Désobéissance civique chrétienne ?

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Désobéissance civique chrétienne ?

Message non lu par wanderer » mer. 09 mars 2005, 19:41

[align=justify]Je pense que vous serez très nombreux ici à être d’accord avec moi pour dire que la dernière loi sur la laïcité à l’école est liberticide et scandaleuse. Pour quelle raison un professeur ou un élève n’aurait-il pas le droit de porter sa croix ?

Le fait que l’enseignement soit laïc n’implique pas que les hommes n’aient plus la liberté d’exprimer leur opinion, on croit rêver. La liberté du croyant est injustement réduite sans qu’on en comprenne bien la raison, mais passons. Ce qui m’intéresse dans cette discussion, c’est que j’ai écouté à la télévision (ça fait longtemps déjà) que le pape nous invitait à porter ostensiblement des insignes religieuses pour témoigner au monde de notre foi et annoncer la bonne Nouvelle (si quelqu’un connaît le texte précis, je suis preneur). Cela implique dans notre pays, pour un enseignant dans le public de choisir entre ce que demande le pape et ce que demande l’employeur (l’Etat en l’occurrence). Comme je ne connais pas précisément le texte ou l’allocution de Jean-Paul II (peut-être y a-t-il les précisions pour le cas où l’employeur refuse ce droit, on peut alors imaginer de porter ces insignes hors du travail uniquement), prenons alors un cas virtuel. Imaginons le cas d’une loi qui serait vraiment contraire à l’enseignement de l’Eglise. Je ne sais pas, mettons une obligation pour un médecin de pratiquer l’euthanasie. Je pense que cela n’existe nulle part, mais admettons. A qui ce médecin catholique devrait-il obéir ? Spontanément, j’ai envie de dire l’Eglise, mais l’Eglise enseigne aussi de respecter le pouvoir des princes. Ce commandement vaut-il aussi pour un ordre qui serait contraire à la morale ? Y a-t-il des précédents ? Peut-on parler de désobéissance civique chrétienne ?[/align]

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Christophe
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Objection de conscience

Message non lu par Christophe » mer. 09 mars 2005, 23:10

Bonsoir Wanderer,

Je pense que cet extrait du Magistère répond parfaitement à votre question :

[align=justify]" Il n'existe qu'une seule raison valable de refuser l'obéissance ; c'est le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin, car là où il s'agirait d'enfreindre soit la loi naturelle, soit la volonté de Dieu, le commandement et l'exécution seraient également criminels. Si donc on se trouvait réduit à cette alternative de violer ou les ordres de Dieu ou ceux des gouvernants, il faudrait suivre le précepte de Jésus-Christ qui veut " qu'on rende à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu (Matth. XXII, 21) ", et, à l'exemple des Apôtres, on devrait répondre : " Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (Act. V, 29)." Et il ne serait pas juste d'accuser ceux qui agissent ainsi, de méconnaître le devoir de la soumission ; car les princes dont la volonté est en opposition avec la volonté et les lois de Dieu, dépassent en cela les limites de leur pouvoir et renversent l'ordre de la justice ; dès lors, leur autorité perd sa force, car où il n'y a plus de justice, il n'y a plus d'autorité. "
S.S. le Pape Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud, "Sur l'origine du pouvoir civil" (1881)

Pour revenir à votre exemple, que la loi sur la laïcité à l'école soit une violation de la liberté religieuse, c'est assez évident. Pour autant, je ne crois pas qu'un élève ou un professeur chrétien aura - d'après les critères d'une légitime désobéissance - le droit moral d'enfreindre cette loi. En effet, respecter cette loi - c'est-à-dire occulter tout signe d'appartenance religieuse - ne serait pas un pêché. Il faut donc, en conscience, se résigner à appliquer cette loi injuste. Le cas est tout différent dans le cas d'une euthanasie qui constitue un homicide et une violation de la loi naturelle.

