Le retour du fils prodigue

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Cinci
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Le retour du fils prodigue

Message non lu par Cinci » sam. 21 sept. 2019, 1:13

Un livre qui m'a été recommandé par le vicaire de ma paroisse Le retour de l'enfant prodigue par Henri J.-M. Nouwen.

En quatrième de couverture :
"La découverte fortuite d'un tableau de Rembrandt, Le retour de l'enfant prodigue, a déclenché chez Henri Nouwen une remise en question et une quête spirituelle qui devaient l'amener à quitter la grande université américaine ou il enseignait, pour accompagner des personnes handicapées de l'Arche.

En relisant sa propre vie à la lumière de la grande oeuvre de Rembrandt, Henri Nouwen nous fait redécouvrir l'intransigeance et le pardon, la bonne conscience et la compassion. Ce retour à la maison ne pourra laisser indifférent qui a connu la solitude, la détresse, la colère ou la jalousie. C'est que cette expérience partagée du défi qu'il y a à aimer comme le père et à être aimé comme l'enfant prodigue nous renvoie à l'essentiel du message de l'Évangile.

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Cinci » sam. 21 sept. 2019, 2:13

Extrait 1 :
... pour comprendre vraiment le mystère de la compassion, je dois regarder honnêtement la réalité qu'elle évoque. Le fait demeure que, bien avant que le fils se lève et revienne, il a d'abord dit à son père : "Donnes-moi la part de fortune qui me revient", puis il a ramassé tout son avoir et il est parti. L'évangéliste Luc le raconte d'une façon tellement simple et comme si cela allait de soi, qu'on a de la difficulté à réaliser pleinement qu'il se passe ici quelque chose d'inusité : c'est blessant, offensant et en contradiction radicale avec la tradition la plus respectée du temps. Dans son explication pénétrante de la parabole de Luc, Kenneth Bailey montre que la façon de partir du fils équivaut à vouloir la mort de son père.

Bailey écrit :

Ça fait quinze ans que je demande à des personnes de toutes conditions, du Maroc jusqu'à l'Inde et de la Turquie jusqu'au Soudan, quelles seraient les implications si un fils demandait son héritage pendant que son père est encore vivant. La réponse sans équivoque a toujours été la même ...

- Est-ce que quelqu'un a déjà fait une demande semblable dans votre village ?
- Jamais !
- Est-ce que quelqu'un pourrait faire une telle demande ?
- Impossible.
- Si quelqu'un osait le faire, qu'arriverait-il ?
- Son père le battrait, bien sûr !
- Pourquoi ?
- Parce que la demande signifie qu'il souhaite la mort de son père.

Bailey explique que le fils demande non seulement le partage de l'héritage, mais aussi le droit de disposer de sa part. Ici, le fils cadet reçoit, ce qui suppose qu'il a demandé la disposition de ce à quoi, de façon plus explicite, il n'a pas droit avant la mort de son père. L'implication "Père, je ne peux pas attendre que tu sois mort" sous-tend les deux demandes. Le départ du fils est, par conséquent, une offense beaucoup plus grave qu'il n'apparaît à première vue. C'est un rejet cruel de la maison dans laquelle le fils est né et a été nourri.

Quand Luc écrit "il partit pour un pays lointain", il dit beaucoup plus que le désir du jeune homme de voir le monde. Il parle d'une coupure radicale de la façon de vivre, de penser et d'agir qui lui a été transmise de génération en génération, comme un bien sacré. Plus qu'un manque de respect, c'est une trahison des valeurs précieuses de la famille et de la communauté. Le "pays lointain" , c'est le monde dans lequel tout ce qui est considéré comme sacré à la maison est rejeté.

p. 47

- Chapitre 2, "Le départ du fils cadet" dans Henri Nouwen, Le retour de l'enfant prodigue

Extrait 2 :
"Je suis le fils prodigue chaque fois que je cherche l'amour inconditionnel là ou il ne peut être trouvé. Pourquoi est-ce que je continue à ignorer la place du véritable amour et que je persiste à le chercher ailleurs ? Pourquoi est-ce que je continue à quitter la maison ou je suis appelé un enfant de Dieu, le Bien-Aimé de mon Père ?

