Pour mieux saisir la question du Conseil des arts ...
"... ce serait une euphémisme que de dire que le ministère du Patrimoine canadien a le bras long. Il supervise toutes sortes d'organismes, de fonds, de programmes et de sociétés d'État. En voici une liste écourtée : le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC), l'Office national du film, Condition féminine Canada, le Conseil des Arts du Canada, le Musée canadien des civilisations, le Musée des sciences et de la technologie du Canada, la Société Radio-Canada, Téléfilm Canada, Sport Canada, les Symboles du Canada, toutes les plaques de lieux et de monuments historiques par le biais de la Commission des lieux historiques, le Programme d'aide au développement de l'édition, le Fonds de développement de l'industrie culturelle, les Prix littéraires du Gouverneur général, le Fonds canadien de télévision, le Fonds canadien pour les magazines, Bref, ce ministère est incoutournable pour qui veut travailler dans le domaine culturel au Québec; et ce ministère est épaulé par l'institution impériale du gouverneur général, poste occupé par Michaëlle Jean.
Une fois à la tête de ce ministère, en 1996, Sheila Copps a tout chambardé, et elle s'en vante :
- In my Department, and none of this has been written about, I said : Look, your mission statement in the morning is Did I build Canada today? I don't really give a damn about the Canada Council [...] In Book publishing, for example, they see their mandate as supporting books. I see my mandate as building Canada,
[/i]
- Dans mon ministère, rien n'a été écrit à ce sujet, je leur ai dit : votre mission chaque matin est "Est-ce que j'ai bâti le Canada aujourd'hui?". Je m'en fous du Conseil des Arts [...] Dans le monde de l'édition, ils voient leur mandat comme un appui à l'édition de livres. Moi, mon mandat est de bâtir le Canada.
Autrement dit, après le référendum de 1995 et l'arrivée de Sheila Copps, tous les fonctionnaires du ministère du Patrimoine et des organismes relevant de ce ministère avaient la mission de
bâtir le Canada, non pas de soutenir le cinéma, la musique, la littérature, les arts de la scène, et ainsi de suite.
Comment la ministre Sheila Copps a-t-elle procédé pour bâtir son Canada?
- "Contrairement au programme des commandites et à l'histoire de la Commission Gomery , poursuit Mme Copps, le ministère du Patrimoine a joué un rôle énorme et a travaillé autrement. Mais l'argent a été bien géré, il n'y a pas eu de scandales, et personne ne sait ce qu'on a fait. Vous remarquerez que le mouvement séparatiste avait le monopole sur les artistes, mais que ce monopole n'existe plus, En général, jusqu'au moment où nous avons commencé de travailler sur ces questions, les artistes étaient prêts à se séparer du Canada. C'était difficile d'en trouver pour participer aux célébrations canadiennes.
J'ai réécrit tous les programmes et toutes les ententes de subventions du ministère. Au Québec, ils voulaient une enveloppe qu'ils pourraient distribuer. J'ai dit : non! Nous dépensons beaucoup d'argent par le biais de l'ONF, du Conseil des Arts et des autres. Jamais Coca-Cola ne participerait à des programmes de ce genre. Toutes les ententes devaient préciser la façon dont la contribution serait reconnue. Aussi, j'ai dit qu'il n'y aurait pas de subvention à moins qu'il y ait au moins deux ou trois provinces qui participent à tel festival ou tel événement. Donc, plus d'appui aux identités strictement régionales."
Pour Sheila Copps, le Québec est strictement une identité "régionale".
- "Au ministère, nous ne créons pas le talent, dit Sheila Copps. Mais nous créons les programmes avec les dispositions nécessaires. Nous créons les programmes, eux, ils suivent l'argent. Maintenant, les artistes ont un intérêt personnel et financier dans le fait d'appartenir à un pays plus grand." (We create the programs and they follow the money. So the now have a self-interest in being part of a bigger country)
Sheila Copps précise qu'elle a agit de cette façon pour ce qui concerne [...] tous les festivals, la littérature et l'édition
avec le Conseil des Arts [...]
[...]
Pour faire un parallèle
Le 6 avril 2004, j'ai eu l'honneur et le privilège de partager la tribune avec Cynthia McKinney, représentante démocrate de Georgie au Congrès américain , et de traduire ses propos en français lors d'une conférence sur le 10e anniversaire de la tragédie rwandaise, tenue à la Sorbonne, à Paris, et devant le Club africain à l'Assemblée nationale de France. A deux reprises, la question suivante a été posée à cette combattante remarquable :
- "Qu'en est-il actuellement de ce mouvement de défense des droits des Noirs qui avait tellement marqué les États-unis et le monde dans les années 1960 et 1970?"
