Popeye a écrit :
Les deux !
Il est mort pour tous, en ce sens que sa Passion est méritoire pour tous les hommes.
Il n'est mort que pour les élus, en ce sens que les mérites de sa Passion ne sont appliqués, in fine, qu'aux seuls élus.
Tout comme on pourrait dire qu'Il n'est pas mort pour les réprouvés en ce sens que Son sacrifice n'a eu aucune incidence sur le décret de réprobation qui frappait ces derniers, et que par conséquent Il n'est pas mort pour tous les hommes. Vous pouvez aussi jouer sur le sens de la locution "pour les hommes" pour dire qu'Il S'est sacrifié non pas pour racheter les hommes, mais pour payer à leur place la dette qu'ils avaient envers Dieu, la réparation de l'offense par un tiers n'impliquant pas la cessation des poursuites pénales contre les fautifs, et en ce sens le "pour notre salut" sous-entend "pour notre salut à nous les déjà-grâciés". Moduler, altérer le sens d'un enseignement pour différentes raisons (le concilier avec un autre enseignement, asseoir sa propre vision des choses, le rendre soluble dans le monde ambiant...) est un exercice relativement facile, les sophistes savent très bien s'y prendre, les écoles de théologie diverses et variées et leurs disputes à n'en plus finir sont là pour nous le rappeler.
Mais si à l'issue d'un échafaudage théologique on aboutit à une trop grande dissonance avec le sens de la foi, c'est qu'il y a quelque chose de pourri à un niveau de l'échafaudage, pour pouvoir rendre raison de la foi il faut d'abord avoir l'intelligence de la foi, car l'intelligence de la foi ne procède pas en premier lieu de la raison discursive mais de l'acte d'intellection, c'est tout l'enjeu de la distinction que faisait le Cardinal Ratzinger entre savoir et comprendre: des individus peuvent comprendre le sens profond d'une chose et être inaptes à en rendre raison, et inversement d'autres peuvent ratiociner jusqu'à l'infini sans en jamais saisir le sens. C'est d'ailleurs pour cela que l'on peut parler d'une foi unique et objective, et dire que la compréhension de la foi par les premiers chrétiens est la même que celle des chrétiens des autres époques, les représentations, approximations, divagations et mises en forme théologiques plus ou moins réussies ne changeant rien à l'affaire, en ce cas c'est le raisonnement théologique, l'explicitation qui est à revoir jusqu'à parvenir à une formulation qui n'altère pas le sens de la foi.
Popeye a écrit :
Et quel sérieux donnez vous à la prière sacerdotale du Christ, telle que donnée en S.Jean : "Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donné" (Jn XVII 9) ?
Ce serait mieux de citer tout le passage, cela permettrait de comprendre que cela n'a strictement rien à voir avec la double prédestination:
Jean 17
9 C'est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, parce qu'ils sont à toi; -
10 et tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi; -et je suis glorifié en eux.
11 Je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde, et je vais à toi. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, afin qu'ils soient un comme nous.
12 Lorsque j'étais avec eux dans le monde, je les gardais en ton nom. J'ai gardé ceux que tu m'as donnés, et aucun d'eux ne s'est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l'Écriture fût accomplie.
13 Et maintenant je vais à toi, et je dis ces choses dans le monde, afin qu'ils aient en eux ma joie parfaite.
14 Je leur ai donné ta parole; et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.
15 Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal.
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.
17 Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité.
18 Comme tu m'as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde.
19 Et je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés par la vérité.
Quant au sérieux le voici:
Dans le 2ème temps de cette prière que nous lisons ce jour, Jésus tient d'abord à distinguer ses disciples, que le Père lui a donnés, du monde, dont les forces hostiles sont tournées contre lui (17, 9 - 16).
Jésus ne peut prier pour ce "monde- là" qui le refuse. Mais il prie pour ceux que le Père lui a donnés, car tout ce qui est au Père est à lui, et réciproquement. Quand cette communion de partage intégral entre le Père et lui est manifestée à ses disciples par sa Parole et son engagement, Jésus est glorifié en eux.
Au moment de son départ vers le Père, Jésus prie pour que ses disciples demeurent dans cette unité avec Dieu, et donc soient "un" entre eux de cette même unité.
