Sofia a écrit :Pour quelle(s) raison(s) pensez-vous que les autres partis français (si je comprends bien votre « ailleurs ») proposent quelque chose de pire et de plus dangereux que le FN ?
Bonjour Sofia,
lorsque des catholiques se mettent à débattre de politique, ils en viennent parfois à oublier que chacun peut (et doit) suivre une ligne d'action ou de pensée qui corresponde plus ou moins aux exigences de ce qu’il peut comprendre de la vérité évangélique, dans la foi et l’obéissance à l’Eglise. Comme nous ne sommes pas parfaits, nous avons bien entendu tendance à ériger en autant de petits absolus personnels ce que nous arrivons à comprendre péniblement, et parfois meme ce que nous n’arrivons pas à comprendre, de Dieu, du Christ et de l'Eglise.
Il y a des catholiques qui sont socialistes (même au sein de la Fraternité Saint Pie X) et qui voteront pour le candidat de ce parti, et ils ont certainement pour eux-mêmes les meilleures raisons du monde de l'être et de le faire. Il y a eu autrefois, je ne sais pas s'il y a encore, des catholiques qui votaient (et militaient) pour le parti communiste (j'en ai rencontré énormément), et qui avaient alors aussi leurs excellentes raisons de le faire. D'autres catholiques voteront à droite lors des prochaines élections, et eux aussi auront leurs raisons. Mais les raisons ne sont que des raisons, bien entendu.
Il y a aussi des catholiques qui voteront pour le Front National. A propos de ceux qui ont voté pour le Front National dans le passé, les évêques de France ont envoyé un message que Pneumatis à cité. Ce message, que je ne connaissais pas, je l’avoue, je l’ai lu et je le comprends bien. Je remarque aussi, en passant, que jamais, pas une fois, ces même évêques n’utilisent le terme de “fascisme”… Me sont donc expliquées ici les raisons pour lesquelles il est bien difficile, choquant même, pour les évêques, qu’une certaine catégorie de personnes puissent voter pour un tel parti.
Ce qui me semble frappant, dans la société française comme dans la société dans laquelle je vis actuellement, c’est que le discours des hommes et des partis politiques (parfois aussi de certains évêques) en reste toujours à nous donner, dans une langue éminemment prévisible, convenue et médiatique, dure comme le bois, une version des raisons pour lesquelles ils comprennent le monde, l’économie, la société, le sexe, la religion, de telle façon plutôt que de telle autre et la manière dont ils prétendent s’y prendre (ou ne pas s’y prendre) pour « maîtriser » ou « gérer » les « problèmes » du moment et ceux qui semblent poindre à l’horizon.
Par rapport à ce discours, qu’il soit celui de la gauche ou celui de la droite, un certain nombre de personnes se situent dans une opposition que l’on peut bien qualifier de radicale si l’on veut. Elles ont aussi, pour prendre une telle position, et quoi que l’on puisse en dire, leurs bonnes raisons. Sur l’échiquier politique français, et pour des motifs qui n’appartiennent pas du tout au sujet de ce fil, ce parti semble ne pas avoir une place normale ou qui puisse être justifiée, même si l’on en reconnaît la « légitimité » (sans d’ailleurs bien comprendre ce que signifie ce terme, apparemment) et certains vont même jusqu’à qualifier ce parti de « fasciste » avec un argumentaire qui se réduit le plus souvent à dire qu’il est « fasciste parce qu’il est fasciste et que le dictionnaire indique que le fascisme au sens large c’est du fascisme, et que le Front national est fasciste », mais qui ne dit absolument rien sur les raisons de la présence et du maintien de ce « fascisme » dans la société française, ni n’en explique l’origine et les conditions de façon vraiment intelligible.
