Cher Gaudens,
Vos inquiétudes sont certainement justifiées et rejoignent celles mentionnées dans le message précédent de
Cmoi (que je remercie au passage pour ses réflexions). Il convient d’exprimer ces inquiétudes et de les rappeler pour éviter des pièges toujours possibles dans les développements qui suivent des déclarations conciliaires ou papales qui avancent des ouvertures nouvelles. De telles ouvertures restent toujours possibles dans la continuité et la fidélité à l’enseignement de l’Église depuis deux mille ans, mais toujours aussi, hélas, susceptibles de nouvelles déviations erronées ou schismatiques.
Gaudens a écrit : ↑ven. 22 mars 2024, 11:57
en quoi un penseur, parce qu’étiqueté comme Juif, aurait une sorte de validité particulière à apporter dans la lecture de l’Écriture, en particulier celle du Nouveau Testament.
C’est la question à laquelle il reste important et même essentiel de revenir autant que nécessaire.
Vous avez même raison de pousser la question jusqu’à la prise en compte non seulement des juifs plus ou moins pieux et fidèles à l’ancienne alliance mais aussi de ceux qui sont simplement «
étiquetés » juifs.
La notion de juif échappe largement aux définitions et j’ai lu qu’un juif en avait dénombré plus de 8.000 sans en trouver une satisfaisante…
La validité particulière de leur connaissance me semble concerner surtout la pratique de la religion de la Torah mais cette connaissance n’est évidemment pas exclusive des autres connaissances et beaucoup d’auteurs non juifs, comme ceux que vous citez, ont développé des compétences parfois bien supérieures à celles de nombreux juifs dans la connaissance de ce qu’était le milieu juif à l’époque de la vie terrestre de Jésus de Nazareth.
Cette validité particulière de la connaissance juive est et n’est que celle de la pratique de la première alliance dont chaque juif a une connaissance soit par sa propre pratique personnelle, soit par la pratique de juifs qui l’entourent dont il est témoin, soit par sa vie dans un milieu juif qui est imprégné par cette pratique de diverses manières.
Cette connaissance pratique personnelle et expérimentée à l’intérieur du judaïsme, était celle de Jésus et de ses apôtres. Nous ne l’avons pas et nous n’en avons connaissance qu’indirectement.
Il ne s’agit évidemment en rien de chercher chez des Juifs des éclairages en contradiction quelconque avec la foi de l’Église ni d’idéaliser leur connaissance par un a priori positif, mais de croire que des éclairages venant de Juifs peuvent nous enrichir, améliorer notre intelligence de la foi, de notre foi catholique.
Car un surplus de l’intelligence de la foi reste toujours possible.
Rappelons-nous, en effet, l’infaillibilité pontificale, l’Immaculée Conception ou l’Assomption dont les dogmes n’ont été proclamés qu’au cours des deux derniers siècles, plus de 1800 ans après les débuts de l’Église.
N’oublions pas que le Christ s’est incarné dans le milieu juif plus de 1500 ans après l’alliance avec Abraham, après un long processus rempli d’infidélités humaines.
Certes, les Juifs comme les Chrétiens ont beaucoup évolué en deux mille ans, mais la Torah, l’Ancienne Alliance, est inchangée. Au contraire, depuis l’Incarnation, le texte même de la Parole de Dieu s’est fixé alors qu’à l’époque de Jésus, il n’y avait pas encore de canon très précis des livres bibliques formant la Parole de Dieu (aujourd’hui encore, certains de nos livres de l’Ancien Testament ne sont pas reconnus par les Juifs et les protestants) et il existait plusieurs versions différentes des textes des Écritures (aujourd’hui encore, entre la version en grec dite des septante et la version hébraïque des Massorétiques, il subsiste des variantes).
À cet égard, les évolutions du judaïsme devenu rabbinique après la destruction du temple de Jérusalem sont secondaires par rapport à ce qui demeure inchangé : la Parole de Dieu de l’Ancien Testament comprenant l’alliance enseignée par la Torah.
Ce que les humains en ont fait, depuis plus de trois mille ans, avec beaucoup d’infidélités et de déviations erronées, ne supprime jamais leur expérience pratique de l’alliance enseignée par la Torah (les cinq premiers livres de notre Ancien Testament).
Cette expérience pratique, que nous n’avons pas, donne au témoignage des Juifs une validité particulière que les autres n’ont pas.
Sauf rares exceptions, l’Église n’est plus guère composée que de baptisés qui n’ont aucune expérience pratique de l’alliance d’Abraham et Moïse dans laquelle étaient plongés Jésus, ses apôtres et les premiers chrétiens.