Sa réponse a été tranchante :
They've been beaten down or bought off! que j'ai traduit tant bien que mal par : Ils ont été écrasés ou achetés!
Cynthia McKinney a poursuivi en démontrant comment les Martin Luther King, Malcolm X et tant d'autres leaders avaient été éliminés, emprisonnés ou intimidés, tandis que d'autres étaient achetés et corrompus pour refléter une image du progrès, ce qui expliquerait les nominations des Colin Powell et Condoleeza Rice.
"Écrasés ou achetés", deux volets d'une même politique américaine, qui, toutes proportions gardées, a été appliquée aussi, et avec entêtement, par le Canada contre le Québec, au moins depuis les années 1960. En avons-nous saisi l'ampleur? En avons-nous vu les ramifications? En particulier, dans le domaine culturel?
La littérature
Denise Boucher connaît mieux que quiconque cette politique canadienne :
écraser ou acheter. Écrivaine, poète et dramaturge, elle se trouvait parmi les 500 personnes, dont beaucoup d'artistes, arrêtées sans accusations et détenues au secret en 1970 en vertu de la loi sur les mesures de guerre. Elle a passé six jours à la prison de Parthenais et quatre à celle de Tanguay.
Denise Boucher a été également présidente de l'Union des écrivains et écrivaines québécois (UNEQ) de 1998 à 2000. L'UNEQ, rappelons-le, s'était prononcé en faveur de la souveraineté du Québec en 1995 et avait même publié la grande et belle affiche qui suit :
- OUI
Nous sommes un peuple
Il est temps de conquérir notre liberté
Parce que la souveraineté du Québec
est une condition essentielle et urgente
de l'existence, de l'épanouissement et
du rayonnement de notre langue, de
notre littérature et de notre culture
[...]
Ils disent que choisir la souveraineté, c'est
prendre une chance.
La chance de nous gouverner enfin nous-mêmes.
Il prétendent que c'est se replier sur nous-mêmes.
Nous affirmons que c'est au contraire nous ouvrir
sur le monde.
Refusons d'être réduit au statut de minorité!
Ce sont des propos qui ne font pas l'affaire d'Ottawa!
Ottawa ne tardera pas à y répondre, non pas en incarcérant les écrivains et les écrivaines comme en octobre 1970, mais en y mettant tout l'argent et le pouvoir nécessaire pour battre l'UNEQ, et partant tous les écrivains et écrivaines du Québec, sur son propre terrain, d'abord géographique, mais surtout sur son terrain le plus cher, celui de la littérature.
Voici comment Denise Boucher a subi cet assaut contre "l'existence, l'épanouissement et le rayonnement de notre langue, de notre littérature et de notre culture", comme l'avait si bien déclaré l'UNEQ en 1995.
L'UNEQ organisait chaque année depuis 1992 un festival international de littérature. De plus, nous tenions un événement conjoint avec la Quebec Society for the Promotion of English Language Litterature, qui portait le nom de "Write pour écrire".
En janvier 1999, le conseil d'administration de l'UNEQ a organisé une réunion spéciale avec Linda Leith et Ann Charney pour discuter de projets communs. Tous les membres de notre conseil était présents. Linda Leith nous a expliqué que, suivant une suggestion de Gordon Platt, alors directeur du Conseil des Arts du Canada, elles avaient décidé d'organiser un grand festival de la littérature qui porterait le nom de Blue Metropolis Bleu. Elle a invité l'UNEQ à venir sous le grand parapluie de Metropolis Bleu, qui prendrait en charge l'organisation, parce que, disait-elle, Metropolis Bleu avait beaucoup d'argent. En retour, l'UNEQ pourrait participer à la logistique en fournissant un bureau, le téléphone, des photocopieurs, la poste, etc.
J'ai été surprise, poursuit Denise Boucher, parce qu'on avait un festival avec et une activité avec la QSPELL. Alors nous les avons invités à se joindre à nous et à venir sous le parapluie de l'UNEQ. Linda Leith et Ann Charney ont répondu qu'elles devaient consulter d'abord le conseil d'administration de Metropolis Bleu et qu'elles nous reviendraient là-dessus. Nous n'avons plus eu de nouvelles d'elles.
