Comment devenir un faussaire en art.

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Comment devenir un faussaire en art.

Message non lu par Cinci » lun. 28 juin 2021, 20:18

https://www.youtube.com/watch?v=C9wI-qoI6b8

Le peintre anglais John Myatt dans une session sur le motif avec trois recrues. Tenter une approche "à la Claude Monet" ...



On se douterait pas que le professeur ci-dessus avait pu être impliqué lui-même dans une importante histoire de faussaire sur la marché de l'art.

Portrait-robot

Nom : John Myatt
Naissance : 1945, à Staffordshire (Royaume-Uni)
Domaine d'activité : peinture d'artiste moderne
Durée de l'activité : neuf ans
nombre de faux : 200
Arrestation : 1995
Complice principal : John Drewe
Fortune estimée : 315 000 euros


Les faits

John Myatt est éberlué en cette journée de 1986 lorsque un de ses clients, John Drewe, arrive à son domicile et lui tend une enveloppe contenant 12 500 livres sterling (14 300 euros). C'est une somme colossale pour cet artiste-peintre qui vivote à Sugnall, charmant village du Staffordshire, à une heure de route au nord-ouest de Londres. L'année précédente, sa femme l'a quitté en lui laissant la garde de leurs deux enfants en bas âge, et depuis, il essaye de subvenir à leurs besoins. Certes, il a bien tenter de percer dans la musique, mais hormis son single Silly Games, classé au top 40 britannique en 1979, le succès n'a pas été au rendez-vous. Si bien que ses maigres revenus se bornent à son salaire de professeur d'art à temps partiel et à ses quelques commandes de peintures ... un peu particulières.

En effet, pour améliorer son quotidien, ce fils de fermier a publié une annonce dans l'hebdomadaire Private Eye afin de proposer d'authentiques contrefaçons de peintres célèbres du XIXe et XXe siècle pour 150 livres (171 euros) à toute personne désireuse de décorer sa maison. Le quadragénaire peut aussi, si ses clients le souhaitent, exécuter des pastiches en remplaçant les portraits des peintures par les leurs. C'est par cet entrefilet dans le journal que John Drewe est devenu l'un de ses commanditaires les plus réguliers. Il lui a d'abord demandé un Matisse, puis un Klee, puis deux marines à la manière des maîtres hollandais du XVIIe siècle. Et voilà que cet acheteur prolixe est chez lui afin de le rétribuer généreusement pour sa copie d'une peinture cubiste du Français Albert Gleizes (1881-1953).

Son client aux yeux bleu ardoise explique alors l'avoir vendue chez Christie's pour 25 000 livres, la faisant passer pour une oeuvre authentique, avec un faux certificat. Et s'il s'est déplacé, ce n'est pas seulement pour lui donner sa part, mais aussi pour lui proposer de réaliser d'autres copies afin de les écouler sur le marché de l'art. La tentation est trop grande, et John Myatt se laisse embrigader dans une aventure de faussaire qui deviendra l'une des plus fameuses du XXe siècle.

Le mode opératoire

John Drewe est un homme très intelligent, doté d'un quotient de 165. Toutefois, nul n'a besoin de ce Q.I. pour savoir qu'une bonne histoire et un certificat d'authenticité sont déterminants pour amadouer les experts, collectionneurs et conservateurs de musée.

Il commence en concevant des lettres de propriétaires fictifs, puis imagine un plan machiavélique qui va polluer, entre autres, les archives de la Tate Gallery, du Victoria and Albert Museum, de l'Institute of Contemporary Arts, à Londres. Lettres de recommandation (fausses bien sûr !) en poche, ce soi-disant scientifique se fait passer pour un amateur ou un historien d'art, quand il ne joue pas les mécènes en offrant généreusement 20 000 livres à la Tate Gallery. Dès lors, comment refuser l'accès aux archives à cet honorable citoyen qui circule en Rolls-Royce ?

Un fois à l'intérieur, Drewe ne les spolie pas, mais les enrichit avec de faux documents, ajoutant des provenances imaginaires dans les catalogues d'exposition, des photos en noir et blanc, des reçus et des références de vente, des correspondances entre les artistes et les marchands. Tout ce qu'il faut pour relater l'histoire d'une oeuvre, de sa création à son dernier propriétaire en passant par ses achats successifs et ses expositions. Un pedigree digne des plus beaux lévriers anglais qui convainc les experts les plus récalcitrants sur les origines des peintures présentées aux galeristes ou dans les maisons de vente aux enchères : Philips, Sotheby's, Christie's, etc.

