Savoir et croire s'opposent-ils ?

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Cinci
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » jeu. 02 janv. 2020, 21:42

Bonjour Prodigal,

Je ne vous ai pas oublié.

Vous m'objectiez :
Prodigal :

Ceci dit, si votre curé a des doutes, que voulez-vous qu'il fasse? Qu'il vous mente? Ou bien qu'il démissionne en s'estimant indigne de sa charge? Le mieux est sans doute pour lui de se taire.
Non pas ! Je ne conseillerais à personne de mentir. Quant à la démission, mais il s'agirait de voir de quoi il s'agit exactement. Taire des vérités de manière absolue ne peut pas non plus être une solution viable à plus ou moins long terme. Oui, le silence dans certains cas précis et en raison de la vertu de prudence : passe toujours ! Mais attendez ...

Je m'exprimais ici de façon rhétorique et radicale. Genre : allons au fond des choses. Autrement, ce n'est pas moi qui ficherait quelqu'un dehors de l'Église dans la réalité (quand bien même j'en aurais le pouvoir !), dehors comme au moindre signe de difficulté, chassant celui-là qui pourrait se sentir dans la confusion, à ne plus trop savoir quoi penser dans un moment ou un autre. Non, parce que ceci peut également faire partie du combat spirituel. Quand on parle de l'esprit du mal, du Tentateur, son jeu consiste justement à vouloir plonger les esprits dans l'oubli relatif, le non savoir, l'incompréhension même par rapport à ce qui aurait pu être déjà su, etc. C'est aussi pourquoi le danger de perdre la foi est réel.


Comme vous le savez, le sacrement n'est pas rendu invalide du fait des doutes de celui qui l'administre, pourvu qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'Eglise, c'est-à-dire pourvu qu'il n'ait pas d'intention parodique. Donc, je crois qu'on peut dire que le doute fait partie des épreuves ordinaires que vivent les prêtres. Est-ce faire semblant de croire que de continuer à dire sa messe quand on a l'impression qu'on n'y croit plus? Je ne pense pas, je dirai plutôt que c'est une manière d'essayer de ne pas faillir dans sa mission
Oui, éprouver des difficultés à un moment donné dans sa vie de foi, même pour des prêtres, est chose normale et auquel chacun peut s'attendre. C'est la raison pourquoi l'on demande aux fidèles de prier pour les prêtres. Puis je sais très bien que la validité des sacrements ne dépendent pas du degré de sainteté personnel du ministre.

Comme disait le feu cardinal Newman "Mille difficultés ne font pas un doute".

Je vais recourir encore au père Descouvemont dans son Guide des difficultés de la foi catholique qui est si bien nommé.

Il écrivait :

Le père Descouvemont,, p. 80

"Ne confondons pas les questions qui viennent parfois troubler l'esprit du croyant au sujet d'un article de sa foi et le doute proprement dit, lequel suppose que l'esprit hésite entre deux voies possibles : l'affirmation et la négation. Celui qui doute oscille entre la foi et l'incroyance : c'est un agnostique. Celui qui croit n'hésite pas : très humblement, avec la grâce de Dieu et sur sa Parole, il affirme : "Je crois", c'est à dire : "Je suis sûr".

Amen !

Le père ajoutait :

"Pour paraître plus crédibles, plus ouverts aux interrogations de leurs frères incroyants ou mal-croyants, certains chrétiens ont tendance à dire aujourd'hui que toute foi authentique comporte une part de doute.

A la bonne heure ! peuvent dire les incroyants à la lecture de pareilles déclarations, voilà enfin des chrétiens qui nous ressemblent ! Comme nous, ils connaissent le doute !

On est même aller jusqu'à écrire que, dans leur "nuit", les grands mystiques en étaient venus à douter de l'existence de Dieu et de l'au-delà. Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus n'avait-elle peu eu l'esprit envahi, durant les dix-huit derniers mois de sa vie, par toutes les objections des matérialistes de son temps contre l'existence du ciel ? "Si vous saviez, confie-t-elle un soir à Mère Agnès, sa soeur, quelles affreuses pensées m'obsèdent ! Priez pour moi afin que je n'écoute pas le démon qui veut me persuader tant de mensonges."