Je suis toujours étonné de voir comment je continue à prendre les dons reçus de Dieu - ma santé, mes dons intellectuels et émotionnels - et à les utiliser pour impressionner les gens, recevoir l'approbation et la louange, et rivaliser en vue des récompenses humaines, au lieu de les développer pour la gloire de Dieu. Oui, je les transporte vers un "pays lointain" et je les mets au service d'un monde exploiteur qui ne connaît pas leur véritable valeur.

C'est comme si je voulais prouver à moi-même et à ce monde, que je n'ai jamais besoin de l'amour de Dieu, que je peux me faire une petite vie à moi, que je veux être complètement indépendant. Sous-jacent à tout cela, il y a la grande révolte , le non radical à l'amour du Père, le désir muet "Je voudrais que tu sois mort". Le non du fils prodigue reflète la révolte originelle d'Adam : son rejet du Dieu qui nous a crées par amour et qui nous maintient par amour. C'est la révolte qui me place hors du paradis, hors d'atteinte de l'arbre de vie. C'est la révolte qui me fait me perdre dans le pays lointain.

Quand je regarde à nouveau le tableau de Rembrandt montrant le retour du fils cadet, je vois maintenant qu'il y a beaucoup plus qu'un simple geste de compassion envers un enfant égaré. L'événement majeur que je vois, c'est la fin de la grande révolte. La révolte d'Adam et de tous ses descendants est pardonnée, et la bénédiction originelle par laquelle Adam a reçu la vie éternelle est restaurée.

p. 59

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Le retour du fils prodigue

Message non lu par Cinci » dim. 22 sept. 2019, 3:09

Extrait 3


Le fils aîné

Pendant les heures passées à l'Ermitage à regarder le tableau de Rembrandt, j'étais de plus en plus fasciné par le visage du fils aîné. Je me souviens de l'avoir longtemps contemplé, me demandant ce qui pouvait bien se passer dans la tête et le coeur de cet homme. Sans aucun doute, il est le principal observateur du retour du fils cadet.

Il regarde le père mais sans joie. Il ne s'avance ni ne sourit, et n'exprime aucun accueil. Il se contente d'être debout, sur le côté de la plate-forme, apparemment peu désireux de bouger.

La façon dont Rembrandt a peint le fils aîné montre qu'il ressemble beaucoup à son père. Les deux sont barbus et portent une grande cape rouge sur les épaules. Ces détails extérieurs suggèrent que lui et son père ont beaucoup en commun, et ce caractère commun est souligné par la lumière sur le visage du fils aîné, ce qui l'unit d'une façon directe au visage lumineux de son père. Mais quelle différence pénible entre les deux !

Le père est penché sur son fils prodigue. Le fils aîné est debout, figé dans sa posture accentuée par un long bâton qu'il tient à la main. la cape du père est large et ouverte, accueillante; celle du fils pend le long de son corps. Les mains du père sont étendues et touchent le prodigue dans un geste de bénédiction; les mains du fils aîné sont serrées l'une sur l'autre, tout contre sa poitrine. Les deux visages sont éclairés, mais la lumière sur le visage du père se répand sur son corps - surtout sur ses mains - et enveloppe son plus jeune fils dans un grand halo de chaleur lumineuse tandis que la lumière sur le visage du fils aîné est froide et ne rayonne pas. Son corps demeure dans la noirceur et ses mains fermées restent dans l'ombre.

La parabole représentée par Rembrandt aurait bien pu s'appeler "la parabole des fils perdus". Non seulement le fils cadet qui a quitté la maison à la recherche de la liberté et du bonheur dans une terre étrangère, s'est-il perdu, mais celui qui est resté à la maison est aussi devenu un homme perdu. Extérieurement, il a fait toutes les choses qu'un bon fils est censé faire, mais intérieurement, il s'est éloigné de son père. Il a fait son devoir, il a travaillé fort chaque jour et il a rempli toutes ses obligations, mais il est devenu de plus en plus esclave et malheureux.

Plusieurs fils et filles aînés se sont perdus, tout en demeurant à la maison.