Pneumatis nous a expliqué, et de façon très juste, en quoi consistait l’erreur de Maurras et de ses disciples (des « fascistes », eux aussi, sans doute ?), celle d’une grande partie des catholiques de l’extrême-droite française (eux-aussi tous « fascistes » ?). Pourquoi pas. Nous ne sommes cependant plus dans le même contexte de société et de mentalité qu’au temps de l’Action française, ni dans la même perspective historique, et les problématiques spirituelles, intellectuelles, politiques (hautement inactuelles) de cette époque (révolue) n’ont vraiment rien à voir avec ce qui se déploie sous nos yeux.
Le problème, à mon avis (avis toujours discutable, bien entendu, mais à condition de ne pas recourir à l’insulte), c’est qu’il faut tout de même expliquer autrement que par les « raisons » du prêt-à-porter intellectuel habituel de la pensée binaire (1/0 ; +/ -) ou par des références historiques (qu’il n’est pas forcément utile de rappeler), en quoi consiste la survie politique du Front National et l’espèce de popularité dont semble bénéficier Marine Le Pen.
Je pense qu’il y a des gens qui vivent dans un malaise permanent, parce qu’ils sentent confusément que quelque chose est en train de se perdre dans leur vie de tous les jours et qu’ils sentent, tout aussi confusément, qu’il leur sera difficile – voire impossible, non seulement de jamais exprimer ce malaise dans les conditions actuelles de fonctionnement de la société française, mais aussi d’entendre une parole qui vienne les assurer d’une espérance pour l’avenir.
Je pense aussi que ce malaise est essentiellement lié au progressif dévoilement d’un type de culture vraiment inédit, qui affecte l’état même de la société française et les comportements de ses membres. Ce malaise existe aussi dans d’autres pays : il y apparaît d’une façon différente et persiste sous d’autres formes. C’est ce malaise, ressenti confusément, qui peut expliquer (pour une part seulement) que des gens simples comme des gens éduqués, des imbéciles complets comme des gens assez intelligents trouvent préférable de voter pour Marine Le Pen. Ce malaise porte sur la nature même de la démocratie française, et par voie de conséquence sur la culture de notre pays, sur sa langue, etc.
Il est bien évident que ce ne sont pas les partis politiques ou les hommes politiques qui peuvent prétendre créer la culture, pas davantage qu’ils ne peuvent prétendre produire la société où qu’ils peuvent prétendre être à l’origine de tel ou tel état des moeurs. La France n’est pas la Corée du Nord. Tout au plus peuvent-ils exercer un office de contrôle ou de prise en charge, de soutient, qui peut être plus ou moins démocratique. Mais les changements qui affectent une société sont le fait des hommes eux-mêmes, du moins de certains d’entre-eux... et ces changements ne sont pas soumis à la sanction d’un suffrage populaire : ce ne sont pas des processus vraiment démocratiques (par exemple, la Révolution français n’a pas changé la société française, c’est à cause de l’évolution de l’état de la société française et de ses moeurs que la Révolution française a éclaté) . Ces processus, et surtout en France, sont le fait d’une minorité de plus en plus réduite de personnes, que l’on peut désigner pour la commodité sous le nom d’« élites socio-culturelles », parmi lesquelles se dessinent les figures si typiquement française de l’ « intellectuel » (de gauche comme de droite), du « serviteur de l’Etat », du « diplome de grande ecole», etc..
C’est sans doute l’observation du comportement de cette élite, de sa mentalité, de son discours qui pousse tant de gens à se demander à quoi sert au juste la démocratie, et finissent par perdent la confiance qu’ils mettaient dans leurs hommes politiques, et quand il est question de politique, mais pas seulement de cela, c’est aussi cela qui pousse tant de gens à déclarer leur sentiment d’impuissance: à proportion de l’impuissance des politiques à maîtriser les “problèmes” et de l’inefficace de la mise en oeuvre de politiques successives qui apparaîssent comme autant de “retour à l’identique”. L’erreur est simplement de croire que les partis politiques ou les hommes politiques sont la seule explication et la seule origine d’un malaise qui va croissant.