[...]

La vérité historique oblige pourtant à dire que Thérèse n'a jamais douté de l'existence du ciel. Loin de douter, elle multiplie les actes de foi : "Je crois avoir fait plus d'actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie, écrit-elle dans son dernier manuscrit. A chaque occasion nouvelle de combat, lorsque mon ennemi vient me provoquer, je me conduis en brave; sachant que c'est une lâcheté de se battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans daigner le regarder en face; mais je cours vers mon Jésus, je lui dis être prête à verser jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour confesser qu'il y a un Ciel."

Autrement dit, Thérèse ne cherche pas à réfuter les arguments des athées que lui présente l'Adversaire; elle se contente de redire à Jésus qu'elle croit à la résurrection des morts sur Sa Parole, à cause de Sa Promesse. C'est ce qu'elle lui dit par exemple dans une prière toute remplie de la pensée de Jeanne d'Arc et, composée en pleine nuit de la foi :

Ô mon Jésus, je bataillerai pour votre amour jusqu'au soir de ma vie. Puisque vous n,avez pas voulu goûter de repos sur la terre, je veux suivre votre exemple et j'espère ainsi que cette promesse sortie de vos lèvres divines se réalisera pour moi : Si quelqu'un me suit, en quelque lieu que je sois, il y sera aussi, et mon Père l'élèvera en honneur".


--------

Je reprend ici :

C'est ce que je voulais dire plus haut, soit qu'une personne me disant à moi " Je ne sais vraiment pas si Jésus a existé ou non. Je ne peux pas dire, je ne peux pas me prononcer. Comment ferais-je pour le savoir ?" alors c'est une personne qui ne peut pas, en toute bonne justice, se présenter comme un chrétien, un croyant. Celui qui doute se trouve à un carrefour, et ne peut absolument pas déterminer quel chemin serait le bon. Le chemin B se présenterait à lui comme étant aussi valable que le chemin A.

Par contre, un croyant peut avoir un foi faible (manquer d'expérience, manquer d'assurance), n'avoir qu'un soupçon de début de foi, et être ensuite tiraillé à raison de cette influence dans l'invisible des esprits mauvais. Un prêtre peut avoir une foi faible. Qu'est-ce qu'il doit faire ? Il doit combattre, lutter, rechercher Dieu davantage, demander du secours à ses frères dans la foi comme à tous ceux qui ne demanderaient pas mieux que de l'aider cf. les saints du ciel, les saints anges.

Pour illustrer cela avec un exemple trivial et cinématographique mais bien parlant : Dans le célèbre film L'Exorciste réalisé à parti du roman de William Peter Blatty, on trouve le père Lancaster Merrin qui est véritablement un homme de foi, c'est à dire dont la foi est éprouvée, solide, qui connaît et qui SAIT à raison d'expériences qu'il aura pu vivre. Son jeune collègue dans le ministère, le père Karras, est également un homme chez qui la foi n'est pas absente, mais qui est une foi faible. La foi de ce dernier est faible parce qu'il lui manque encore de l'expérience vécue. Il est donc plus perméable aux influences pernicieuses qui auraient toujours la capacité de le dépister, de le conduire dans des petits chemins écartés en pleine ténèbres

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » jeu. 02 janv. 2020, 22:33

Un autre petit texte pour aider.


Voici :
-
La foi n'est pas une connaissance qui procède par évidence, comme c'est le cas pour la SCIENCE ou l'on connaît [*seulement*] parce que l'on voit

-La foi n'est pas non plus, à l'autre extrémité, une simple conviction, lorsqu'on connaît parce que d'autres l'affirment. On communie dans la conviction de tout le monde ou, au moins, du plus grand nombre. C'est le cas de l'OPINION

-Un troisième type de connaissance relève de l'analyse : c'est la PHILOSOPHIE. On procède par ajustement et affinement de concepts dans un va-et-vient entre l'esprit et la réalité, la réalité et l'esprit.

-Une quatrième sorte de savoir relève de l'efficacité. Cela marche ou non : c'est la TECHNOLOGIE.