Bien à vous en Christ
Christophe[/align]
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Message non lu par guelfo » jeu. 10 mars 2005, 18:27

Il me semble que le critère proposé par Christophe, soit, si j'ai bien compris, qu'on ne peut enfreindre une loi que si son respect constitue pas un péché, est plus restrictif que celui que propose l'encyclique qu'il cite, soit "Il n'existe qu'une seule raison valable de refuser l'obéissance ; c'est le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin, car là où il s'agirait d'enfreindre soit la loi naturelle, soit la volonté de Dieu, le commandement et l'exécution seraient également criminels."

La loi naturelle comporte également la liberté de conscience et la liberté d'expression.
Deus lo volt

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Message non lu par Christophe » jeu. 10 mars 2005, 21:21

guelfo a écrit :Il me semble que le critère proposé par Christophe, soit, si j'ai bien compris, qu'on ne peut enfreindre une loi que si son respect constitue pas un péché, est plus restrictif que celui que propose l'encyclique qu'il cite, soit "Il n'existe qu'une seule raison valable de refuser l'obéissance ; c'est le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin, car là où il s'agirait d'enfreindre soit la loi naturelle, soit la volonté de Dieu, le commandement et l'exécution seraient également criminels."

La loi naturelle comporte également la liberté de conscience et la liberté d'expression.
[align=justify]Bonsoir Guelfo :)

Si l'on ne lit que la première phrase de l'extrait cité, à savoir " Il n'existe qu'une seule raison valable de refuser l'obéissance ; c'est le cas d'un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin ", on pourrait effectivement comprendre que la légitime désobéissance concerne tout précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin ( donc notamment ceux qui violent la liberté de conscience et la liberté d'expression ). Pourtant, si l'on prend la peine de lire et de comprendre l'argument développé dans la suite de l'extrait, il est manifeste que c'est le seul devoir d'obéissance à Dieu qui oblige à la désobéissance civile : "Si donc on se trouvait réduit à cette alternative de violer ou les ordres de Dieu ou ceux des gouvernants [...] on devrait répondre : " Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (Act. V, 29)." ".

Je n'ai trouvé nul part de justification du droit à transgression d'une loi injuste qui n'obligerait pas celui qui l'appliquerait à commettre un pêché.

Enfin j'ajoute que le droit à la désobéissance civile est un droit moral qu'il est pratiquement impossible de reconnaître civilement...

Bien à vous
Christophe[/align]
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Message non lu par VexillumRegis » jeu. 05 mai 2005, 9:26

Sur cette question de l'obéissance, voyons ce qu'en dit S. Thomas :

[align=justify]Comme nous l’avons dit, celui qui obéit est mis en mouvement sur l’ordre de celui qui commande, par une certaine nécessité de justice, comme un être naturel est mis en mouvement par l’être qui l’actionne, par une nécessité de nature. Que ce mouvement ne se produise pas, cela peut tenir à deux causes. D’abord à cause d’un empêchement qui provient de la puissance supérieure d’un autre moteur; c’est ainsi que du bois ne brûle pas si trop d’humidité l’empêche de s’enflammer. Ou bien par un manque de relation entre le mobile et le moteur, parce que le mobile est bien soumis à l’action du moteur sur un point, mais non sur tout. Par exemple l’humidité est parfois soumise à l’action de la chaleur de façon à être réchauffée, sans pouvoir être desséchée ou absorbée.

De même il peut arriver pour deux motifs que le sujet ne soit pas tenu à obéir en tout à son supérieur.

- A cause de l’ordre d’un supérieur plus puissant. Sur le texte (Rm 13, 2) : “ Ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation ”, la Glose commente : “ Si le commissaire donne un ordre, devras-tu l’exécuter si le proconsul ordonne le contraire? Et si le proconsul donne un ordre, et l’empereur un autre, n’est-il pas évident qu’en méprisant le premier, tu dois obéir au second? Donc si l’empereur donne un ordre, et Dieu un autre, tu devras mépriser celui-là et obéir à Dieu. ”

- L’inférieur n’est pas tenu d’obéir à son supérieur si celui-ci donne un ordre auquel il n’a pas à se soumettre. Car Sénèque écrit : “ On se trompe si l’on croit que la servitude s’impose à l’homme tout entier. La meilleure partie de lui-même y échappe. C’est le corps qui est soumis et engagé envers les maîtres; l’âme est indépendante. ” C’est pourquoi, en ce qui concerne le mouvement intérieur de la volonté on n’est pas tenu d’obéir aux hommes, mais à Dieu seul.

