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par Xavi » mer. 03 oct. 2018, 13:39
Bonjour à chacun,
Revenons au sujet et, plus précisément, à l’affirmation de Carolus qui soutient que, dans la généalogie de Matthieu, Jékonias nommerait deux personnes différentes dans les versets 11 et 12. Le Jékonias du verset 11 serait celui qui est nommé Joakim dans le livre des Chroniques et le Jékonias du verset 12 serait le fils de celui du verset 11.
Carolus a invoqué deux arguments.
Une citation d’un « troisième livre d’Esdras » qui est un livre apocryphe qui n’a jamais été reconnu par l’Eglise et une traduction incorrecte d’un verset du deuxième livre des Rois. Ces deux observations sont restées sans réponse de Carolus.
Mais, surtout, le propre d’une généalogie c’est de donner des noms en lien de filiation les uns avec les autres. Une généalogie normale peut-elle inclure, au milieu de la liste, un ancêtre n’est pas reconnu comme le fils, la fille ou, du moins, un descendant direct, des ancêtres plus anciens ?
Or ici, dans l’hypothèse de Carolus, si Jékonias du verset 11 est une personne différente du Jékonias du verset 12, il faudrait constater que la généalogie du Christ présenterait là une interruption dans la liste des générations puisque le texte ne dit pas que le Jékonias du verset 11 engendre le Jékonias du verset 12, ni que celui-ci serait le fils ou le descendant de celui du verset 11.
Une telle coupure dans la succession des générations serait étrange alors que tous les autres liens de filiation de la généalogie de St Matthieu sont clairement et explicitement indiqués. Ici encore, il n’y a pas de réponse de Carolus à cette observation.
Et, quoi qu’il en soit, on retrouverait un manque. J’ai observé que, bien que St Matthieu construise sa généalogie sur 42 générations (3 x 14) alors qu’il y en a, en fait, davantage dans la réalité qui était connue des Juifs, il ne cite pas 42 générations dans sa liste, mais seulement 41. Il manque une génération.
Carolus pense qu’une génération, ce n’est pas un acte d’engendrement d’une personne par une autre, mais qu’une génération c’est une personne. A tort, me semble-t-il, mais, même dans cette perspective, il manque une personne car St Matthieu ne cite que 41 personnes. Il en manque une.
Carolus pense alors que l’une de ces personnes, Jékonias, serait, en réalité, deux personnes différentes : le père dans le verset 11 et le fils dans le verset 12. A tort, me semble-t-il, mais, même dans cette perspective, il manque alors un lien de filiation car il n’est pas dit que le Jékonias du verset 12 est engendré par celui du verset.
Dans tous les cas, le manque concerne Joakim, fils de Josias. C’est le nom du père de la Vierge Marie.
Refaisons ici une synthèse.
St Luc, « après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début » (Lc 1, 3) et avoir raconté la conception virginale de Jésus, nous raconte ce que les gens pensaient au début du ministère de Jésus, avant d’avoir entendu l’évangile : Jésus était « était, à ce que l’on pensait, fils de Joseph, fils d’Éli, fils de Matthate » (Lc 3, 23-24) et il s’ensuit une liste généalogique qui remonte jusqu’à Adam. Cette liste ne reprend que des noms et chacun n’est présenté que comme le fils de celui qui le suit dans cette liste. Aucune femme n’est mentionnée. St Luc ne dit pas que c’est la généalogie de Jésus, dont il vient d’expliquer, au contraire, que Joseph n’en est pas réellement le père, mais seulement « ce que l’on pensait », l’origine apparente de Jésus pour les gens qui n’avaient pas encore entendu, ni a fortiori reçu, l’évangile.
St Matthieu commence son évangile par ce qu’il appelle en grec une « Biblos » (un mot grec généralement traduit par « généalogie ») de Jésus-Christ (Mt 1, 1). Ce mot est exactement celui qui est utilisé pour la descendance d’Adam dans la version grecque du livre de la Genèse des Septante, la plus ancienne actuellement disponible (Gn 5,1). C’est le même mot « Biblos » qui est utilisé pour les origines du ciel et de la terre en Gn 2, 4.
Contrairement à St Luc, c’est clairement l’origine de Jésus-Christ qui est présentée par St Matthieu et, au bout de cette liste, Jésus n’y est pas présenté comme un descendant de Joseph, mais comme un descendant de Marie, dans une formule particulière où après quarante engendrements qui vont d’Abraham à Joseph, il est dit pour terminer que « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ » (Mt 1, 16).