LA FOI

Quant à la FOI, elle devient une connaissance, une saisie certaine au moment ou elle voit que ce qu'elle tient (ou plutôt ce par quoi elle est tenue) est "aimable", que l'on peut y adhérer. Alors il y a un instinct supérieur, plus fort que tout [dans notre coeur et dans notre âme; la grâce; l'Esprit Saint qui agit], qui perçoit en nous que ce que l'on a rencontré par le savoir est le bien de notre vie. Alors la foi devient sûr d'elle-même, non par évidence, analyse ou efficacité, mais par adhésion.

Bernard Bro, "Je ne demande qu'à vous croire" dans France catholique, 27-2-1987
Les apôtres disent bien "nous savons". C'est ce que saint Jean va dire.

et

Il y a du SAVOIR impliqué dans toutes les "formes de connaissances" soulignées par le père Bro. Ainsi, la petite Jacqueline de 12 ans et qui a vu la Vierge Marie en 1947 était bien en possession d'un savoir elle aussi; dirions-nous; elle, de même que les autres enfants, ensuite le père de Jacqueline qui constate qu'il advient exactement le miracle annoncé au moment prévu. Ça, c'est un savoir.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par prodigal » sam. 04 janv. 2020, 16:16

Cher Cinci,
je suis assez consterné par le niveau du texte de Bernard Bro, mais vos autres contributions, en revanche, me semblent très sensées.
Quelque chose me gêne cependant mais qui ne vient absolument pas de vous ni de vos messages. Cela vient de la manière dont la question est posée. On fait comme si "Savoir et croire s'opposent-ils?" c'était la même question que "la science et la foi s'opposent-elles?" avec bien entendu la science dans le beau rôle du savoir, et la foi qu'il faudrait défendre, puisqu'elle n'est que croyance. Je ne partage pas du tout cette manière de voir.
Donc, si la question est bien celle qui apparaît en titre : "Savoir et croire s'opposent-ils? ", voici ma réponse. Non seulement ils ne s'opposent pas, mais ils se complètent. Pas de croyance qui soit sans la moindre information sur ce qui est cru, pas de savoir qui ne soit en même temps croyance en ce que l'on sait. Comprendre cela, je trouve, incite à la modestie. Tout notre savoir reste au niveau de la croyance, quand bien même il apparaît plus assuré. C'est pourquoi Socrate a raison de dire "je sais que je ne sais rien".
Mais si la question est celle qui semble mobiliser ceux qui participent à ce fil, à savoir si la science et la foi s'opposent, ma réponse est qu'elles suivent des chemins trop séparées pour s'opposer. La science ne peut pas donner tort à la foi, non pas parce qu'un ange retiendra son bras au moment décisif, mais tout simplement parce que les questions qui relèvent de la foi ne sont pas de sa compétence. A la rigueur la science pourra aider à démasquer un faux miracle dû à un simulateur habile, mais ceci ne touche pas à la foi. Inversement, la foi ne peut pas donner tort à la science, non pas parce qu'elle serait son inférieure, mais tout simplement parce que les erreurs de la science sont susceptibles d'être dénoncées au simple niveau de la raison naturelle. C'est la science qui corrige la science. Il faut donc souhaiter que des deux côtés l'on résiste à la tentation d'empiéter sur un domaine auquel on n'a pas accès.
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » dim. 05 janv. 2020, 12:58

Bonjour,
Prodigal :

je suis assez consterné par le niveau du texte de Bernard Bro
Mais alors, Prodigal, puis-je vous demander de développer un peu la critique que vous feriez relativement à cette sorte de schéma pratique que le père Bro aurait pu esquisser ? Quel est ce reproche que vous feriez à ce qu'il suggérait déjà? Ça m'intéresse d'obtenir votre point de vue.

