Le rapport de notre société à la mort à l'ère du coronavirus

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Riou
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Le rapport de notre société à la mort à l'ère du coronavirus

Message non lu par Riou » jeu. 24 juin 2021, 22:19

Bonjour,

Voici un témoignage poignant d'une femme qui a perdu son père récemment :

https://radionotredame.net/2021/grand-t ... me-313666/

Peut-on parler de barbarie? D'un rapport "industriel" à la mort? Peut-on encore parler de "soin"?
Je crois que ce fait signifie bien au-delà de lui-même : il indique une certaine manière de comprendre l'homme.

Altior
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Re: Le rapport de notre société à la mort à l'ère du coronavirus

Message non lu par Altior » ven. 25 juin 2021, 13:47

Riou a écrit :
jeu. 24 juin 2021, 22:19

https://radionotredame.net/2021/grand-t ... me-313666/
Comme il est décrit dans ce réportage écoeurant, il y a eu des centaines, sinon de milliers de cas pareils. Dans tous les pays, la Roumanie y comprise. De telle façon qu'on arrive à avoir une impression de concertation, voire d'un centre unique de pouvoir transversal qui a commandé tout ça.
Je crois que ce fait signifie bien au-delà de lui-même : il indique une certaine manière de comprendre l'homme.
Mais bien sûr. Et le plus inquiétant c'est que je n'ai jamais si souvent que de nos jours entendu des expressions comme « mourir en dignité ». Vidées de tout leur sens. Si jamais mes premiers parents n'ont pas été créés par Dieu à partir de materia informa, mais d'un ancêtre des singes comme prétendent des uns, alors à coup sûr le moment de basculement a été lorsque le premier humanoïde a entérré son père singe. Eh bien, on est amenés à parcourir le chemin inverse.
Puis, tout devient normal vu que les humains sont des bêtes. Des bêtes évoluées, bien d'accord, mais ontologiquement des bêtes: si une bête tombe gravement malade, alors on doit l'euthanasier en lui administrant du fentanyl de préférence. Peu importe que ça déprime les centres respiratoire, c'est pour qu'elle soit apaisée. Puis, si une bête morte risque de contaminer tout le bétail, ne trouvez-vous pas normal qu'elle soit mise dans une enveloppe étanche pour être éliminée, de préférence par crémation ? Et quoi de plus absurde que de donner les derniers Sacrements aux bêtes malades ?

Cinci
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Re: Le rapport de notre société à la mort à l'ère du coronavirus

Message non lu par Cinci » ven. 25 juin 2021, 15:04

C'est une question qui préoccupait déjà un Vittorio Messori dès le début des années 1980. On peut penser qu'il était visionnaire là-dessus alors que la situation ne se sera sûrement pas améliorée entre temps soit des années 1980 à aujourd'hui.

Un exemple de ce qu'il écrivait en 1984 :

Pari sur la mort. L'espérance chrétienne : réalité ou illusion ?

par

Vittorio Messori

«.... Mais les vieux ? Ne rappellent-ils pas la même réalité, ne sont-ils pas eux aussi des signes intolérables, par leur seule vue ? Qu'Ils disparaissent donc eux aussi : Raus ! comme criaient les nazis à qui dérangeaient leur système économique et idéologique.

Je n'exagère pas; je m'efforce, ici aussi, de rester collé aux faits objectifs. La névrose sans remède qui pousse, à l'est comme à l'ouest, au culte nouveau et maniaque du jeune, comme étant le plus éloigné de la mort, oblige (il ne peut pas ne pas le faire) à «démoniser» le vieillard et la vieillesse.

Peut-être plus encore que les femmes (la moitié de l'humanité), les vieillards constituent le nouveau prolétariat opprimé tant à l'Est qu'à l'Ouest. [...] Il ne pouvait en être autrement : le vieillard devait tenir le rôle du nouveau lépreux, du pestiféré à isoler dans une maladrerie souvent physique, toujours psychologique [...]

L'excommunication sociale n'est pas seule à rendre bien plus cruelle qu'à toute autre époque la condition de celui qui s'achemine vers la mort.

[...]

Vivre d'une façon humaine, cela signifie donner et prendre, offrir et recevoir. Maintenant, les vieillards ne peuvent plus offrir la seule chose qu'ils ont : l'expérience, la sagesse. «Ainsi», dit E. Kübler Ross en s'appuyant sur ses recherche, «on fait naître chez beaucoup le désir de mourir parce que, n'ayant plus rien à donner, il ne leur sert plus à rien de vivre.»

L'homme d'aujourd'hui, brutalement mis à la retraite anticipée, a été poussé dès son enfance à se «réaliser» au sens économique et social : tout, à l'école, n'est fait qu'en fonction du marché du travail. Une fois encore, et pour la première fois dans l'histoire, le but de l'éducation, ce n'est plus la formation globale de l'homme mais seulement le développement de quelques unes de ses capacités de travail. La perspective de l'avoir fait dédaigner celle de l'être qui soutenait tout système éducatif. La question primordiale n'est plus : que dois-je apprendre, savoir, pour devenir un homme, et un homme complet ?