Même si les mots du texte sont légèrement différents pour les 40 ancêtres de Abraham à Jacob, c’est bien la même racine grecque « gennao » qui est utilisée pour tous ces ancêtres de la généalogie de St Matthieu et pour Marie. La dernière génération de la liste, la plus importante puisque c’est celle qui aboutit au Christ, c’est l’engendrement de Jésus par Marie. C’est bien la génération « par Marie » que nous présente St Matthieu.
Contrairement à ce que Carolus a affirmé, le sens commun autant que la version française officielle de l’évangile confirme bien que le mot « engendrer » ne se limite pas à la filiation entre père et fils. La mère comme le père « engendre » la génération suivante.
Contrairement à St Luc qui ne présente qu’une liste de « fils de », St Matthieu nous présente une liste d’ancêtres qui « engendrent », ce qui peut tenir compte tant des générations par les femmes que par les hommes. La génération exclusivement masculine de St Luc ne peut pas être attribuée à Marie. Mais, contrairement à l’expression « fils de » qui est exclusivement masculine, le mot « engendrer », utilisé par St Matthieu, peut établir une possible filiation tant par le père que par la mère, ce qui peut correspondre à une généalogie de Jésus par Marie dont il est dit à la fin de la liste de St Matthieu, qu’elle « engendre » le Christ.
Outre Marie elle-même qui, au bout de la liste de St Matthieu, « engendre » Jésus, cette liste nomme aussi plusieurs autres ancêtres féminins : Thamar (1, 3), Rahab (1, 5), Ruth (id.), et la femme d’Ourias (1, 6).
En outre, il est certain que tant l’expression « fils de » que le mot « engendrer » peuvent correspondre, dans la réalité historique à plusieurs générations successives en ligne directe. Jésus est « fils de David » dont beaucoup de générations le séparent et il a été constaté que des générations sont omises dans la liste de St Matthieu. Ainsi, lorsqu’il écrit que Joram engendra Ozias (Mt 1, 8), le livre des Chroniques nous indique qu’en réalité, il y a, entre eux, trois générations supplémentaires (Ocozias, Joas et Amazias) et que Ozias, en réalité, n’est pas le fils mais l’arrière-arrière-petit-fils de Joram.
En résumé, chez St Matthieu, c’est la généalogie de Jésus, elle s’achève par son engendrement par Marie, elle ne se limite pas aux hommes masculins, et elle omet des générations.
Dès lors que Joseph est, après un examen attentif par St Luc, « fils d’Éli, fils de Matthate » (Lc 3, 23-24), il ne peut pas être, dans la liste de St Matthieu, le « fils » de Jacob qui n’est pas dans la liste des ancêtres masculins successifs de St Luc. Or, pourtant, selon la liste de St Matthieu, ce Jacob a « engendré » Joseph.
Dans les conditions résumées ci-dessus, on peut considérer qu’entre Jacob et Joseph, il n’y a nécessairement pas que des hommes masculins. La liste de St Luc indique que, dans la généalogie de St Matthieu, ce Jacob n’est pas le père de Joseph, ni un ancêtre masculin en ligne directe, et qu'il ne peut donc être que son grand-père maternel (le père de la mère de Joseph) ou un autre ancêtre plus lointain dans une de ses lignées généalogiques autres qu’exclusivement masculine, par exemple un de ses trois autres arrière-grands-pères (le père de sa grand-mère paternelle, ou le père de son grand-père maternel, ou le père de sa grand-mère maternelle).
En quoi cette généalogie de Joseph, passant au moins par une femme entre Jacob et Joseph, peut-elle être pertinente pour les origines de Jésus, fils de Marie, dont St Matthieu explique longuement que Joseph n’est pas le père humain ?
Si l’évangéliste avait voulu rattacher légalement Marie à Joseph, il aurait suffit de prendre la liste masculine légale de St Luc.
Mais, dès lors, qu’il s’agit de décrire les vraies origines de Jésus, né sans père humain, sa généalogie ne peut remonter que par Marie et c’est bien ce que confirme l’aboutissement de la liste de St Matthieu à Marie « de laquelle fut engendré Jésus ».
On est ainsi en présence d’une généalogie de Jésus par Marie, puisque Jésus n’a pas de père humain et que la généalogie légale de son père adoptif est différente selon St Luc.
Alors pourquoi citer Joseph dans cette liste ? Pourquoi ne pas citer Joachim, celui qui engendre Marie ? Pourquoi ne pas faire expressément le lien généalogique avec Marie ? Quelle que soit l’opinion sur le lien de cette généalogie avec Marie, pourquoi tant de mystère, tant d’imprécision ?
Ne serait-ce pas parce le lecteur est ainsi contraint à intégrer le mystère lui-même dans les origines de Jésus-Christ ? Tout ce qu’on peut dire de l’humanité du Christ ne peut être limité à sa lignée généalogique terrestre. La généalogie du Christ, vrai Dieu et vrai homme, n’est pas faite que de chair. Tout ne vient pas de ses seules origines humaines. Au début de l’évangile, le manque de clarté invite aussi à aller au-delà de ce qui est clair pour l’homme : c’est seulement par la foi que l’on découvre le Christ.