Et c'est cet égarement - caractérisé par le jugement et la condamnation, la colère et la rancune, l'amertume et la jalousie - qui est tellement dommageable au coeur humain. Parfois on pense à la perdition en termes d'actions très visibles, même spectaculaires. Le fils cadet a péché d'une manière qu'on peut facilement identifier. Son égarement est assez évident. Il a gaspillé son argent, son temps, ses amis, et même son propre corps. Ce qu'il a fait était mal; non seulement sa famille et ses amis le savaient, mais lui également. Il s'est révolté contre la morale et s'est laissé entraîné par la luxure et la cupidité. Puis, constatant que son comportement capricieux l'avait conduit à rien d'autre qu'à la misère, le fils cadet entra en lui-même, fit demi-tour et demanda pardon. Nous avons ici un échec humain classique, avec une solution directe.

L'égarement du fils aîné est toutefois beaucoup plus difficile à cerner. Après tout, il a bien agit en tout. Il était obéissant, respectueux, fidèle à la loi et dur au travail. Les gens le respectaient, l'admiraient, le louangeaient, et sans doute le considéraient-ils comme un fils modèle. Extérieurement, le fils aîné était sans faute. Mais lorsqu'il est confronté à la joie de son père au retour de son jeune frère, une puissance maléfique fait irruption en lui. Soudain est dévoilée au grand jour une personne rancunière, orgeuilleuse, méchante, égoïste, qui était restée profondément cachée, même si ces aspects de sa personnalité s'étaient développés au fil des années.

Quand je regarde ma propre vie et celle de personnes autour de moi, je me demande ce qui fait le plus de tort, la débauche ou le ressentiment ? Il y a tellement de ressentiment parmi les "justes" et les "vertueux". Il y a tellement de jugements, de condamnations et de préjugés parmi les "saints". Il y a tellement de colère froide parmi les gens qui s'efforcent d'éviter "le péché" à tout prix.

Il est extrêmement difficile de cerner cet état de perdition chez le saint rancunier, précisément parce qu'il est intimement lié au désir d'être bon et vertueux. Je sais d'après ma propre expérience avec quelle ardeur j'ai essayé d'être bon, acceptable, aimable, et de donner le bon exemple. Il y avait toujours un effort conscient pour éviter les pièges du péché, en même temps que la crainte constante de succomber à la tentation. Mais avec tout cela, je me prenais au sérieux, devenant extrêmement moralisateur, quelque peu fanatique, si bien qu'il m'était de plus en plus difficile de me sentir chez moi dans la maison de mon Père. Je devenais moins libre, moins spontané, moins jovial et les autres commençaient à me trouver de plus en plus pénible à supporter.

p. 96

"Le départ du fils aîné" dans Henri Nouwen, Le retour de l'enfant prodigue

P.S. : le film français de 1953 La vie d'un honnête homme pourrait être une illustration de la parabole également.

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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par Cinci » dim. 22 sept. 2019, 4:09

Mais l'inédit pour moi ...

Ici :

Le vrai prodigue

J'aborde ici le mystère de Jésus qui s'est fait lui-même le fils prodigue à cause de nous. Il a quitté la maison de son Père céleste, est venu dans une terre étrangère, a sacrifié tout ce qu'il avait et est retourné dans la maison de son Père par sa croix. Tout cela, il l'a accompli non comme un fils révolté, mais comme le fils obéissant qui a été envoyé pour ramener à la maison tous les enfants perdus de Dieu. Jésus, qui a raconté cette histoire à ceux qui l'avaient critiqué parce qu'il fréquentait les pécheurs, a vécu lui-même le long et pénible voyage qu'il décrit.

Ce jeune homme brisé, agenouillé devant son père, n'est-il pas l'agneau de Dieu qui prend sur lui les péchés du monde ? N'est-ce pas lui l'innocent, qui s'est fait péché pour nous ? N'est-il pas celui qui n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu mais est devenu semblable aux hommes ?

Jésus est le fils prodigue du Père prodigue, qui a sacrifié tout ce que le Père lui avait confié, pour que je puisse devenir semblable à lui et revenir avec lui dans la maison de son Père.