Les hommes et les partis politiques de gauche comme de droite sont devenus dangereux pour notre démocratie, non pas tant qu’ils ne représentent plus rien qu’eux-mêmes ou seulement des intérêt particuliers plus ou moins définissables, mais surtout parcequ’ils n’exercent plus de façon correcte la fonction qui leur est dévolue de par la nature même du politique. Il ne s’agit pas de pester contre le fait que les politiques se contentent d’être les “gérants d’un syndic de faillite”, chargés de liquider le “dépot-vente” qu’est devenue la France en distribuant aux entreprises de “déménagement” ou de “demolition” des primes et commissions… la question est d’une tout autre nature.
Ce qui est, précisément, le pire, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un abandon des “valeurs républicaine” ou d’un simple “ajustement” aux réalités du “monde global” où prime l’économique, mais bien d’une véritable trahison de la démocratie; nos hommes politiques ne font pas de politique du tout: ils se contentent de gagner les elections et d’attendre les prochaines.
Et c’est aussi ce qui est dangereux, dans la mesure ou la démocratie n’est pas vraiment un régime politique, mais plutôt un état de vie, un état d’esprit qui ne peut subsister que s’il est protégé, encouragé, gardé par le politique. C’était, au fond, ce que cette partie du peuple français qui vote aujourd’hui pour le Front national attendait de la bonne vieille République française (et c’est un royaliste qui écrit celà!!!).
Cet état d’esprit démocratique, c’est celui de beaucoup d’hommes et de femme: le mien, le vôtre je veux le croire, celui de Pneumatis, celui de ma femme et celui que j’essaye de faire aimer à mes enfants, et pas seulement une idée que l’on pourrait effacer au nom de n’importe quelle idéologie fondée sur une rationalité totalitaire, globalisante et nihiliste qui revient, en fin de compte, à nier l’existence de la nation française et de toutes les nations, de son histoire et de toutes les histoires, de sa culture et de toutes les cultures; et puisque je suis catholique je me permets aussi d’écrire, non pas seulement de sa religion mais aussi de son âme, et toutes les religions et de l’âme de tous les peuples.
Je n’ai pas de « raisons » particulièrement brillantes à exposer pour justifier un vote en faveur de Marine Le Pen. M’accuserait-on de n’être qu’un idéologue de plus (mais qui n’aurait jamais milité dans aucun parti), ou d’être un raciste xénophobe (ce qu’il faudrait expliquer à ma femme qui n’est pas française et pas d’origine européenne, et à ma voisine qui habite comme moi un pays asiatique), d’être un « fasciste » (toute l’histoire de ma famille et de mon éducation prouveraient l’inanité d’une telle affirmation), que cela ne changerait rien au fait que j’aime mon pays et que je l’aime tel qu’il est et pas tel qu’on veut me le servir ou me le faire imaginer en empruntant des chemins où aucune sanction électorale ne vient troubler la bonne conscience de ceux qui hurlent ou impriment des insanités auxquelles personne ne peut répondre.
D’autres l’aimeront d’une manière différente de la mienne, c’est leur droit le plus strict, et ils voteront pour un autre parti, ce qui est bien normal. D’autres enfin, ne l’aiment pas du tout et s’en vantent : ils ont eux aussi, sans doute, des raisons à celà.
D’autres encore n’éprouvent qu’indifférence à l’égard de la France, qui peut être parfois et est même souvent intéressée (surtout parce qu’elle peut être la source d’agréments strictement personnels - et je ne vise ici aucunement les musulmans de France ou les étrangers qui vivent dans notre pays : ce n’est jamais d’eux qu’il est question dans mon message, nulle part) : ils sont de plus en plus nombreux, ils sont légions même. Ce sont, en premier lieu, les français qui vous expliqueront sans avoir réfléchi trente seconde à l’énormité de leur propos qu’ils n’iront pas voter, parce que... blablabla.
Tout cela est maladroit, écrit à la va-vite. Libre à vous, Sophia, de critiquer tout ce qui vous semblera criticable, stupide, contradictoire ou paradoxal.
Amicalement.
Virgile.