Un premier indice, c’est peut-être le petit mot grec « ek » utilisé sept fois dans le premier chapitre de l’évangile de St Matthieu, d’une part, pour toutes les cinq femmes citées : de (ek) Thamar est engendré Phares, de (ek) de Rahab est engendré Boaz, de (ek) Ruth est engendré Obed, de (ek) la femme d’Ourias est engendré Salomon, et de (ek) Marie est engendré Jésus, puis d’autre part, pour l’Esprit Saint : c’est de (ek) l’Esprit que Marie devient enceinte (Mt 1, 18) et c’est de (ek) l’Esprit Saint que vient la conception du Christ (Mt 1, 20). Le petit mot « ek » relie ainsi l’humain et le divin dans les origines du Christ.
Par ailleurs, St Matthieu procède à une présentation spéciale de la généalogie qui y intègre trois (le chiffre de la Trinité divine) fois deux (le chiffre de l’humanité faite homme et femme, terrestre et spirituelle) fois sept (le chiffre de la perfection, de l’action divine) générations. Un mélange de divin et d’humain. 3 x 14 générations.
C’est dans ce mélange d’humain et de divin que la vraie nature autant que la vraie origine du Christ est présentée. N'est-elle pas ainsi cachée pour ne se laisser découvrir que par la grâce et la foi ?
Pourquoi citer Joseph, qui n’est pas celui qui engendre Jésus mais seulement l’époux de Marie qui engendre Jésus, si ce n’est pour présenter tant l’apparence humaine de la paternité de Joseph « que l’on pensait » être le père de Jésus que le mystère qui cache une autre réalité accessible seulement par la foi ? L'apparence et le mystère. Le terrestre et le divin.
Et, d'un autre point de vue, quel serait l’intérêt de citer une généalogie de Joseph, autre que sa généalogie légale donnée par St Luc, si ce n’est pas simultanément une génération par Marie qui nous fait entrer dans un mystère, celui de l’incarnation ?
Mystère, car tout n’est pas clair. La citation de Joseph, le père légal et adoptif de Jésus, laisse un vide dans la suite des engendrements de la généalogie de St Matthieu. En effet, cette généalogie ne dit pas que Jésus est engendré par Joseph et le texte ne dit pas non plus que Marie est engendrée par un des ancêtres cités. Il n’est pas dit que Jacob engendre Marie.
En réalité, aucun ancêtre de Marie n’est identifié dans la Bible. Les parents de Marie, ne sont connus que par la tradition qui les nomme Joachim et Anne, tels qu’ils sont nommés dans un évangile apocryphe, mais l’Eglise les reconnaît cependant officiellement comme saints et ils sont fêtés le 26 juillet.
La conception de Marie, son immaculée conception, est aussi mystérieuse et rejoint, par son mystère, le mystère de l’origine de son divin fils. Pourquoi ce silence sur les origines de Marie ? Seul St Luc précise qu’elle est « parente » (ce qui est imprécis) d’Elisabeth qui est elle-même de la famille d’Aaron.
Comme s’il y avait à la fois continuité et rupture dans la généalogie.
L’omission du premier Joachim dans le verset 11 me semble introduire l’omission d’un autre Joachim, fils de Jacob et mère de Marie. Un manque et un trou, dans la généalogie terrestre du Christ, ouvre la perspective d'une interférence divine qu’un engendrement terrestre ne peut exprimer.
N’est-ce pas parce que Dieu lui-même agit, dès l’immaculée conception de Marie par ses parents Joachim et Anne, que la généalogie de St Matthieu fait silence sur Joachim car son action d’engendrer n’est pas seule en cause. Dieu est présent et agit avec Joachim et en lui pour l’Immaculée Conception déjà en vue de l’incarnation du Christ ?
La liste s’interrompt pour laisser place à l’action de l’Esprit Saint, pour montrer que l’origine de Jésus transcende sa généalogie terrestre.
La vraie généalogie du Christ, que présente St Matthieu, n’est pas accessible sans la foi. La foi en la conception virginale du Christ, né sans père humain, la foi dans le fait que toute son humanité, y compris sa masculinité, lui vient par Marie et en fait un descendant de la lignée masculine de son père Joachim, mais aussi la foi en l’incomplétude de sa généalogie terrestre qui ne peut exprimer pleinement qu’il est vrai Dieu et vrai homme, ainsi que la foi en son sacrifice qui rachète toute faute et toute malédiction, y compris la faute de David et la malédiction de Jékonias.