Sur la moralité de l'usure (suite) et la création de monnaie
Publié : jeu. 16 déc. 2004, 8:48
Bonjour Christophe,
Comme vous m’y avez incité dans votre dernier message, j’ai visité l’Ile des Naufragés.
C’est une fable sur l’argent et l’auteur n’a pas compris le sujet (disons, il ne sait pas de quoi il parle). Contrairement à ce qu’il affirme, l’argent n’est qu’accessoirement un moyen de paiement. L’argent est principalement une énergie, une aide précieuse à la création de richesses.
Il est vrai qu’avec 5 gugusses sur une île, l’auteur ne pouvait pas imaginer par son modèle simplet refléter la réalité d’une économie moderne. Sa représentation est celle d’une tribu primitive ou d’un hameau médiéval. Pas de croissance, ni démographique ni technologique. L’investissement dans l’éducation a été effectué avant le naufrage (comme Robinson, les naufragés débarquent avec leur compétences déjà acquises), ils ne sont jamais malades et ils n’ont pas besoin d’autre capital que du temps et de la sueur pour assembler leur appareil de production.
Le fabuliste, Louis Even, écarte donc tout ce qui gêne dans sa démonstration. L’argent n’est plus du capital. Il ne serait qu’un moyen de paiement et – ô miracle – dans cette fonction, on n’a pas besoin de banquiers. Le système de paiement de l’Ile des Naufragés, proposé comme solution révolutionnaire, est tout simplement celui des cartes bleues. Une signature, et le compte de l’acheteur est débité, celui du vendeur crédité, dans n’importe quelle monnaie. Les plus utilisées de ces cartes sont fournies par des banques, mais ce n’était pas le cas il y a 20 ans (American Express, Diners Club…). Car n’importe qui peut fournir un moyen de paiement, et les banques n’y voient qu’un produit accessoire pour rendre service à leurs déposants. La véritable fonction de l’argent, le vrai métier des banques est ailleurs.
Il est dans la fourniture de crédits.
Or le banquier de la fable, Martin, ne pourrait pas fournir dans le monde réel les prêts que le fabuliste imagine. Pourquoi diantre les naufragés iraient-ils emprunter à 8% l’an un symbole monétaire ? Personne ne ferait ça. On emprunte :
- pour gagner du temps, pour acheter un bien aujourd’hui sans attendre de constituer les économies nécessaires
- pour effectuer un investissement, équiper un atelier, une clinique, etc.
Les naufragés ne font ni l’un ni l’autre.
Pour les deux raisons que je viens de donner, de nombreux particuliers et entreprises chaque jour souhaitent emprunter. Ils pourraient passer des annonces, taper les copains, etc. mais ils se trouvent qu’un certain type d’entreprises appelées banques se spécialisent dans la fourniture de prêts.
Et ça tombe bien, parce qu’il se trouve aussi que des gens accumulent un excès de leurs revenus sur leurs dépenses et ils souhaitent que cette épargne ne ‘dorme’ pas. Ils pourraient chercher des emprunteurs, seulement il faut les trouver, leur faire confiance, évaluer la solvabilité de leur projet ; ces épargnants préfèrent traiter avec un professionnel qui a pignon sur rue. Le banquier emprunte donc à ces épargnants à un taux d’intérêt convenu et prête la somme à un autre taux en gardant la différence.
Depuis longtemps, lesdits banquiers ont remarqué que tous les épargnants ne retiraient pas leur dépôt en même temps. Le banquier peut donc prêter plus d’argent qu’il n’a reçu. Le banquier crée de l’argent.
Heureusement. Car contrairement à la situation des naufragés, contrairement à celle de l’humanité des tribus et du Moyen Age, depuis le la révolution industrielle, la population mondiale augmente rapidement. Son niveau de vie (d’investissements) s’accroît. Il faut donc financer plus d’investissements.
Si la masse monétaire n’augmentait pas (les banquiers n’avaient pas le droit de créer de l’argent), l’ajustement se ferait par les prix. Plus de monde se partageant la même somme d’argent, les producteurs seraient obligés de baisser les prix, certains iraient en faillite, les chômeurs seraient embauchés à des salaires plus faibles, ce qu’ils accepteraient puisque les prix, les loyers, etc., baisseraient aussi. On serait en déflation.
Pour des tas de raisons trop longues à détailler ici, la déflation n’est pas une solution. L’inflation non plus. Or elle est la conséquence du phénomène inverse, lorsque les banques créent trop de monnaie. Les gens en ont soudain plus dans leur poche, cherchent à acheter plus que ce que les producteurs peuvent fournir, les producteurs sélectionnent les clients qui paient le plus cher, les prix augmentent, etc.
Il faut donc que la production de monnaie reflète exactement la capacité de création de richesse dans une population. Or c’est là que je ne rejoins pas du tout votre souhait : «le recouvrement par les pouvoirs publics de leur prérogative d'émettre la monnaie.”
Non. Car les ‘pouvoirs publics’ poursuivent toutes sortes de stratégies et d’ambitions qui ne passent pas nécessairement par une monnaie saine. Il suffit d’écouter les sirènes qui réclament la fin du ‘pacte de stabilité’, la fin de l’autonomie de la BCE. Comme si le chômage et la stagnation étaient la conséquence d’une monnaie saine !