Ainsi unis à Dieu, les disciples connaîtront la joie qui constrastera avec la haine que le monde aura à leur égard, puisqu'ils ne sont pas du monde, du fait qu'ils sont en communion avec Jésus et attachés à lui, partageant ainsi sa situation et son destin.
Remplacez "le monde" par "les réprouvés" et la communauté des premiers disciples par les prédestinés et le tour est joué, mais pas pour tout le monde.
Ensuite mon propos ne visait pas à statuer sur le sérieux de tel ou tel passage plus ou moins bien interprété, mais sur le Credo lui-même, l'expression de la foi catholique par excellence, une fois admise la double prédestination, et là c'est tout autre chose.
Popeye a écrit :
Citation:
Dans le cas où Il ne serait mort que pour les prédestinés, quel sérieux peut-on encore accorder à la formule consacrée "Pour nous les hommes et notre salut"?
Réponse au paragraphe précédent.
Autant dire plus aucun.
Popeye a écrit :
Et quel sérieux donnez vous à Rm VIII 28-30, IX 14-24 ; à Eph I 3 ; à II Th II 13 ; qui enseignent formellement la prédestination, enseignement qu'on retrouve jusque dans les Evangiles ?
Qui enseigne? L'Eglise n'est-ce pas? Et l'Eglise se résume t-elle à "Rm VIII 28-30, IX 14-24 ; à Eph I 3 ; à II Th II 13"? le catholicisme est la religion de l'Eglise, pas la religion du livre, il faut donc lire avec cet esprit catholique qui nous a été insufflé par l'Eglise, sinon c'est du protestantisme, et il est bien connu que le jeu favori des protestants consiste à s'envoyer à la figure des versets, chacun prêchant pour sa chapelle. Tandis que nous autres catholiques, nous avons tous en commun d'adhérer au Credo, point de repère immuable à l'aune duquel tout le reste doit être évalué. Il est bon de préciser que le catholicisme n'est pas une gnose dissimulée par un premier niveau de lecture, comme c'est souvent le cas dans les religions à mystères où le véritable sens n'est dévoilé qu'au terme d'une initiation.
Popeye a écrit :
Citation:
Ou dira t-on que le fidèle lorsqu'il récite le Credo se trompe (de bonne foi) si à ce moment-là il songe à toute l'humanité au lieu de penser aux seuls prédestinés?
Non, pour la raison déjà dite.
Et Oui à la fois, car selon cette "raison" invoquée il conviendrait de faire un distingo qu'il ne fait pas: si je parle de l'homme sans le distinguer des autres animaux je me trompe.
Popeye a écrit :
Il ne s'agit pas d'arguties : il s'agit de ne pas rejeter des pans entiers de l'enseignement révélé au nom d'autres vérités révélées. Il s'agit donc de montrer la pleine conciliation d'enseignements qui peuvent, de prime abord, paraître jurer entre eux. Il s'agit donc de quelque chose de fondamental, puisqu'à défaut, niant la parole de Dieu, on fait de Dieu un menteur...
Non c'est: "à défaut, évacuant des interprétations incompatibles avec l'enseignement catholique (car il n'y en a qu'un) on égratigne quelques grands docteurs(errare humanum est) ou carrément on fait de certaines écoles théologiques des écoles du mensonge (perseverare diabolicum est)", ce qui est parfaitement raisonnable.
Popeye a écrit :
Citation:
D'ailleurs Saint-Thomas lui-même a posé des limites à son propre travail de théologien: «A côté de ce qui m’a été révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien.»
Ca tombe bien, la prédestination de certains seuls nous est révélée. Voyez les références bibliques données plus haut.
ça tombe mal pour le couronnement de son oeuvre, qu'il a d'ailleurs refusé de poursuivre, son disciple cherchant à la continuer fort maladroitement. Dommage, cela aurait pu être l'occasion d'ajouter un nouveau chapitre sur la double prédestination, non?
Popeye a écrit :
Peut être bien, mais si le saint est, de surcroît, savant, c'est mieux.
Et de deux non-saints, l'un savant l'autre ignorant, lequel est meilleur ?
Et entre un savant réprouvé et un ignorant élu lequel est le meilleur?
