La gauche extrémiste est devenu le centre politique au Canada.
La culture woke - nous en parlons souvent - est à la version «à la mode» de la rectitude politique à la sauce stalinienne. Comme il est considéré passéiste de réclamer le goulag pour les opposants, on impose plutôt la "cancel culture", terme globish à la mode cachant une réalité nettement plus sombre. Que cette vision séduise la gauche au sens large, on le comprend. Rares sont ceux qui veulent réellement protéger la liberté d'expression de leurs ennemis; alors on approuve plus ou moins tacitement, on dénonce ici et là les excès quand ils frappent un des nôtres sans raison, mais au final, la gauche aime bien ce pouvoir débridé qui lui permet, en jetant une fatwah, d'effacer ni plus ni moins l'ennemi potentiel.
Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est pourquoi la droite commence à adhérer à la culture woke.
Le 18 janvier 2021, le Canada apprenait avec stupeur que l'un des candidats à la chefferie conservatrice, Derek Sloan, avait reçu un chèque de 131 $ du "suprématiste blanc" Paul Fromm, qu'il aurait refusé. Dans les heures qui suivaient, Sloan était éjecté manu militari du Parti conservateur, sans pouvoir répondre de ces accusations (mais au fait de quoi l'accuse-t-on vraiment ?)
Pour comprendre l'affaire, il faut d'abord savoir qui est Derek Sloan, qui est Paul Fromm, et en quoi 131 $ représente un enjeu.
D'abord, Derek Sloan fut le candidat le plus à droite de la campagne conservatrice, le seul à être ouvertement opposé à l'avortement, le seul à être pour une droite morale, le seul à être en faveur de la liberté d'expression. Et justement, Paul Fromm est le directeur du Canadian Association for Free Expression, une organisation basée sur la défense de la liberté d'expression. On peut aisément comprendre pourquoi ce dernier a jugé bon de faire un don à la campagne de Sloan.
Seulement, on reproche à Fromm, qui est aussi un farouche opposant à l'immigration de masse, de défendre la liberté d'expression de tous, ce qui n'est pas convenable dans notre société très "Charlie", mais ni "Soral" ni "Ryssen".
Bref, on assiste à une double association douteuse : Fromm défend la liberté d'expression de ceux qui sont bafoués; il donne de l'argent à Sloan, donc Sloan est un nazi. Bingo ! Il a fallu quelques heures, voire quelques minutes au conservateur Erin O"toole pour conclure sur cette affaire, entérinée par sa députation. Mais la somme aussi représente un certain intérêt. En acceptant une somme d'un homme, on estime que le politicien est lié à ce dernier. Peut-être même qu'il lui doit quelque chose. C'est ce que les journalistes et O'toole semblent croire du moins. Et, conscients de ce que valent les politiciens à l'heure actuelle, ils semblent enclin à croire que la somme de 131 $ est suffisante pour acheter un député à Ottawa !
Il faut croire que la famille Rizzuto qui a investi des milliers de dollars dans le Parti libéral du Québec depuis des années, aurait dû investir à Ottawa et profiter des aubaines ontariennes.
Au-delà de ces réflexions sur l'éthique et la corruption que soulèvent inévitablement cette histoire de 131 $, il reste que cela nous prouve une énième fois le manque de clairvoyance et d'épine dorsale du clan conservateur. Les stratèges conservateurs semblent passer trop de temps à écouter la CBC : ils ne réalisent pas que les délires woke sont minoritaires et qu'il n'y a rien à gagner à jouer contre son propre camp. Que CBC fasse du 131 $ l'affaire du siècle, c'est normal, et c'est même une preuve qu'on dérange un peu. Un candidat conservateur, un parti conservateur, un homme de droite, ne doit pas chercher à obtenir l'assentiment du principal organe de gauche au pays.
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Ceux qui connaissent l'expression "cuckservatives" ou «cocuservateurs» pour les besoins de la francisation, savent pertinemment pourquoi O'toole agit ainsi. Pourquoi avant sa démission «choc» Andrew Scheer refusait de parler de ses idées. Pourquoi l'ancien homme fort de la droite Stockwell Day décida de vouer sa vie à la lutte contre le racisme, démissionnant de toutes ses fonctions pour avoir nié la racisme systémique. Pourquoi le Parti conservateur a éjecté Richard Descarie de la dernière course à la chefferie.
La véritable question n'est pas pourquoi cette fausse droite agit ainsi - elle n'a pas le courage de ses convictions et la vision nécessaire pour les défendre efficacement. La véritable question est pourquoi y a-t-il encore des gens pour voter pour elle ?
- Marie Groulx, «Le Harfang», volume 9, février/mars 2021