John Drewe commande surtout à Myatt des peuvres d'artistes modernes des années 1900-1950 : Georges Braque, Jean Dubuffet, Marc Chagall, mais aussi Graham Sutherland, Ben Nicholson, Nicolas de Staël, ou encore des pièces signées Le Corbusier.

John Myatt délaisse son métier d'enseignant pour se consacrer entièrement à ses enfants et à sa peinture. Dans son petit atelier, il oeuvre jour et nuit à une cadence incroyable : six semaines pour un Monet ou un Miro, une poignée d'heures pour un crayonné de Matisse. L'histoire retient qu'il lui a fallu cinq heures pour un Nu debout d'Alberto Giacometti, vendu 175 000 dollars (163 000 euros) en 1994, à un galériste de New-York ... après que John Drewe a glissé la photo du faux dans le dossier d'un catalogue d'exposition de 1955, à la Bibliothèque nationale d'art de la Tate Gallery. Les deux hommes ont l'habitude d'effectuer leurs transactions dans un pub londonien, près de la gare d'Euston. Discrètement, les toiles roulées et la grosse enveloppe remplie de billets de banque changent de main.

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Re: Comment devenir un faussaire en art.

Message non lu par ademimo » lun. 28 juin 2021, 21:55

Est-il aussi fort que Wolfgang Beltracchi ?

Cinci
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Re: Comment devenir un faussaire en art.

Message non lu par Cinci » mar. 29 juin 2021, 13:39

Beltrachi possède une fortune évaluée à 16 millions d'euros, après avoir produit et vendu près de 300 faux tableaux, purgé 4 ans de prison (arrêté en 2010). Libre comme l'air : Il a toujours pignon sur rue, vends ses propres toiles sous son vrai nom entre 20 000 et 150 000 euros. Il dit qu'il a déjà vendu un de ses dessins 30 000 euros.

On pourrait quasiment croire que le recel de faux tableaux serait devenu la voie normale pour la reconnaissance d'un artiste-peinte. Quand on aspire à vivre de son art ... Après avoir défrayé la manchette judiciaire, les prix s'envolent chez les collectionneurs.

:)

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Re: Comment devenir un faussaire en art.

Message non lu par ademimo » mar. 29 juin 2021, 13:49

Cinci a écrit :
mar. 29 juin 2021, 13:39
Beltrachi possède une fortune évaluée à 16 millions d'euros, après avoir produit et vendu près de 300 faux tableaux, purgé 4 ans de prison (arrêté en 2010). Libre comme l'air : Il a toujours pignon sur rue, vends ses propres toiles sous son vrai nom entre 20 000 et 150 000 euros. Il dit qu'il a déjà vendu un de ses dessins 30 000 euros.

On pourrait quasiment croire que le recel de faux tableaux serait devenu la voie normale pour la reconnaissance d'un artiste-peinte. Quand on aspire à vivre de son art ... Après avoir défrayé la manchette judiciaire, les prix s'envolent chez les collectionneurs.

:)
Peut-être une conséquence du manque d'enthousiasme suscité par l'art contemporain...

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Re: Comment devenir un faussaire en art.

Message non lu par Cinci » mar. 29 juin 2021, 13:54

(pour finir l'histoire de John Myatt)


La faille


Tout homme devrait savoir qu'une femme bafouée peut devenir sa plus grande ennemie. Les deux escrocs vont l'apprendre à leur dépens. En 1995, Bathseva Goudsmid est anéantie, car John Drewe l'a quittée pour une autre, obtenant la garde de leurs deux enfants, tout en la laissant dans le plus grand dénuement financier. Si la vengeance est un vilain défaut, elle est aussi un geste salvateur - durant un laps de temps, celui de l'action. Trahie, la mère de famille dénonce son ancien amant en apportant à Scotland Yard un sac contenant des documents compromettants, des brouillons de lettres de propriétaires de tableaux et autres papiers à en-tête d'institutions.

Jonathan Searle, de la brigade des oeuvres d'art de Scotland Yard, prend la direction de l'enquête. Ancien peintre, restaurateur et historien de l'art, ce sergent-détective croise son dossier avec des informations antérieures, dont une plainte - demeurée sans suites - du fondateur des Leicester Galleries, Peter Nahum, qui avait repéré et refusé des faux apportés par John Drewe.

Parallèlement à l'enquête, Mary-Lisa Palmer, la directrice de la Fondation Giacometti et ancienne secrétaire du couple d'artistes, est sollicitée pour authentifier le fameux tableau Nu debout, présenté en vente à Sotheby's, à New-York. Le galériste américain qui l'a acheté l'année précédente a fourni les documents attestant de son authenticité. Pour Mary-Lisa Palmer, ces derniers sont trop précis, détaillés, et semblent incohérents avec l'esprit désorganisé du sculpteur. Certes, elle a bien vu la photo de la toile dans le dossier du catalogue d'exposition de 1955, à la bibliothèque de la Tate Gallery, mais ses incertitudes persistent, si bien qu'elle se confie à Jennifer Booth, l'une des archivistes de l'institution.

