Cinci a écrit : ↑dim. 27 juin 2021, 3:18
ademimo.
Vous dites :
ademimo :
Dans les Écritures, il y a en effet bon nombre de passages dont les uns et les autres s'emparent pour accuser leurs adversaires d'infidélité, au nom de la clarté du texte. On n'est pas ici dans ce cas de figure, car je ne crois pas qu'une polémique quelconque ait éclaté ici entre catholiques, protestants et orthodoxes, voire musulmans.
Mais, vous seriez comme en train d'en créer une avec moi, de polémique ! En direct ! Illustrant exactement ce que je suis en train de dire.
Parce que vous tenteriez de me faire croire qu'il n'y aurait pas d'autre façon de lire la parabole. Il faudrait que le mauvais riche soit dans l'enfer éternel de Dante ! Il faudra même amener des Pères de l'Église en renfort, pour prouver qu'il serait impossible de comprendre autrement la situation du personnage dans la parabole. Il faudrait bien sûr que ce soit le portrait d'un damné dans les flammes éternelles, etc.
Écoutez :
Pour ma part, je nie
en rien le fait que des tas de catholiques auront voulu voir un riche dans l'enfer éternel. Au contraire ! C'est en plein ce que je dis. Les uns veulent se représenter le riche en enfer. Sauf, en même temps, je dis qu'il n'existe aucun dogme dans l'Église sur la manière d'entendre cette parabole ! C'est pas vrai que l'Église avec son autorité obligerait les fidèles à lire la parabole comme ademimo aimerait la lire, comme saint Jean Chrysostôme ou n'importe qui. La note dans la Bible de Jérusalem ne représente en rien une affirmation dogmatique de l'Église catholique, si ça peut être l'avis du comité de rédaction.
Dans ma Bible d'étude à moi, qui est celle d'Émile Osty, au sujet de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, voici la note que je trouve :
Luc 16, 23
23. Et dans l'hadès, levant les yeux, alors qu'il était dans les tortures, il voit Abraham de loin et Lazare dans son sein.
Émile Osty, en bas de page :
«... une mauvaise coupure du texte a donné lieu à un contresens célèbre de la Vulgate (sepultus in inferno), qui a fleuri dans la prédication - «L'hadès», interprétation grecque du «Chéol, le séjour des morts des textes bibliques».
Dans la Bible Osty, le mauvais riche se trouve au séjour des morts, non pas dans l'enfer éternel de la vision des enfants à Fatima.
Du reste, mais c'est exactement ce que dira Benoit XVI dans sa lettre encyclique
Spe Salvi au numéro 44.
Benoit XVI
44 [...]
Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore.
45. Cette idée vétéro-juive de la condition intermédiaire inclut l'idée que les âmes ne se trouvent pas simplement dans une sorte de détention provisoire, mais subissent déjà une punition, comme le montre la parabole du riche bon vivant, ou au contraire jouissent déjà de formes provisoires de béatitude. Et enfin il y a aussi l'idée que, dans cet état, sont possibles des purifications et des guérisons qui rendent l'âme mûre pour la communion avec Dieu. L'Église primitive a repris ces conceptions, à partir desquelles ensuite, dans l'Église occidentale, s'est développée petit à petit la doctrine du purgatoire.
https://www.vatican.va/content/benedict ... salvi.html
Est-ce que Benoit XVI est un innocent qui ne sait rien de la tradition de l'Église ? Il est incapable de lire la Bible ? C'est un tricheur ? Non.
Mais c'est juste qu'il n'y a jamais eu de dogme à propos d'une seule et unique manière de comprendre cette parabole. Et alors, pour moi, comme pour Benoit XVI et tel ici dans
Spe Salvi, de toute évidence : trouver le personnage de la parabole dans le séjour des morts serait la façon la plus naturelle et la mieux adaptée de saisir de quoi il retourne.
En fait, votre réaction illustre ce que je dis depuis le départ : il est bien difficile aux catholiques d'aujourd'hui d'admettre la damnation éternelle jusqu'à nier un texte plutôt simple à comprendre. Je ne parle pas de recourir aux dogmes, qui de toute façon n'existent pas en tant que grille de lecture (à part de très rares passages sur lesquels ils s'appuient), mais à la logique la plus élémentaire.