Peu après, on a appris qu'elles allaient de l'avant avec leur festival qui se tiendrait en mars ou en avril 1999, le Festival littéraire international Metropolis Bleu, et, comme par hasard, leur festival devait se tenir un mois avant le nôtre. Depuis 1997, ajoute Denise Boucher, notre festival s'appelait le Festival international de littérature. Le conseil d'administration de l'UNEQ s'est unanimement opposé à la participation de Metropolis Bleu parce que Montréal n,avait pas les moyens de tenir deux festivals de littérature. Le marché est trop limité.
Denise Boucher a consulté tous les anciens présidents de l'UNEQ, fondée en 1977, lesquels l'ont appuyée dans son opposition à Metropolis Bleu : accepter d'y participer équivaudrait à l'abandon pure et simple du festival de l'UNEQ. Denise Boucher a même consulté le dirigeant du fesival "Harbour Front" à Toronto, qui a décrit cette histoire de Metropolis Bleu comme un "hold up". Par la suite, rappelle Denise Boucher, les organisateurs ont commencé à visiter tous nos commanditaires, de sorte que la confusion s'est installé dans les esprits. Comment distinguer le festival international de littérature de l'UNEQ du festival international littéraire de Metropolis Bleu? Même Hydro-Québec nous a retiré sa commandite pour la donner à Metropolis Bleu!
La pression subie par Denise Boucher et par l'UNEQ était extrêment forte en 2000 et les couteaux volaient très bas.
Jacques Hébert et Émile Martel se sont mis de la partie pour amener la "séparatiste" à collaborer avec Metropolis Bleu. Ils ont tenté de convaincre l'UNEQ d'y participer en passant par Bruno Roy, à la fois ancien et futur président de l'UNEQ, en faisant offrir de l'argent par Reford MacDougal pour appuyer le dossier des orphelins de Duplessis, dont Bruno Roy s'occupait. Quand Bruno Roy a refusé de se désolidariser de Denise Boucher, Émile Roy l'a traité de "traître" à sa cause. D'autres tombaient rapidement dans la misogynie en réduisant le conflit à une affaire de filles, traitant Denise Boucher d'alcoolique folle et paranoïaque.
Plusieurs années plus tard, Denise Boucher reconnaît [...] il s'agissait d'une volonté multiculturelle "frankscottienne" et canadienne de minoriser encore et toujours la culture québécoise, le tout dans l'esprit d'octobre 1970 et du programme des commandites.
L'allusion est faite à Frank Scott, poète et professeur de droit à McGill, mentor de Pierre Elliott Trudeau [...] Le socialiste et écrivain Jacques Ferron pensait pouvoir "enquébécquoiser" Frank Scott mais, en 1970, il pris congé définitivement de ce prétendu socialiste lorsque celui-ci s'est prononcé en faveur de la loi sur les mesures de guerre. Pour Ferron, Scott était un McGuillien, figurant parmi ces niais patentés de la célèbre institution, qui se prennent pour des gauchistes dangereux alors qu'ils ne sont que des Rhodésiens.
La version officielle donnée sur les origines de Metropolis Bleu, telle que fournie par le porte-parole de la Fondation Metropolis Bleu, correspond, à quelques accents près, à celle donnée par Denise Boucher.
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Contrairement à la plupart des grands événements et institutions culturelles du Québec, qui commencent par des activités publiques à petite échelle pendant plusieurs années avant d'obtenir un financement public plus important et des commandites privées leur permettant de prendre de l'expansion, Metropolis Bleu a recueilli du financement public au moins un an
avant sa première activité publique au printemps 1999. En effet, il a été crée en juin 1997, dix-huit mois après le référendum de 1995 et presque deux
avant son premier festival.
- "Pour une fois nous avons mis les boeufs d'abord, la charrue après, dit Sophie Cazenave, directrice des communications de Metropolis Bleu. Le premier financement était public et venait ... du Conseil des Arts du Canada en 1998."
Quant aux relations avec l'UNEQ, Sophie Cazenave poursuit :
- "L'UNEQ ne voulait pas un festival multiculturel, alors que nous disions que le festival international devait refléter la réalité montréalaise, et pas seulement le volet québécois local. Il ne devait pas servir non plus à la promotion de la littérature québécoise locale. Nous ne voulions pas de cloisonnement dans une langue."
Source : Robin Philpot, chapitre 14 "Eux, ils suivent l'argent" dans
Le référendum volé, 2005, p.181