Bien cordialement
Christian
Comme vous m’y avez incité dans votre dernier message, j’ai visité l’Ile des Naufragés.
C’est une fable sur l’argent et l’auteur n’a pas compris le sujet (disons, il ne sait pas de quoi il parle). Contrairement à ce qu’il affirme, l’argent n’est qu’accessoirement un moyen de paiement. L’argent est principalement une énergie, une aide précieuse à la création de richesses.
Il est vrai qu’avec 5 gugusses sur une île, l’auteur ne pouvait pas imaginer par son modèle simplet refléter la réalité d’une économie moderne. Sa représentation est celle d’une tribu primitive ou d’un hameau médiéval. Pas de croissance, ni démographique ni technologique. L’investissement dans l’éducation a été effectué avant le naufrage (comme Robinson, les naufragés débarquent avec leur compétences déjà acquises), ils ne sont jamais malades et ils n’ont pas besoin d’autre capital que du temps et de la sueur pour assembler leur appareil de production.
Le fabuliste, Louis Even, écarte donc tout ce qui gêne dans sa démonstration. L’argent n’est plus du capital. Il ne serait qu’un moyen de paiement et – ô miracle – dans cette fonction, on n’a pas besoin de banquiers. Le système de paiement de l’Ile des Naufragés, proposé comme solution révolutionnaire, est tout simplement celui des cartes bleues. Une signature, et le compte de l’acheteur est débité, celui du vendeur crédité, dans n’importe quelle monnaie. Les plus utilisées de ces cartes sont fournies par des banques, mais ce n’était pas le cas il y a 20 ans (American Express, Diners Club…). Car n’importe qui peut fournir un moyen de paiement, et les banques n’y voient qu’un produit accessoire pour rendre service à leurs déposants. La véritable fonction de l’argent, le vrai métier des banques est ailleurs.
Il est dans la fourniture de crédits.
Or le banquier de la fable, Martin, ne pourrait pas fournir dans le monde réel les prêts que le fabuliste imagine. Pourquoi diantre les naufragés iraient-ils emprunter à 8% l’an un symbole monétaire ? Personne ne ferait ça. On emprunte :
- pour gagner du temps, pour acheter un bien aujourd’hui sans attendre de constituer les économies nécessaires
- pour effectuer un investissement, équiper un atelier, une clinique, etc.
Les naufragés ne font ni l’un ni l’autre.
Pour les deux raisons que je viens de donner, de nombreux particuliers et entreprises chaque jour souhaitent emprunter. Ils pourraient passer des annonces, taper les copains, etc. mais ils se trouvent qu’un certain type d’entreprises appelées banques se spécialisent dans la fourniture de prêts.
Et ça tombe bien, parce qu’il se trouve aussi que des gens accumulent un excès de leurs revenus sur leurs dépenses et ils souhaitent que cette épargne ne ‘dorme’ pas. Ils pourraient chercher des emprunteurs, seulement il faut les trouver, leur faire confiance, évaluer la solvabilité de leur projet ; ces épargnants préfèrent traiter avec un professionnel qui a pignon sur rue. Le banquier emprunte donc à ces épargnants à un taux d’intérêt convenu et prête la somme à un autre taux en gardant la différence.
Depuis longtemps, lesdits banquiers ont remarqué que tous les épargnants ne retiraient pas leur dépôt en même temps. Le banquier peut donc prêter plus d’argent qu’il n’a reçu. Le banquier crée de l’argent.
Heureusement. Car contrairement à la situation des naufragés, contrairement à celle de l’humanité des tribus et du Moyen Age, depuis le la révolution industrielle, la population mondiale augmente rapidement. Son niveau de vie (d’investissements) s’accroît. Il faut donc financer plus d’investissements.
Si la masse monétaire n’augmentait pas (les banquiers n’avaient pas le droit de créer de l’argent), l’ajustement se ferait par les prix. Plus de monde se partageant la même somme d’argent, les producteurs seraient obligés de baisser les prix, certains iraient en faillite, les chômeurs seraient embauchés à des salaires plus faibles, ce qu’ils accepteraient puisque les prix, les loyers, etc., baisseraient aussi. On serait en déflation.
Pour des tas de raisons trop longues à détailler ici, la déflation n’est pas une solution. L’inflation non plus. Or elle est la conséquence du phénomène inverse, lorsque les banques créent trop de monnaie. Les gens en ont soudain plus dans leur poche, cherchent à acheter plus que ce que les producteurs peuvent fournir, les producteurs sélectionnent les clients qui paient le plus cher, les prix augmentent, etc.
Il faut donc que la production de monnaie reflète exactement la capacité de création de richesse dans une population. Or c’est là que je ne rejoins pas du tout votre souhait : «le recouvrement par les pouvoirs publics de leur prérogative d'émettre la monnaie.”
Non. Car les ‘pouvoirs publics’ poursuivent toutes sortes de stratégies et d’ambitions qui ne passent pas nécessairement par une monnaie saine. Il suffit d’écouter les sirènes qui réclament la fin du ‘pacte de stabilité’, la fin de l’autonomie de la BCE. Comme si le chômage et la stagnation étaient la conséquence d’une monnaie saine !
Bien cordialement
Christian