Les extraits que vous citez n'invalident en rien ce que je disais. L'Enfer de Dante précède lui aussi le Jugement dernier. La doctrine traditionnelle de l'Église soumet les âmes à un jugement particulier qui les expédie soit en Enfer soit au Paradis, soit encore au Purgatoire, auxquels s'ajoutent les Limbes pour les Justes d'avant la Passion. Au Jugement dernier, les corps ressuscitent, pour rejoindre cette fois corporellement les lieux affectés auparavant à leurs âmes. Le second Jugement ne diffère en rien du premier, mais au contraire le confirme. Voilà ce que l'Église proclame depuis toujours.
Donc effectivement, l'histoire de Lazare se passe avant le Jugement dernier. Et donc nous parlons bien des âmes, et non encore des corps. Mais ça ne change rien fondamentalement.
Alors certes, on parle de l'Hadès. C'est pourquoi je disais : admettons. Admettons que tout ceci se déroule avant la Passion. Le Christ n'est pas encore descendu aux Enfers (donc au Shéol, ou dans l'Hadès) pour en délivrer les Justes. Il n'empêche que le Christ ne délivre pas
tous les morts du Shéol, mais seulement les Justes, dont fait partie le Lazare de la parabole.
Dans ce cas, ça voudrait dire qu'à l'intérieur même de cet Enfer, ou proto Enfer (car enfin, arrêtons de jouer sur les mots, pour les anciens latins, l'Enfer ou les Enfers, désignaient bel et bien ce même Hadès d'avant, et je crois personnellement que tous ces termes sont interchangeables dans la culture antique (*), mais peu importe, admettons), à l'intérieur de ce proto Enfer (je reprends), il y aurait déjà des séjours bien distincts ? Hé oui, puisque le mauvais riche n'est pas au même endroit que "le sein d'Abraham". Il y aurait donc à l'intérieur de cet Enfer un lieu de félicité, séparé des âmes moins fortunées par un abîme infranchissable ?
C'est tout de même étrange... Pourquoi le Christ serait-il donc venu délivrer ceux qui étaient dans le Sein d'Abraham, et jouissaient déjà des prémices de la félicité ?
C'est là que ça ne colle plus, car pour l'Église, dans son enseignement traditionnel, le Sein d'Abraham, c'est les Limbes, où le Christ a placé les Justes délivrés des Enfers le soir du Vendredi Saint. Vous voyez, on ne s'en sort pas.
De plus, vous voyez bien que le mauvais riche n'appartient pas au cercle des Justes. Il serait donc au Purgatoire ? On n'en sait rien. Le texte le dit-il ? Non. Le texte ne laisse absolument
rien entendre qui aille dans ce sens. Par contre, il me semble que l'Église enseigne que les tourments du Purgatoire sont très largement atténués par l'Espérance d'arriver à bon port. Où voyez-vous l'espérance du mauvais riche ? Pourquoi demande-t-il à prévenir ses frères de ce qui les attend, si son sort n'est pas autant dramatique ? Pourquoi Abraham répond-il : "qu'ils écoutent les Prophètes. S'ils ne les écoutent pas, si l'un de nous allait leur parler, ils ne seraient pas convaincus pour autant." Nous parlons donc bien de gens qui refusent de se convertir, n'écoutent pas les prophètes, et donc en définitive se fichent de Dieu, n'est-ce pas ? Il faudrait donc les prévenir en leur envoyant Abraham en personne pour leur éviter d'atterrir au Purgatoire ? Ça n'a aucun sens, Cinci. Ça n'a aucun sens...
Tout ce que je vois, c'est non pas deux interprétations possible entre les catholiques, mais plutôt un discours d'avant Vatican II, et un discours d'après Vatican II qui ne supporte plus l'idée de la damnation, et je n'hésite pas à y inclure la réflexion de Benoît XVI (que j'apprécie par ailleurs). C'est alors que l'on se met à tordre le bras aux textes pour les faire coller aux nouvelles vues.
(*) Vous avez peut-être remarqué que l'Enfer éternel au sens dantesque du terme est rarement évoqué (sous ce mot : Enfer) dans le Nouveau Testament. Voire jamais (de mémoire). Juste une remarque en passant. Il n'y a donc rien à conclure de l'emploi du mot Hadès. Pour les antiques, il n'y a pas de distinction entre un Hadès signifiant "séjour des morts d'avant la Passion", et l'Enfer éternel à la Jérôme Bosch. C'est un pur anachronisme que de vouloir appliquer cette double signification aux termes "Enfer" et "Hadès". L'Enfer et l'Hadès, c'est la même chose, sauf que l'Hadès est grec et l'Enfer latin... On retombe sur le même genre de débat au sujet des Anges et des Envoyés...