"Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère est possible du jugement ; que celui qui dira à son frère : Raca ! mérite d'être puni par le sanhédrin ; et que celui qui lui dira : Insensé ! mérite d'être puni par le feu de la géhenne.
Si donc tu présentes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
laisse là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande.
Accorde-toi promptement avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'officier de justice, et que tu ne sois mis en prison.
Je te le dis en vérité, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies payé le dernier quadrant " Matthieu 5 : 22-26
Il y a un aspect que je trouve intéressant dans ce passage et que je ne remarque que maintenant, c'est la partie "Accorde-toi promptement avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'officier de justice, et que tu ne sois mis en prison. "
Le "de peur" donne comme l'impression que notre peine dépend en partie du pardon ou non de ceux à qui l'on a fait du mal. Ce qui semble rejoindre une réflexion de Joseph Ratzinger concernant le Purgatoire et la vierge Marie qui est montée directement au ciel car il ne s'est trouvé aucune faute chez elle qui fasse souffrir quiconque et perdure encore.
"D'une part, une question s'impose : un être humain peut-il être totalement parfait et achevé tant qu’il est source de souffrance, tant que la faute dont il est cause continue de couver sur terre et de faire souffrir des hommes ? L'hindouisme et le bouddhisme, dans leur doctrine du karman, ont systématisé à leur manière cette conception originelle qu'ils ont aussi dénaturée. Mais cette doctrine exprime pourtant par là un savoir originel que ne peut nier une anthropologie de la relation. La faute permanente est une part de moi-même, elle m'atteint en moi-même, elle est donc ainsi une part de ma constante soumission au temps dans lequel des hommes à cause de moi continuent de souffrir très réellement, et c’est par là qu'elle m'atteint. C'est à partir de là qu'il faudrait comprendre, soit dit en passant, le lien intrinsèque des dogmes de l'immaculée conception de Marie et de son assomption corporelle au ciel : elle est totalement chez elle, parce que nulle faute n'est venue d'elle qui fasse souffrir les hommes et continue d'agir dans la passion, qui est l'aiguillon de la mort dans le monde. " ("La mort et l'au-delà", Joseph Ratzinger)
Il y a comme une justice de solidarité là-dedans, de solidarité dans la faute. Et c’est logique car nous sommes des êtres de relation. C'est quelque chose que l'on a trop souvent tendance à oublier que cette solidarité humaine, nous sommes tous liés les uns aux autres dans la faute. Ma faute m'atteint moi mais atteint aussi l'autre. Elle a des conséquences dans l'autre, elle l'impacte. Et inversement. Quand on juge l'autre, le "méchant", on oublie qu'on y est pas étranger, que ce qui me touche moi touche l'autre et que ce qui touche l'autre me touche. De façon directe ou indirecte, de façon subtile, insidieuse, nous sommes tous liés les uns aux autres. On ne peut pas à ce point se désolidariser de la faute d'autrui. Le Christ ne l'a pas fait.
"Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous" (Romains 11 : 32)
"C’est pourquoi, de même que par un seul homme, le péché est entré dans le monde et par le péché, la mort, et ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que tous ont péché… " (Romains 5 : 12)
Payer sa faute c'est payé le mal que l'on a fait et si ce mal continue de faire souffrir quelqu'un, c'est comme si l'on restait lié à cette faute. C'est comme si notre délivrance dépendait du pardon.
Quand les martyrs de l'apocalypse demandent "ils crièrent d'une voix forte, en disant : Jusqu'à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu à juger, et à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre ?" (Apocalypse 6 : 10), c'est comme s'ils n'avaient pas pardonnés et maintenaient la peine sur les coupables. Bien sûr, ils sont dans leur droit de réclamer justice, ce n’est pas une faute.
Dieu nous demande dans sa miséricorde de pardonner, et peut-être ainsi de ne pas maintenir le coupable dans la peine de son péché. Et qui plus est, "mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs fautes, votre Père ne pardonnera pas non plus vos fautes" (Matthieu 6 : 15). En effet, si l'on est victime du mal des autres, il ne faut pas oublier que nous aussi nous avons commis du mal envers d'autres auquel nous sommes également liés. Si on estime légitime de faire payer à l'autre, il est tout autant légitime de nous faire payer à nous aussi nos fautes.
Or, si nous accordons notre pardon, peut-être délions-nous le coupable de son péché et des tourments qui y sont liés.
Sous couvert de repentir ? Peut-être que si nous accordons notre pardon alors ce qui maintient le coupable dans la peine n'est plus la souffrance qu'il a causé mais son absence de repentir, son enfermement dans la boue, les ténèbres de son péché.
Peut-être le Christ demande-t-il sur la Croix au Père de pardonner car l'offense contre le Dieu infini nous lierait à l'infini à notre péché, sans salut possible, sans ce pardon divin.