:?:
Dernière modification par Cinci le dim. 05 janv. 2020, 16:33, modifié 1 fois.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par prodigal » dim. 05 janv. 2020, 13:33

Je dois vous avouer que ce qui me gêne le plus n'est pas la doctrine du père Bro, que je n'ai pas essayé de deviner. Cet homme fut peut-être d'ailleurs quelqu'un de très bien. Non, c'est la soupe conceptuelle du passage cité. Chaque phrase devrait être reprise, afin d'en dissiper la confusion. Par exemple, pour prendre la première, est-ce si clair que cela que la science procède par évidence?
Mais je ne veux pas faire mon cuistre (trop tard! direz-vous :-D ), et plutôt que de corriger le détail, en venir au fond de l'affaire. Bernard Bro fait de la foi une certitude sentimentale, fruit de l'instinct, et la nomme "savoir". J'aime, donc je sais. Cette vision des choses a le tort de faire bon marché de la vérité, car enfin, il arrive fréquemment que ce que l'on aime soit illusoire, c'est pourquoi la lucidité est une vertu. Je ne pense pas non plus qu'elle décrive correctement la foi. Je ne vois pas la foi comme une sorte d'art de s'agripper au désir de certitude, mais plutôt comme la grâce de la confiance en ce qui est révélé. C'est croire ce que l'on ne peut pas voir, donc la foi s'accompagne d'une forme d'ignorance, c'est pourquoi saint Paul dit qu'elle passera, comme l'espérance et contrairement à la charité.
Mais vous avez le droit de me dire que je n'ai pas compris ce que voulait dire le père Bro. C'est probable, je n'ai fait que réagir à la citation que vous nous avez donnée. :)
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Altior » dim. 05 janv. 2020, 23:22

prodigal a écrit :
dim. 05 janv. 2020, 13:33
Chaque phrase devrait être reprise, afin d'en dissiper la confusion. Par exemple, pour prendre la première, est-ce si clair que cela que la science procède par évidence?
Il arrive, et il arrive de plus en plus souvent, que des gens écrivent en français, mais pensent en langue américaine. Il se peut qu'il ait pris le sens américain du terme «évidence», c'est à dire preuve et non pas évidence... Alors, oui, la science procède (ou prétend de le faire) par preuves.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par cmoi » lun. 06 janv. 2020, 10:58

Je découvre ce Topic et comme ce que je viens de publier sous le débat "Dumouch..." etc. s'y rapporte très bien, je me permets de le dupliquer ici.
Ce qui suit n'est pas de moi, je l'avais relevé lors d'une lecture d'un de ces livres qui dans l'orthodoxie tiennent un peu lieu de catéchisme.

Il convient de distinguer entre :

• La connaissance par l’intelligence
• La connaissance par raisonnement ou plus simplement le raisonnement discursif
• La croyance
• La vraisemblance ou conjecture

Abraham était certain de l’existence » de Dieu avant que Dieu ne lui parle et il aurait pu douter de la vérité de la promesse de Dieu, sans douter pour autant de l’existence de Dieu.

L’intelligence humaine connaît Dieu à partir de son œuvre, à partir de la création, l’univers physique et à partir des actions historiques que Dieu a accomplies, réalisées dans l’historie de son peuple chéri, le peuple hébreu.
L’existence de Dieu est donc une certitude de l’intelligence et non pas une question de foi au sens français du terme, puisqu’en français aujourd’hui, la foi n’est pas une connaissance, n’est pas un acte de l’intelligence, n’est pas une certitude.
D’ailleurs, faire porter la foi sur l’existence d’un être quel qu’il soit n’a en toute hypothèse aucun sens. Vous pouvez être certain de l’existence de tel ou tel homme politique, ou bien vous pouvez si vous le voulez en douter. Mais vous ne pouvez pas croire en l’existence d’un homme, politique ou non. Ou bien vous êtes certain de son existence, ou bien vous en doutez. Mais entre la certitude de l’intelligence et le doute, il n’y a pas la place pour un tertium quid qui serait la foi, au sens actuel du terme, c'est-à-dire au sens luthérien et kantien du terme.

(Reste à prétendre que le monde extérieur est une illusion…)

Je tiens pour tout à fait certain et sincèrement je professe que la foi n’est pas un sentiment aveugle de la religion qui surgit des profondeurs de l’inconscient sous la pression du cœur ou sous la pression, l’inflexion de la volonté informée par la moralité ou moralement – mais qu’elle est bien un véritable assentiment de l’intelligence à la vérité reçue du dehors.