On est tenu d’obéir aux hommes dans les actes extérieurs du corps. Cependant, même là, selon ce qui relève de la nature du corps, on n’est pas tenu d’obéir aux hommes, mais seulement à Dieu, parce que tous les hommes sont naturellement égaux, par exemple en ce qui concerne la nourriture et la génération. Donc les serviteurs ne sont pas obligés d’obéir à leurs maîtres, ni les enfants à leurs parents, pour contracter mariage ou pour garder la virginité, etc.

Mais en ce qui concerne l’organisation de son activité et des affaires humaines, le sujet est tenu d’obéir à son supérieur dans les limites de leur autorité; ainsi le soldat au chef de l’armée en ce qui concerne la guerre ; le serviteur à son maître en ce qui concerne le service à exécuter; le fils à son père en ce qui concerne la conduite de sa vie et l’organisation domestique, et ainsi du reste
.

:arrow: Somme Théologique, II, II, q. 104, a. 5.

On n’est tenu d’obéir aux princes séculiers que dans la mesure requise par un ordre fondé en justice. Et c’est pourquoi, si les chefs ont une autorité usurpée, donc injuste, ou si leurs préceptes sont injustes, leurs sujets ne sont pas tenus de leur obéir, sinon peut-être par accident, pour éviter un scandale ou un danger.

:arrow: Somme Théologique, II, II, q. 104, a. 6.

Références trouvées dans : Saint Thomas d'Aquin, Petite somme politique, anthologie de textes politiques traduits et présentés par Denis Sureau, Téqui, 1997, pp. 185-186.[/align]

- VR -

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Message non lu par Jean-Pierre DALIBOT » jeu. 05 mai 2005, 15:12

"Le sabbat a été faît pour l'homme et non l'homme pour le sabbat".Mc 3,27
La loi est faîte pour l'homme et non l'homme pour la loi.
"N'allez pas croire que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes: je je suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir". Mt 5,17
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Message non lu par sola » jeu. 05 mai 2005, 23:18

hélas (?) rien ni personne jamais ne nous déchargera du fardeau de la liberté et de la conscience personnelle. le statut de l'obéissance n'est jamais bien clair. dans les couvents les plus sévères, et dans l'armée, il y a des clauses de désobéissance 'obligatoire' (quand les ordres vont à l'encontre du bien), et chacun est laissé ensuite à soi-même... très douloureusement libre...

mon gd-père gendarme pendant la guerre de 39-45 a refusé de faire des rafles de juifs, non parce que c'étaient des juifs mais parce que c'étaient des civils et qu'on lui avait appris à l'armée que la guerre, c'est l'affaire des armées, pas des civils. il a payé cher cette désobéissance. mais elle était nécessaire et trop peu l'ont exercée. il a été très seul et il faut accepter ce risque, celui de la solitude. même sa famille ne le comprenait pas.

bien sûr il faut toujours garder à l'esprit que l'on peut être seul parce qu'on a tort, ainsi ne jamais en faire une cause d'orgueil, mais quand même savoir prendre ce risque.

je précise que mon gd-père n'était pas chrétien du tout mais, faisant partie de l'armée, grande institution comparable à celle de l'Eglise, c'est comme ça que m'est venu le parallèle.
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Message non lu par guelfo » ven. 06 mai 2005, 10:39

La liberté n'est pas un fardeau; elle est l'essence de la condition humaine. Et ton grand-père était un homme d'honneur.
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