Quand je regarde l'histoire du fils prodigue avec les yeux de la foi, le retour du prodigue devient le retour du Fils à Dieu qui a attiré tous les peuples à lui pour les conduire à la maison de son Père céleste. Le frère Pierre-Marie, fondateur de la Fraternité de Jérusalem, une communauté de moines vivant dans la ville parle, d'une façon très poétique et très biblique, de Jésus comme du fils prodigue.

Il écrit :

Lui qui est né, non de la race humaine ou du désir humain ou de la volonté humaine, mais de Dieu lui-même, il prit un jour avec lui tout ce qui était sous son piedestal et il partit avec son héritage, son titre de fils et toute la rançon exigée. Il quitta pour un pays lointain. [...] Comme une racine en terre aride, il grandit devant nous, il fut méprisé, le plus humble des hommes, devant qui on se couvre la face. Bientôt il connut l'exil, l'hostilité, la solitude [...] après avoir tout sacrifié d'une vie d'abondance, sa valeur, sa paix, sa lumière, sa vérité, sa vie ... après s'être perdu parmi les enfants perdus de la maison d'Israël, passant tout son temps avec les malades (et non les bien-portants), les pécheurs (et non les justes), et même avec les prostituées à qui il promettait l'entrée dans le Royaume de son Père; après avoir été traité de glouton et d'ivrogne, d'ami des collecteurs d'impôt et des pécheurs, traité de Samaritain, de possédé, de blasphémateur; après avoir tout donné, même son corps et son sang; après avoir éprouvé lui-même la tristesse, l'angoisse et l'inquiétude de l'âme, après avoir touché le fond du désespoir en se présentant comme celui qui est abandonné par son Père, loin de la source d'eau vive, il a crié du haut de la croix sur laquelle on l'avait cloué : "J'ai soif". On l'a déposé dans la poussière et l'ombre de la mort.

Et, là, le troisième jour, il est monté des profondeurs de l'enfer ou il était descendu, écrasé sous le poids de nos crimes, il a porté nos péchés, ce sont nos souffrances qu'il a portées. Debout, il a crié : "Oui, je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". Et il est remonté aux cieux.

Alors, dans le silence, regardant son Fils et tous ses enfants, puisque son Fils était devenu tout en tous, le Père dit aux serviteurs : "Vite, apportez la plus belle robe et l'en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds; mangeons et festoyons ! Car mes enfants, comme vous le savez étaient morts et ils sont revenus à la vie; ils étaient perdus et ils ont été retrouvés. Mon Fils prodigue les a tous ramenés."
( Frère Pierre Marie "Les fils prodigues et le fils prodigue", Sources vives 13, Paris, mars 1987)


Quand je regarde à nouveau Le fils prodigue de Rembrandt, je le vois maintenant d'une façon nouvelle. Je le vois comme Jésus retournant vers son Père et mon Père, vers son Dieu et mon Dieu.

Il est peu probable que Rembrandt ait jamais pensé au fils prodigue de cette façon-là. Cette compréhension ne faisait pas partie de la prédication courante du temps, ni de la façon d'écrire. Néanmoins, voir dans ce jeune homme fatigué et brisé la personne de Jésus lui-même a quelque chose de réconfortant et très consolant. Le jeune homme embrassé par le Père n'est plus seulement un pécheur repentant, mais l'humanité entière qui revient vers Dieu. Le corps brisé du prodigue devient le corps brisé de l'humanité et la face du fils revenu devient la face de tous ceux qui souffrent et aspirent à entrer de nouveau dans le paradis perdu. Le tableau de Rembrandt devient ainsi plus que la simple représentation d'une parabole émouvante. Il devient la synthèse de l'histoire du salut. La lumière qui entoure le Père et le Fils parle maintenant de la gloire qui attend les enfants de Dieu. Cela rappelle les paroles de Jean :

dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est". (1 Jean 3,2)

p. 78

P.S. : Le retour du fils prodigue est l'un des derniers tableaux que Rembrandt va peindre peu avant sa mort. Avec Nouwen, j'apprends aussi que le tableau forme une très grande surface peinte.

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