1 C’est un acte de l’intelligence, c’est une intelligence, une authentique connaissance

2 Cette intelligence est donnée par Dieu, qui donne tout l’être, la vie, la pensée, le vouloir et l’agir, l’intelligence et la connaissance

3 C’est un acte libre, un acte de la liberté humaine, parce que personne ne peut contraindre qui que ce soit à regarder ce qui est, à préférer la vérité quelle qu’elle soit à l’erreur. On peut étudier les galaxies lointaines ou proches si on le veut. On peut aussi ne pas les étudier et s’en détourner. Ce n’est certes pas l’intelligence humaine qui crée les galaxies, mais l’intelligence humaine peut détourner son regard de toute réalité quelle qu’elle soit, ou bien au contraire tourner son regard vers et chercher à connaître. Celui qui connaît une réalité en profondeur c’est parce qu’il s’y intéresse. L’intelligence est donc mue du dedans par l’intérêt qu’elle porter à une réalité quelconque. L’intelligence est d’autant plus profonde que l’intérêt est plus profond.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par prodigal » lun. 06 janv. 2020, 11:04

Cher Altior,
C'est bien possible, en effet. Ceci dit, je ne vois pas l'intérêt de mentionner la science si c'est juste pour dire qu'en science il y a des preuves.
Je crois discerner une amorce de raisonnement sophistique qui aurait à peu près cette forme.
1) la science est vraie parce qu'elle est prouvée
2) mais il y a d'autres formes de vérités
3) la foi n'est pas prouvée mais ressentie
4) la foi est donc une autre forme de vérité, ergo la foi est vraie.
On voit que la mention faite de la science, en dehors du fait qu'elle est très contestable, n'apporte strictement rien au discours adjacent sur la foi. C'est pourquoi je réduis la citation du père Bro à l'affirmation suivante : la foi est vraie parce qu'on la ressent comme telle. Non plus "j'y adhère parce qu'elle est vraie", mais "elle est vraie parce que j'y adhère". Ce qui, me semble-t-il, ne veut rien dire.
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » lun. 06 janv. 2020, 16:06

Altior :

Il arrive, et il arrive de plus en plus souvent, que des gens écrivent en français, mais pensent en langue américaine. Il se peut qu'il ait pris le sens américain du terme «évidence», c'est à dire preuve et non pas évidence.
Merci. C'est bien ce que je comprenais aussi en lisant.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » lun. 06 janv. 2020, 19:05

Prodigal :
Ceci dit, je ne vois pas l'intérêt de mentionner la science si c'est juste pour dire qu'en science il y a des preuves.

C'est sans doute parce qu'il veut souligner que différents modes sont possibles par lequel obtenir un certain savoir. Et que le savoir ne s'oppose pas à la foi.

Si en science il y prend bien un fait (preuve, élément matériel, indice, événement qui se sera produit, etc.), dans la foi il y prendra bien un fait (preuve, élément matériel, événement, etc.) également, mais avec un petit "quelque chose" en plus. Il y a du savoir dans les deux cas.

C'est pourquoi je réduis la citation du père Bro à l'affirmation suivante : la foi est vraie parce qu'on la ressent comme telle. Non plus "j'y adhère parce qu'elle est vraie", mais "elle est vraie parce que j'y adhère". Ce qui, me semble-t-il, ne veut rien dire
Je n'avais pas du tout compris les choses de cette manière.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par prodigal » lun. 06 janv. 2020, 19:30

J'avoue que je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Pour ma part, je suis l'usage qui consiste à n'appeler savoir que ce qui peut être présenté sous une forme objective qui s'impose à toute personne de bonne foi. Il y a un savoir théologique, ainsi qu'exégétique, cela me paraît clair. On peut aussi être savant en histoire de l'Eglise, et en bien des domaines qui touchent la religion. Mais l'athée qui reçoit l'enseignement nécessaire pour entrer en possession de ce savoir n'a pas la foi pour autant.
En fait, je ne vois pas ce que c'est que ce savoir dont vous parlez, et c'est ce que je ne parviens pas à comprendre non plus chez Bernard Bro. Est-ce que vous parlez de la même chose d'ailleurs, ou de deux choses différentes?
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Fée Violine » lun. 06 janv. 2020, 21:06

