A propos de cet événement-phare de 1871 ...
On est ébahi lorsqu'on voit tout ce que la Commune a réalisé :
L'égalité des salaires entre hommes et femmes. La reconnaissance de l'union libre. Le combat contre la prostitution. La réquisition des logements vides et l'interdiction des expulsions. Les étrangers sont devenus de véritables citoyens et peuvent avoir le même travail que les Français , y compris dans l'administration. Des mesures sociales importantes ont été prises. Par exemple l'interdiction du travail de nuit et des retenus sur les salaires. Edouard Vaillant, délégué à l'Instruction publique, développe des cours du soir pour adultes, et crée des structures pour l'enseignement professionnel. La justice est gratuite. Le serment politique pour les fonctionnaires est aboli. L'Église et l'État sont séparés. L'enseignement devient laïc. Grâce à Courbet et à sa fédération des artistes, une politique culturelle est mise en place. Des plans ont été élaborés pour que les ouvriers prennent en main la conduite de leur entreprise. Et tout ceci en deux mois et dans un contexte pour le moins difficile. Paris est encerclé par les Prussiens, et les versaillais sont là aux portes.
Vous pensez bien que cette prise du pouvoir par les ouvriers qui n,avaient rien était insupportable pour les riches et les bourgeois qui possédaient tout. Ils étouffaient de rage, nos nantis ! Thiers et ses sbires ne pouvaient laisser passer cela ! "Le misérable Thiers." Thiers le criminel qui n'hésitait pas à employer les grands moyens de massacreur - on se souvient de la tuerie de la rue Transnonain, de la répression de la révolte des canuts. Thiers, "ce singe autorisé pour un moment à donner libre cours à ses instincts de tigre", selon Marx.
Dans Le Figaro :
"Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et internationale."
Le résultat : les ruraux imposent l'ordre à la mitrailleuse. On parle de trente mille morts. Des cours martiales jugent et fusillent. Une hécatombe. On massacre même les femmes, les enfants, les vieillards.
Écoutez le comte Albert de Mun :
"Lorsqu'on les a fusillés, ils sont tous morts avec une sorte d'insolence ..."
Et dans Le Figaro encore, on pouvait lire :
"On demande formellement que tous les membres de la Commune, que tous les journalistes qui ont lâchement pactisés avec l'émeute triomphante, que tous les Polonais interlopes et les Valaques de fantaisie soient passés par les armes devant le peuple rassemblé."
Je donne la parole à Paul Martine. Voici ce que l'on peut lire dans ses Souvenirs d'un insurgé :
On venait de perquisitionner dans une maison. Les soldats en avaient extrait un combattant des derniers jours, dénoncé par quelques voisins. Cet homme savait qu'il allait mourir. Il s'adressa à un chef de bataillon qui guidait ses recherches, et lui demanda comme suprême grâce, d'embrasser sa femme et ses enfants. Le commandant hésite un instant, puis sourit, et ordonne de faire descendre la famille. A peine est-elle en bas de l'escalier, se précipitant vers le malheureux qui va mourir : "Fusillez-les tous !" crie l'officier. Pèle-mêle, on égorgea le mari, la femme, et les enfants.
Des scènes comme celle-ci étaient monnaie courante.
Les versaillais avaient, de surcroît, fait plus de quarante-trois mille prisonniers, dont trente-cinq mille hommes, huit cent femmes, cinq cent enfants, environ, qui furent jugés par la justice militaire pendant quatre ans. Ils furent condamnés, soit à la peine de mort, soit à la réclusion, à la déportation, aux travaux forcés.
La haine des versaillais à l'encontre des communards était telle qu'on a vu des hommes déculotter des morts pour leur botter les fesses, et certaines bourgeoises crever les yeux des cadavres avec la pointe de leur ombrelle.
Et nos écrivains, me direz-vous, qu'ont-ils fait ? Pourquoi ne se sont-ils pas élevés contre ces massacres ? Mais ils faisaient tous partie de la bourgeoisie, nos grandes gloires littéraires ! Ils étaient à leur place avec les versaillais. Ils étaient tous des gens bien nés.
L'égalité sociale, pour eux ? Laissez-moi rire ! Ils n'en finissaient pas de vomir la Commune ! L'égalité sociale, ils la combattaient ! Écoutez Flaubert, vous serez édifiés :
"Le rêve socialiste, n'est-ce pas de pouvoir faire asseoir l'humanité, monstrueuse d'obésité, dans une niche toute peinte en jaune, comme dans les gares de chemin de fer, et qu'elle soit là à se dandiner sur ses couilles, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeûner, attendant le dîner et faisant sous elle ? Ah ! je ne crèverai pas sans lui avoir craché à la figure de toute la force de mon gosier" (Lettre à Louise Colet, nuit du 2 au 3 mars 1854)
Jean-Paul Sartre avait écrit qu'il tenait Flaubert pour responsable du massacre des communards lors de la répression versaillaise pour ne pas avoir protesté. Non seulement Flaubert ne l'avait pas fait, mais au contraire il avait approuvé cette répression, et lâché sa hargne contre les communards eux-mêmes : " Je trouve qu'on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simple forçats." Pensez donc ! Les classes populaires étaient avant tout des classes dangereuses, le prolétariat étant une race nuisible, les ouvriers des bêtes enragées. Ces messieurs de la plume ne cessaient de rugir et sangloter au nom de la liberté.
Liberté qu'analysait ainsi Blanqui :
"La liberté qui plaide contre le communisme, nous la connaissons, c'est la liberté d'asservir, la liberté d'exploiter à merci, la liberté des grandes existences, comme dit Renan, avec les multitudes pour marchepied. Cette liberté-là, le peuple l'appelle oppression et crime" (critique sociale)
Lorsque Leconte de Lisle conspue "cette ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, romanciers de bas étage", il devait penser à la poignée d'écrivains comme Viliers de L'isle-Adam, Verlaine, Rimbaud, Hugo, Clément, Vallès, et au peintre Gustave Courbet, qui eux se sont rangés à des degrés divers du côté des communards.
Flaubert, dans une lettre à George Sand :
"Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain." Et dans une autre lettre : " L'instruction obligatoire et gratuite n'y fera qu'augmenter le nombre des imbéciles. Le plus pressé est d'instruire les riches qui, en somme, sont les plus forts."
Alphonse Daudet : "La Commune : un bal burlesque d'orangs-outans atteint de satyriasis." Les communards ? " ... des têtes de pions, collets crasseux, cheveux luisants, les toqués, les éleveurs d'escargots, les sauveurs du peuple, les déclassés, les tristes, les traînards, les incapables; pourquoi les ouvriers se sont-ils mêlés de politique ?" Et même Zola, en qui on a du mal à reconnaître l'auteur de J'accuse : "Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en grandeur."
Quant à Dumas fils : "Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes."
Et enfin Edmond de Goncourt :
"On les bat à la mitrailleuse. Quand j'ai entendu le coup de grâce, ça m'a libéré."
Source : François Perche, "Préface" dans La revanche des Communeux, 2011
Pour mémoire : c'est de l'écroulement du Second empire avec la guerre de 1870 et la liquidation de la Commune justement que sera sortie pour de bon la République française, et alors la fameuse IIIe république (des bourgeois) qui va finir par être emportée lors de la débâcle de juin 1940.