prodigal a écrit : ↑dim. 07 oct. 2018, 11:05
En ce qui concerne Max Weber, ce qu'il établit, c'est un lien entre le
protestantisme et le
capitalisme. Mais le capitalisme et le libéralisme sont destinés à marcher main dans la main, donc on peut admettre que pour Weber, un certain christianisme est tout à fait compatible avec le libéralisme, et même fait son lit.
Cependant il s'agit d'une branche du christianisme qui se définit
contre le catholicisme, et justement sur la question du libéralisme. C'est parce que le catholicisme est incompatible avec le libéralisme que le protestantisme devient en quelque sorte sa religion d'accueil.
Donc, si l'on suit Max Weber (certains le contestent mais personnellement je le trouve plutôt convaincant), le libéralisme est l'ennemi du catholicisme et l'allié du protestantisme.
La valeur du travail n'autorise pas l'exploitation, au contraire. Ce n'est pas sur la valeur du travail que s'opposent catholiques et protestants, mais éventuellement (car tous les protestants ne sont pas favorables au capitalisme!) sur la valeur de la richesse acquise grâce au travail d'autrui.
Vous semblez penser que le bilan du libéralisme est positif. Une majorité de gens pense comme vous, et cela peut se défendre. Mais c'est une opinion politique. Cette discussion n'a pas pour but de confronter les opinions politiques, mais de voir si libéralisme et christianisme (bien compris l'un et l'autre) sont compatibles. Je crois que non. J'irai même jusqu'à dire que telle est la part de vérité du
Syllabus dont les traditionalistes ont certes tendance à exagérer la portée mais qui mérite quand même un peu d'attention.
Enfin, je ne connais aucun système qui s'accorde avec l'évangile, sinon la vie monastique, qui n'est pas un système. Mais l'évangile n'est pas neutre, loin de là. "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu". Cela veut dire qu'il ne faut pas absolutiser la politique. L'action politique du chrétien, c'est de se battre contre l'injustice, d'où qu'elle vienne. Cela suffit, je trouve.
Détrompez-vous, je ne suis pas du tout un partisan du libéralisme, comme je vous l'ai déjà dit. C'est même tout l'inverse. Non seulement je ne crois pas que le bilan du libéralisme soit positif, mais - c'est ma théorie personnelle - je pense qu'il va finir par s'effondrer et déboucher sur le retour et le triomphe du communisme. Je sais que cette idée peut paraître bizarre aujourd'hui, mais je la crois sérieusement fondée. Tout le débat entre les communisme et libéralisme tourne autour du rôle de l'État. Mais les deux tendent au même but : faire progresser l'homme. Un penseur qui résume à lui seul toute cette ambiguïté entre moins de liberté et plus de liberté, entre État et individu : Rousseau, qui balance très exactement entre les deux solutions. Mais le libéralisme a échoué : vous le voyez comme moi, toutes les libertés régressent. La liberté de la presse a fait place à la pensée unique, contrôlée par des puissances d'argent, la liberté des individus ne cesse de reculer, la liberté d'opinion tourne à la farce, la démocratie semble en sursis, bref, le résultat du libéralisme est le triomphe des riches. Et la seule liberté que l'on constate est celle du loup dans la bergerie. Le corollaire de la liberté était censé être l'égalité. On raconte à la brebis qu'elle n'a pas à se plaindre du loup (et on la culpabilise au passage), car elle est l'égale du loup, et on lui demande un petit effort de fraternité. Le libéralisme tourne à la supercherie cynique. Tôt ou tard, les peuples se tourneront vers la solution alternative qui est le communisme. Or, on voit les idées marxistes progresser aux États-Unis ! Bernie Sanders a bien failli être investi contre Hillary Clinton aux dernières présidentielles. Et ce n'est pas terminé. Ce mouvement continue de progresser dans les primaires démocrates actuelles. Je pense que ce retour de balancier est inéluctable. Si les États-Unis deviennent une nation socialiste, je pense que la suite des évènements risque d'être très surprenante.
Le libéralisme devait échouer à cause d'une contradiction fondamentale : toute liberté humaine demande à être régulée pour ne pas entraver la liberté du prochain, et dans l'intérêt général, l'individu ne peut être au-dessus de la communauté.