Altior a écrit :
dim. 05 janv. 2020, 23:22
prodigal a écrit :
dim. 05 janv. 2020, 13:33
Chaque phrase devrait être reprise, afin d'en dissiper la confusion. Par exemple, pour prendre la première, est-ce si clair que cela que la science procède par évidence?
Il arrive, et il arrive de plus en plus souvent, que des gens écrivent en français, mais pensent en langue américaine. Il se peut qu'il ait pris le sens américain du terme «évidence», c'est à dire preuve et non pas évidence... Alors, oui, la science procède (ou prétend de le faire) par preuves.
Bonjour Altior,

c'est vrai que le français est de plus en plus contaminé par l'américain. Mais ce n'est pas le cas du P. Bro, dont le texte date de 1987, et qui était un savant dominicain, un intellectuel français parlant parfaitement français.
Il parle d'évidence et non de preuve. Je connais une chose parce que je la vois.
La foi en tant qu'adhésion est très différente de cette évidence. C'est le cas qui a été cité, de Ste Thérèse dans les ténèbres à la fin de sa vie, décidant de croire malgré l'évidence, malgré les sentiments, malgré tous les obstacles.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » mar. 07 janv. 2020, 1:47

Prodigal :

Pour ma part, je suis l'usage qui consiste à n'appeler savoir que ce qui peut être présenté sous une forme objective qui s'impose à toute personne de bonne foi. Il y a un savoir théologique, ainsi qu'exégétique, cela me paraît clair. On peut aussi être savant en histoire de l'Eglise, et en bien des domaines qui touchent la religion. Mais l'athée qui reçoit l'enseignement nécessaire pour entrer en possession de ce savoir n'a pas la foi pour autant.
C'est parce que vous parlez ici d'un savoir qui est extérieur à l'homme. Il ne nécessitera évidemment pas d'avoir la foi (les vertus théologales, etc.) pour savoir le nom d'un pays, le nom de sa capitale.

C'est comme le savoir littéraire ou culturel du bibliste ou celui du théologien qui ne seront pas un savoir d'une nature autre que celle du spécialiste de Shakespeare dans le fond. On pourrait appeler cela des connaissances extérieures à l'homme.

Extérieur

Connaître la vitesse exacte de la lumière correspond à un savoir qui ne me concerne pas moi au plus intime. Que la vitesse soit ceci ou cela ne va rien changer à ma vie. Accepter finalement comme correct le résultat des savantes équations du grand mathématicien Karl Gauss n'implique pas en retour que je me fasse disciple de ce bonhomme. Cela n'implique aucun engagement de ma part envers lui, je pourrais le détester à mort.

La forme de savoir qui s'impose à toute personne de bonne foi, objectivement, extérieurement ou instrumentalement : ce n'est pas la foi. Vous avez raison.

En fait, je ne vois pas ce que c'est que ce savoir dont vous parlez, et c'est ce que je ne parviens pas à comprendre non plus chez Bernard Bro. Est-ce que vous parlez de la même chose d'ailleurs, ou de deux choses différentes?
Il s'agit bien de la même réalité, je pense. Soyez-en rassuré. Mais que serait donc ce savoir dont nous parlerions ici ? Je me souviens que le professeur Guillemin de son côté appelait cela une "connaissance par contact". On entrerait déjà dans l'ordre de l'amour.

Je vais essayer de me servir du message de Fée Violine pour illustrer la chose.

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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Cinci » mar. 07 janv. 2020, 2:08

Fée Violine :
Il parle d'évidence et non de preuve. Je connais une chose parce que je la vois.
Et alors, expliquons ici, que l'évidence ou le "simple fait de constater matériellement par la vue" devrait suffire pour constituer cette preuve. Ça, c'est ce que le sceptique réclamera toujours. La méthode expérimentale peut se baser sur ce genre de choses et alors telle que sur des évidences.

Il ne nécessite pas la foi chrétienne on le comprendra, pour se convaincre que l'expérience de Pasteur invalidant l'hypothèse de la génération spontanée est concluante. La simple évidence du fait pourrait suffire. On regarde les conditions de l'expérience, on regarde ensuite le résultat. On peut ainsi savoir que l'hypothèse de la génération spontanée est fausse.

Ce n'est rien de mal en soi. Il s'agit d'une méthode pour obtenir un certain savoir.




Et puis ...