L’Évangile a ouvert une porte nouvelle spirituelle pour tous les hommes et, notamment, pour une foule immense de personnes qui n’ont aucune expérience pratique de l’ancienne alliance.
À l’époque de la vie terrestre de Jésus et des débuts de l’Église, les premiers disciples du Christ avaient une connaissance terrestre de Jésus lui-même ou de certains témoins directs de sa vie terrestre et de sa résurrection.
Certains juifs de l’époque, avec toute leur pratique de l’alliance judaïque (de diverses tendances et plus ou moins bonnes ou erronées), ont rejeté Jésus voire voulu le supprimer, mais beaucoup d’autres étaient attirés en foules.
Mais, quelques dizaines d’années plus tard, après l’Ascension puis la disparition successive de tous les témoins directs de la personne terrestre de Jésus de Nazareth, tous, Juifs ou non Juifs, n’ont plus disposé que de la parole, des mots, et des signes pour évoquer Jésus de Nazareth.
Et, à cet égard, il me semble que, par rapport à la conversion au Christ et à l’incorporation dans l’Église, nous pouvons observer une différence entre les Juifs et les non Juifs qui va subsister jusqu’à la fin des temps.
Avant l’incarnation du Christ, les païens n’avaient rien d’autre que le témoignage du peuple élu (y compris la Torah et les autres Écritures) pour leur révéler Dieu de manière intelligible et authentique. Toutes les religions du monde s’égaraient dans des impasses, même si, comme l’a justement relevé le Concile Vatican II, il y avait bien sûr des éléments de vérité dans ces religions comme dans diverses pensées philosophiques ou morales, et que l’Esprit Saint n’a certainement jamais cessé de souffler dans la création en général et dans les humains.
Pour tous ceux qui n’étaient pas ou ne sont pas juifs, l’absence de connaissance de Dieu par la pratique de l’Alliance mosaïque, était et reste aussi, paradoxalement et dans une certaine mesure, comme une terre relativement dégagée pour y recevoir l’Évangile.
Les bases religieuses polythéistes ou autres sont loin de la révélation authentique de Dieu de l’alliance judaïque et, lorsque l’Évangile est annoncé à des non juifs, leur terrain personnel est vide de la connaissance authentique et vraie de Dieu par la chair selon l’alliance judaïque et, dans ce vide (relatif), l’ouverture à la réception de l’Évangile peut s’avérer plus grande.
C’est un point paradoxal mais qu’il me semble important à souligner : la première alliance a été faite dans la chair pour permettre plus tard l’alliance nouvelle par l’Esprit Saint qu’a pu nous envoyer le Christ ressuscité. Mais, pour le juif qui s’est approché de Dieu par la chair, il a certes été plus apte que quiconque d’autre pour reconnaître Jésus venu lui-même dans la chair, durant sa vie terrestre dans le pays de Canaan. Par contre, lorsque Jésus ne lui est plus révélé par la chair, comme Jésus l’a fait il y a deux mille ans, mais seulement par la parole et des signes, le juif se trouve, paradoxalement, dans une situation qui peut être plus difficile que celle du non-juif pour pouvoir reconnaître le Christ.
L’alliance avec ses prescrits dans la chair était le meilleur des pédagogues pour ouvrir l’humain au Christ dans la chair, lors de la vie terrestre de Jésus, et beaucoup de Juifs se sont convertis à cette époque, mais cette même alliance selon la chair a pu, à cet égard, et paradoxalement, se transformer en entrave à la reconnaissance du Christ par l’esprit et non plus par la chair.
Peut-on comprendre, par rapport à une révélation spirituelle, ce que signifie d’être plongé dans le bain de la foi et de la culture juive qui vient ouvrir pour l’humain un chemin dans la chair et qui lui révèle toute l’excellence de ce chemin selon la chair ? N’est-ce pas ce que Jésus considère lorsqu’il leur dit qu’ils ont des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre et une intelligence pour ne pas comprendre ? Comment voir, entendre et comprendre, selon la chair, ce qui vient se révéler selon l’esprit, par l’Esprit Saint, par l’Église, par les sacrements, lorsqu’on a appris et qu’on pratique un chemin selon la chair ?
À cet égard, pour ceux qui ont appris à connaître Dieu par la chair, il peut y avoir un surplus de difficulté à adorer Dieu «
ni sur cette montagne, ni à Jérusalem » mais «
en esprit » (Jn 4, 23-24).
Mais, même si aujourd’hui la plupart ne parviennent pas à reconnaître le Christ, les Juifs restent porteurs de toute la lumière de la pratique de l’alliance qui est à la racine de notre foi et nous pouvons encore nous en enrichir, même si la validité particulière de leur témoignage reste très mystérieuse.