Voilà pour ce que je pense du libéralisme. Mais ce n'est pas le sujet, en fait. En disant cela, je ne me prononce pas sur l'incompatibilité fondamentale qui existerait avec le christianisme. Parce que je ne les place pas sur le même plan. Le Christ dit : mon royaume n'est pas de ce monde. Rendez à César ce qui est à César, ça veut bien dire que peu importe les régimes qui se succèdent sur terre, le royaume du Christ n'a pas vocation à être établi dans le gouvernement humain. Le Christ n'est pas venu établir une théocratie. Il n'y a pas de gouvernement proprement chrétien qui aurait pour principale préoccupation le bien des peuples ou des individus. Je ne crois pas que l'ancien régime se souciait plus du bien-être des personnes que le libéralisme.
La seule différence, c'est que le libéralisme tende à éloigner les âmes de la recherche de leur salut. Et c'est surtout cela, le plus grave, du point de vue de la foi chrétienne. Et si, pour couronner le tout, il persécute l'Église et l'empêche de prêcher, alors on peut dire, pour ce seul motif, qu'il fait la guerre à Dieu. On pourrait en dire autant du communisme.
Mais il n'est pas obligatoire que le libéralisme nuise à l'action de l'Église. Si le libéralisme est fidèle à ce qu'il prétend être, s'il respecte les libertés, il doit permettre à l'Église de prêcher à sa guise. Et dans ce cas, on ne peut pas dire qu'il soit plus fondamentalement anti chrétien que tout autre type de régime.
Quant au capitalisme, je crois qu'il faut vraiment le distinguer du libéralisme. Il existe des exemples de régimes capitalistes et anti libéraux : les anciennes dictatures d'Amérique du Sud, d'Espagne et du Portugal. Et pour le coup, l'Église catholique avait toute sa place et son influence dans ces régimes, preuve que le catholicisme n'est pas forcément incompatible avec le capitalisme. On pourrait aussi évoquer la France du 19e siècle. Le protestantisme n'est pas seul en cause, si ce n'est qu'il existe un véritable système de pensée dans le protestantisme pour justifier le capitalisme par des motifs évangéliques. Je ne partage pas les vues protestantes qui découlent sans doute de leur lecture littérale de la Bible, et à mon avis en détournent le sens. Mais Weber ne va pas jusqu'à établir une opposition frontale entre catholiques et protestants autour de l'usage de l'argent et de l'exploitation humaine. Pas du tout. Il dit seulement que les protestants sont plus efficaces dans le système capitaliste, plus productifs, plus assidus au travail et à l'accumulation de capital, tandis que les catholiques sont plus insouciants, plus dilettantes, plus dépensiers en somme. C'est la cigale et la fourmi. Parce que le capitalisme est adossé à un système religieux moteur chez les protestants, associé à une forme d'ascèse chrétienne, tandis que chez les catholiques, le capitalisme n'est rien d'autre qu'un fonctionnement humain, et que l'argent y est plus mal vu, surtout l'accumulation d'argent, vue comme un signe d'avarice, et donc fortement pécamineux. Il y a sans doute une répugnance catholique face à l'argent. Mais en dehors de cela, les catholiques n'ont aucun problème pour amasser l'argent, exploiter les travailleurs, s'enrichir, créer de la misère, au même titre que les protestants. C'est simplement qu'ils seraient, selon Weber, moins efficaces à le faire, parce qu'ils y voient en même temps une conduite pécamineuse (vision qui n'est cependant pas assez forte pour les en détourner complètement). L'Église n'a pas spécialement condamné l'exploitation humaine par le capitalisme, comme elle ne le faisait pas non plus à l'époque du servage et de la féodalité. Dans les états pontificaux, par exemple, les paysans y étaient exploités exactement comme dans n'importe quel autre fief (après, il faudrait voir s'ils étaient mieux traités qu'ailleurs, je n'en sais rien, mais le principe était le même qu'ailleurs).
Au reste, le capitalisme est plus ancien que le libéralisme, puisqu'il commence dans les cités bourgeoises qui commencent à s'affranchir du pouvoir féodal, avec l'appui des rois, des empereurs, à partir du 12e siècle, dans le sud de la France, en Italie, dans les Flandres. Bien avant l'ère du libéralisme.