Tout ceci coûte humainement, et le prix, à la fin, en sera payé par tout le monde.

Entré dans le cercle de production, l'homme est poussé par un mécanisme implacable à essayer d'avoir le plus de succès possible. Mais toutes les carrières sont organisées de façon à t'expulser - en te mettant à la retraite anticipée pour faire place aux nouvelles victimes qui attendent à la porte - quant tu es parvenu, si tu l'as pu, à ce but final pour lequel tu t'es battu toute ta vie : être un homme «arrivé». Mais arrivé ou ? Te voilà non seulement rejeté loin de ce qui était tout ton monde, mais également confronté brusquement et durement à cet être qu'on avait cherché à te cacher toute ta vie.

On t'avait fait croire que tout peut être résolu en termes sociaux; maintenant, la société t'abandonne.

Les nouvelles générations doivent être soustraites au voisinage tant physique qu'affectif de ceux qui sont vieux pour ne point courir le risque d'être distraits par des réflexions dangereuses. Il est à croire que longtemps sera valable l'amère réflexion d'un des plus fameux gérontologues américains, Edward L. Bortz : «Nous sommes certes parvenus à augmenter le nombre des années de vie. Mais nous n'avons pas donné plus de vie à ces années.»
et
Le crime de deuil

Un interdit, un autre ! a été lancé contre qui est en deuil et contre le deuil lui-même, le déclarant inconvenant - comme tout ce qui sent la mort - et l'effaçant par force de nos convenances sociales. Sandro Sponsanti écrit : «Le deuil est devenu un comportement social déviant, criminel, que notre société se basant sur le trinôme santé-jeunesse-bonheur, ne tolère plus.» Si quelqu'un tentait d'enfreindre l'interdiction sociale en s'obstinant à manifester même extérieurement sa douleur, il serait immédiatement puni par le vide qui se créerait autour de lui. Il existe un lieu caché, jamais assez invisible, pour les tombes; il existe un ghetto pour les mourants, pour les vieux; mais il y a aussi un lieu pestiféré pour y reléguer en quarantaine celui qui, atteint de près par la mort, à l'impudence de ne pas faire comme si de rien n'était.

En nous arrachant ceux qui nous sont le plus proches, la mort ouvre en nous une profonde blessure. Comme celles qui nous atteignent physiquement, les blessures intérieures, pour pouvoir se cicatriser peu à peu, doivent être soignées. Ce n'est certes pas un hasard si les rites et coutumes de deuil sont une constante inéluctable de toutes les sociétés. Sauf des nôtres aujourd'hui.

Freud parle d'un indispensable, libérateur, trauerarbeit, un «travail de deuil» : si celui-ci vient à manquer parce que - comme cela se produit aujourd'hui - il est tacitement mais non moins durablement interdit, non seulement les souffrances se multiplient pour celui qui souffre déjà, mais il s'ajoute un grave élément de déséquilibre pour toute la société.

Mais le tabou de la mort est aujourd'hui si rigoureux, si enraciné, que les avis des psychologues et psychanalystes - pourtant si écoutés en bien d'autres domaines - sont escamotés, étouffés.

Philippe Ariès, par exemple, déclare : «L'appréciation du deuil et de son rôle indispensable par les psychologues est exactement l'opposé de celle de la société. Celle-ci considère désormais le deuil comme morbide, tandis que, pour les psychologues, c'est la répression du deuil qui est morbide. C'est un cas unique. En effet, toutes les idées des psychologues (sur la sexualité, le développement de l'enfant, etc.) qu'elles soient justes ou fausses, ont été vulgarisées et assimilées par la société occidentale. Seules leurs idées sur le deuil et sur sa fonction bénéfique ont été ignorées du public et cachées par ceux qui contrôlent les mass-médias. Devant la mort, même les nouveaux maîtres sont impuissants.»

C'est bien inutilement que les experts rappellent que l'abolition des signes liés à la mort crée une tension insoutenable, une authentique pathologie individuelle et sociale de la douleur non résolue qui débouche en dépression, en suicides ou en manifestation de violence collective, celles que les journaux diront «inexplicables». Ces mêmes experts observent que le poids de la douleur est d'autant plus supportable qu'il y a plus de personnes pour s'en charger. Or, à présent, la famille peu nombreuse, les liens de parenté qui se relâchent, l'éclatement des rapports sociaux font en sorte que le terrible fardeau d'affectivité libéré par la mort n'est plus réparti que sur quelques uns, et devient pour eux écrasant.

Autrefois, la mort d'un proche était partagée par un grand nombre. De plus, elle ne détruisait pas la vie affective, et des substitutions étaient en quelque sorte possibles. Peu ou rien de tout cela, aujourd'hui. Et, de surcroît, il s'est ajouté l'interdiction de tout rite funèbre tendant au soulagement psychologique.

gerardh
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Re: Le rapport de notre société à la mort à l'ère du coronavirus

Message non lu par gerardh » sam. 26 juin 2021, 12:35

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Bonjour,

Pour le chrétien, "vivre c'est Christ et mourir c'est un gain" (Philippiens 1).

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