Popeye a écrit :
D'où l'enseignement du Concile de Trente, session sur la Justification :
http://www.jesusmarie.com/denzinger_num ... _1672.html
Et particulièrement le chapitre 3 : Mais, bien que lui soit " mort pour tous " 2Co 5,15 , tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort. mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué. En effet, de même qu'en toute vérité les hommes ne naîtraient pas injustes s'ils ne naissaient de la descendance issue corporellement d'Adam, puisque, quand ils sont conçus, ils contractent une injustice personnelle par le fait qu'ils descendent corporellement de lui, de même ils ne seraient jamais justifiés s'ils ne renaissaient pas dans le Christ , puisque, grâce à cette renaissance, leur est accordé par le mérite de sa Passion la grâce par laquelle ils deviennent justes. Pour ce bienfait l'Apôtre nous exhorte à toujours "rendre grâce au Père qui nous a rendus dignes d'avoir part à l'héritage des saints dans la lumière et nous a arrachés à la puissance des ténèbres et transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la Rédemption et la rémission des péchés" Col 1,12-14 (Dz 1523).
Et quel sens accordez-vous à "renaître en Christ"?, être déjà né en Christ et y renaître? ou être né hors du Christ et avoir la possibilité de renaître en Christ? La réponse est évidente pour tout catholique, elle ne plaira bien sûr pas aux tenants de la double prédestination.
Je reviens sur la double prédestination thomiste et pose la question de sa conformité avec la foi catholique:
Somme contre les Gentils
163 : DE LA PRÉDESTINATION, DE LA RÉPROBATION ET DE L’ÉLECTION DIVINE
Nous avons montré que sous l’action divine, des hommes, aidés par la grâce, sont dirigés vers leur fin dernière, tandis que d’autres, privés de ce secours, se détournent de cette fin ; or tout ceci qui est de Dieu, a été prévu et ordonné par sa sagesse de toute éternité. Cette distinction entre les hommes a donc été voulue par Dieu en son éternité.
De ceux dont il a fixé par avance qu’ils seraient dirigés à leur fin dernière, on dit qu’il les a prédestinés. D’où ce mot de l’Apôtre : « Nous ayant prédestinés à être ses fils adoptifs, selon sa libre volonté ». — De ceux à l’endroit de qui il a disposé de ne pas donner sa grâce, on dit qu’il les a réprouvés ou qu’il les a haïs , selon ce mot de Malachie : « J’ai aimé Jacob, l’ai haï Esaü ». En raison de cette distinction, la réprobation des uns et la prédestination des autres, on parle d’élection divine, dont il est dit : « Il nous a choisis en lui avant la création du monde ».
Ainsi la prédestination et l’élection et la réprobation sont un aspect de la divine providence selon que celle-ci dirige les hommes à leur fin dernière. Aussi notre argumentation en vue de démontrer que la divine Providence ne supprime pas la contingence des êtres, prouve encore que la prédestination et l’élection n’imposent pas une nécessité.
Comment la prédestination et l’élection n’ont point leur cause dans les mérites des hommes, cela se prouve non seulement de ce que la grâce de Dieu, effet de la prédestination , n’est point précédée par le mérite, mais encore de ce qu’ elle prévient tous les mérites des hommes , et, en plus, de ce que la volonté de Dieu et sa providence sont la cause première de tout ce qui est ; or rien ne peut être cause de la volonté de Dieu et de sa providence, bien que, parmi les effets de la providence, et pareillement de la prédestination, un effet puisse être cause de l’autre.
Sur la compatibilité entre la contingence et la prédestination, il n'y a rien à dire, mais le problème n'est pas là. Formalisons, la question porte sur la hiérarchie des moments logiques, car si en Dieu il n'y a pas de succession temporelle et de discursivité, en revanche il y a le Logos et donc une hiérarchie des principes, un principe supérieur gouvernant des principes inférieurs. Or ce que nous dit ici Saint-Thomas dans le cadre de la double prédestination c'est la chose suivante:
Le premier moment logique de la divinité ou principe premier gouvernant tous les autres: élire certains hommes et réprouver tous les autres (avant même le moment de création).
Deuxième moment: accorder la grâce nécessaire aux élus, en priver les réprouvés.
Trosième moment: la grâce cause le mérite suprême.
L'Eglise catholique n'a jamais ratifié ce point de la théologie thomiste, et l'on se demande vraiment pourquoi...