Cette dernière porte vite ses soupçons sur John Drewe, un homme bien trop affable, bien trop généreux envers ses collègues, leur offrant des repas et des cadeaux. Cela suffit à la spécialiste pour interdire la vente du Giacometti chez Sotheby"s. Et cela a suffi aussi à Jonathan Searle pour interpeller John Drewe, puis John Myatt.

Le premier, après son interrogatoire et une remise en liberté sous caution, en profite pour disparaître. Le second est arrêté un matin de septembre alors qu'il sort de chez lui pour mener son jeune fils au bus scolaire. Coopératif, le faussaire passe aux aveux, estimant avoir gagné près de 275 000 livres (315 000 euros) au fil des ans, dont 30 000 livres (34 000 euros) demeurent encore sur un compte bancaire suisse. Sans regret et soulagé, il se propose de les restituer et d'épauler la police dans l'arrestation de John Drewe. Celle-ci se produit en avril 1996 au domicile du suspect, à Reigate, ville de la banlieue londonienne. Jonathan Searle et son équipe tombent sur une véritable mine d'or constituée de centaines de documents du Victoria and Albert Museum et de l'Institute of Contemporary Arts, de certificats d'authenticité des fondations Dubuffet et Giacometti, des tampons de la Tate Gallery, mais aussi des ciseaux, des rasoirs, de la colle, etc.

Envers et contre tous

Le procès s'ouvre le 22 septembre 1998, après avoir été reporté plusieurs fois pour raisons de santé, John Drewe ayant fourni des certificats médicaux ... falsifiés ! L'auditoire et les juges apprennent alors le parcours sibyllin de cet homme de quarante ans, issu d'une famille de la classe moyenne.

Cet enfant du Sussex a très tôt l'habitude de mentir à ses camarades en déclarant descendre du comte d'York. A dix-sept ans, il prend le nom de jeune fille de sa mère, et travaille un temps à l'Autorité britannique de l'énergie atomique, avant de disparaître durant quinze ans. Une période au cours de laquelle il aurait jeté des pavés avec les manifestants français de Mai 1968, puis étudié la physique à l'université de Kiel (Allemagne), et enfin obtenu un doctorat à celle de Buffalo (État de New-York). Toutefois, il n'apparaît dans aucun registre officiel.

Au début des années 1980, il revient à Londres ou il rencontre Batsheva Goudsmid, et il la séduit en venant la chercher en Rolls-Royce lors de leur premier rendez-vous amoureux. L'élégant jeune homme aux cheveux bruns s'invente des activités élogieuses de scientifique, cachant à sa compagne son métier d'enseignant en physique dans un lycée privé ... une noble profession qu'il abandonne en 1985, devant l'insistance de l'administration scolaire !

Au deuxième jour du procès, John Drewe congédie ses avocats et assume seul sa défense, dans un délire de mythomanie annihilant toute crédibilité. Le voilà agent secret dont le travail est de vendre des faux tableaux pour financer des livraisons d'armes vers les Balkans, en accord avec le gouvernement britannique !

John Myatt se montre beaucoup plus franc, admet ne pas avoir mesuré immédiatement la dimension criminelle de ses actes. En toute bonne foi, il estime sa production à deux cents toiles, évaluées à 27 600 000 euros. Après six mois de procédure, le tribunal rend son verdict le 13 février 1999, condamnant John Myatt à un an de prison et John Drewe à six ans d'emprisonnement.

Les conséquences

John Drewe purge sa peine à la prison de Pentonville, au nord de Londres. Libéré au bout de trois ans, il retourne en cellule en mars 2012, condamné à huit ans pour avoir escroqué une vieille dame et volé toutes ses économies.

A la maison d'arrêt de Brixton, au sud de Londres, John Myatt se montre un occupant exemplaire peignant pour ses codétenus. «Picasso», comme le surnomment affectueusement ses compagnons d'incarcération, est libéré après quatre mois d'emprisonnement. Depuis, il collabore avec Scotland Yard dans la lutte contre la fraude et la contrefaçon dans l'art, mais seuls soixante-treize de ses faux ont été retrouvés et détruits. Il peint aussi sous son vrai nom, profite de sa renommée pour exposer et s'attirer une clientèle médiatique. Sa cote est appréciable et son site internet témoigne de ses activités. Pour l'anecdote, Jonathan Searle a été le premier à lui passer commande à sa sortie de prison, un Ben Nicholson, certifié ... faux !

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