- Montre-nous le Père et ce serait bien suffisant.
- Comment dis-tu "Montre-nous le Père" ? Il fait si longtemps que je suis avec vous [...]

La foi en tant qu'adhésion est très différente de cette évidence. C'est le cas qui a été cité, de Ste Thérèse dans les ténèbres à la fin de sa vie, décidant de croire malgré l'évidence, malgré les sentiments, malgré tous les obstacles.
Dans tout ce qui conduit vers la foi, il peut entrer des sentiments, de l'évidence, des preuves ... Sauf que la foi elle-même dépasse une sorte d'enracinement qui ne pourrait "que" s'appuyer sur un sentiment ou sur une évidence. La foi amène le sujet plus loin, au-delà, sans rien toucher aux sentiments ni rien détruire de l'évidence. Ainsi, ce serait correct d'affirmer que la foi de Thérèse ne dépendait pas de son humeur du matin, d'une simple impression, d'une beau raisonnement bien construit. Néanmoins, la foi tient compte aussi des évidences comme les apôtres pouvaient tenir compte des miracles réalisés par Jésus.

Avec la seule évidence, la simple reconnaissance visuelle : on obtient un pharisien comme dans le Nouveau Testament. C'est comme les pharisiens qui demandent à Jésus de produire un beau signe éclatant, si "phénoménal" qu'à sa seule vue tout le monde serait forcé de reconnaître l'évidence.


Évidence : face au cas pourtant indéniable d'un aveugle guéri de façon inexplicable alors le pharisien n'en peut "au mieux "que rester pantois, interdit, dubitatif. La preuve sera faite que l'aveugle a retrouvé la vue. La guérison est prouvée. Or que sans la foi le pharisien pourra toujours se sentir libre de chercher une autre cause que celle avancée par les disciples du Christ. C'est comme la réponse que le pharisien fait à Jésus et au sujet de l'autorité de Jean le baptiste. "De qui Jean tenait-il son autorité pour faire ce qu'il faisait ?" Rép : "Je ne sais pas !"

Foi : la foi peut constater une évidence extérieure, et une évidence extérieure qui peut même être la même évidence que le sceptique constaterait. La différence c'est que la grâce qui est reçue chez l'un vient le convaincre intérieurement, vient l'éclairer sur la vérité et l'identité de ce qui est en cause. Elle provoque aussi l'adhésion. La foi n'apparaît pas dans le vide. Elle n'est pas sans raison. La foi est une forme de savoir. Sainte Thérèse savait que Jésus est le Christ et que le Ciel existait. C'est une illumination intérieure provoquée par le Saint Esprit qui fait éprouver solidement - par contact ? - comme étant vrai ce qui a été vu, perçu, entendu, compris, etc. C'est de l'amour par-dessus tout.

Bien tard, je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle,
bien tard, je t’ai aimée !

Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors,
et c’est là que je te cherchais,
et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais !

[...]

Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j’ai respiré et haletant j’aspire à toi ;
j’ai goûté, et j’ai faim et j’ai soif ;
tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix.

- Saint Augustin

Tu m'as touché ... connaissance par contact.

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Riou
Barbarus
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Re: Savoir et croire s'opposent-ils ?

Message non lu par Riou » mar. 07 janv. 2020, 10:30

Le mot évidence vient du latin "videre", "voir". En science, ce mot peut aussi désigner une vue de l'esprit, une vue intellectuelle, et pas seulement une vue d'un fait empirique à l'aide des yeux du corps. Je peux voir avec évidence, par les yeux de l'esprit, que le triangle a nécessairement pour propriété que la somme de ses trois angles est égale à 180 degrés. Ce n'est pas le triangle dessiné qui m'enseigne cette chose, mais la démonstration intellectuelle qui voit les rapports nécessaires de l'objet triangle à l'aide de l'imagination. Idem en métaphysique. "Je pense donc je suis" implique une évidence purement intellectuelle qui se fonde sur une intuition de l'esprit. Cette évidence ne peut se réduire à une vue de faits matériels que je percevrais par les yeux du corps, semble-t-il. Il faut donc distinguer vérité de raison et vérité de fait, ainsi que le type d'évidence corrélée à ces deux types de vérité.

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