'elle favorise dans les nouvelles générations. Pauvres générations nouvelles. On se moque d'elles.
On leur propose comme idées nouvelles celles qui saccagent l'identité catholique depuis plus de quarante ans, et c'est trop peu dire : les idées nouvelles de la religion d'aujourd'hui ce sont celles que l'on trouve recensées comme idées fausses au siècle dernier, par le syllabus de 1864. Il y a certes des idées qui changent véritablement, mais c'est dans le domaine des sciences physico-mathématiques et de leurs applications techniques. Elles ne changent pas beaucoup, elles ne changent qu'en apparence dans les domaines de la pensée religieuse, philosophique, morale.
C'est Newman qui disait de son côté, je le cite de mémoire, mais je voudrais bien que quelqu'un me retrouve ou donc il le disait : - le temps viendra ou l'on tiendra le christianisme pour réfuté. Il n'aura pas été réfuté, mais on répandra partout la conviction qu'il est réfuté définitivement, que c'est un fait acquis et qu'il n'y a plus à y revenir.
Ce temps qu'annonçait Newman, le voici, nous y sommes depuis vingt ou quarante ans.
Ce sont les docteurs catholiques eux aussi qui ont désormais la conviction que le christianisme tel qu'il était pensé et vécu a été réfuté. Ils se lancent dans un christianisme nouveau, d'une nouveauté qui a déjà un siècle ou deux, mais enfin un christianisme différent du christianisme ancien, un christianisme de droits de l'homme et de démocratie, de pluralisme et de construction d'un monde, parce que le christianisme ancien leur paraît dépassé. Ils ne croient plus à la virginité perpétuelle de Marie, ils ne croient plus à l'ascension du Seigneur, ils ne croient plus que les évangiles nous rapportent historiquement la vie et les paroles de Jésus, ils ne croient plus à la résurrection des corps [...] ils ne croient plus que le sacrifice de la messe est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Calvaire, ils ne croient plus que Jésus est présent en corps et en âme et en divinité dans l'hostie consacrée, et ne le croyant plus, ils ne le professent désormais que du bout des lèvres ou pas du tout. Et quelques fois ils s'imaginent le croire encore, mais c'est d'une foi trop faible pour apercevoir que ces croyances sont dévastées par les docteurs, prédicateurs, professeurs, communicateurs qu'ils cautionnent, qu'ils couvrent et qu'ils défendent.
La «modernité» qu'a épousée l'épiscopat est essentiellement une négation de la loi (morale) naturelle en tant que certaine, objective, universelle, immuable. Mais s'il n'y a plus de loi naturelle, il n'y a plus de misère humaine qui ait un sens et qui soit guérissable par un salut venu d'en haut; il n'y a plus de religion; il n'y a plus que la religion de l'homme, chantée dans le vocabulaire d'un évangélisme devenue mythologie. Le rejet de la loi naturelle est le principe d'une apostasie sans doute immanente, mais finalement totale.
[Je lis ce mot de 1987 de Madiran, je croirais revoir le poing en l'air de l'évêque du Texas en solidarité avec "Black Lives Matter" de Soros à l'été 2020, suivi du coup de fil du pape [du pape !] à l'intéressé pour lui signifier son contentement le lendemain. Le groupe de gauchistes extrémistes fait profession de vouloir détruire définitivement la famille, en sus de militer pour l'homosexualisme, l'avortement, etc. ]Toute mutation religieuse a des conséquences politiques. L'apparition du christianisme dans le monde en a eu, et pour longtemps. L'arianisme, l'islamisme, le protestantisme en ont eu et en ont. Le déchristianisation moderne en a.
Avec les progrès récents de l'ignorance religieuse et de l'obscurantisme spirituel, la défaillance globale de l'épiscopat n'est en général perçue du peuple chrétien que lorsqu'on en vient très concrètement au faire et au prendre. L'anomalie d'une Église ou les évêques ont interdit tous les catéchismes catholiques préexistants, y compris celui du concile de Trente, y compris celui de saint Pie X, est la cause d'une grande méfiance envers la hiérarchie. Mais on reste souvent très prudent, ou très timoré, par crainte de s'entendre comparer au Gros-Jean qui voulait en remontrer à son curé. Au contraire quand il s'agit de politique, le peuple chrétien sent, sait et dit que les évêques déraisonnent, et scandaleusement.
On peut remarquer que le gauchisme marxisant n'est pas une exclusivité de l'épiscopat français, mais une contagion idéologique largement répandue, aussi bien parmi les évêques brésiliens que chez les bureaucrates de la curie vaticane. De toute temps l'hérésie ne devient dangereuse que sous le masque catholique à l'intérieur de la hiérarchie. A la fin du règne de Léon XIII, la franc-maçonnerie, son anti-dogmatisme et son modernisme avaient pénétré dans l'Église [...] De même, le communisme n'a pas attendu la mort de Pie XII pour y pénétrer lui aussi.
Je dis bien le communisme. Sans doute les évêques ne font pas habituellement voter pour le parti communiste : mais ils ne le tiennent plus pour intrinsèquement pervers, ils ne le désignent plus comme le pire. La progression incessante de l'esclavagisme communiste, marchant ouvertement à la domination mondiale et courbant sous son emprise nation après nation, ils ne considèrent plus qu'elle constitue le plus grand danger temporel et spirituel de notre temps [...] Aujourd'hui, les évêques sont à gauche : mais point la gauche modérée, tout le monde le voit, le constate, le sait, ils sont en connivence avec la gauche sectaire, la gauche maçonnique, la gauche marxisante, la gauche immonde des Polac, des Jack Lang, des Harlem Désir, des coluchonneries, de Danièle et François Mitterand [...] L'implantation dans l'Église de l'hérésie du XXe siècle n'est ni superficielle ni passagère.
Cette hiérarchie, et pas suite le corps entier du clergé et du peuple, se trouvent collectivement en un état de non-résistance croissante au mal et à l'erreur. Non-résistance au communisme, c'en est la manifestation la plus visible et la plus immédiate, la plus concrètement dramatique. C'était déjà de «non-résistance au communisme» dont je parlais en 1955 dans Ils ne savent pas ce qu'ils font et dans Ils ne savent pas ce qu'ils disent. Une telle non-résistance, l'Église ne l'a pas inventée, elle l'a contractée au contact de l'intelligentsia et de la politique occidentales, qui n'avaient pas compris d'elles-mêmes ce que Soljénitsyne leur enseignait d'ailleurs en vain, à la fin des années 1960 et tout au long des années 1970. Le communisme est pire que tout, pire que le nazisme, pire que le racisme, il est le péril principal. En cela l'Église a subi la contagion de la modernité.
[...]
L'évêque de Metz vient de mourir. Il a été le porte-parole historique des formules qui définissent l'hérésie du XXe siècle. Il ne m'a jamais rien répondu. Il n'a jamais rien rétracté. Je lui souhaite d'avoir eu l'excuse absolutoire de l'ignorance invincible.
septembre 1987