Merci d'attirer l'attention sur les sacramentaux, Perlum Pimpum. C'est en plein le sujet, dans le fond.
La notion de sacramental
Un sacramental désigne tous les rites sacrés institués par l'Église pour obtenir de Dieu des grâces particulières. La similitude entre sacrements et sacramentaux naît dans le signe sensible utilisé pour accorder aux fidèles des grâces actuelles ou des effets spirituels pour se sanctifier. Ils diffèrent des sacrements parce qu'ils n'ont pas été institués par le Christ pour produire dans les âmes une grâce particulière, mais par l'Église au fil des siècles.
Le théologien Hugues de Saint-Victor distingua trois catégories de sacrements désignées par une nouvelle terminologie pour préciser sa pensée. La première catégorie,
sacramenta salutis, recouvre la notion moderne de sacrements, c'est à dire les signes sensibles signifiant le salut que Dieu nous propose ainsi que la manière dont nous les recevons.
La deuxième,
sacramenta administrationis, regroupe les signes sensibles nécessaires à la préparation du salut, tandis que la troisième ,
sacramenta exercitionis, rassemblent ceux qui préparent au salut ainsi qu'à la réception de la grâce. Les deux dernières catégories recouvrent la notion moderne de sacramental. A sa suite, Pierre Abélard distinguait les
sacramenta majora des
sacramenta minora. Les premiers s'adressent aux sacrements tandis que les seconds traduisent les sacramentaux.
Tout en acceptant cette distinction, Thomas d'Aquin n'envisagera les sacramentaux qu'en relation étroite avec les sacrements auxquels ils se rapportent. Pour lui, sacramentalia ne signifie par "petits sacrements" ou "imitation de sacrements" mais choses relatives aux sacrements.
[...]
Autrement dit, les sacramentaux disposent l'âme à recevoir la grâce que produisent les sacrements, soit en écartant un obstacle comme le démon, soit par la rémission des péchés véniels, ou encore en disposant le fidèle à accomplir et à recevoir les sacrements.
Ex : Som.Th. III a 65, a 1 ad 6. « l'eau bénite et les autres choses consacrées ne sont pas appelés des sacrements parce qu'elles ne conduisent pas jusqu'à l'effet du sacrement qui est l'obtention de la grâce. Mais ce sont là des dispositions aux sacrements qui opèrent en écartant un obstacle : c'est ainsi que l'eau bénite est dirigée contre les pièges du démon et contre les péchés véniels, ou encore en produisant une certaine capacité à l'égard de la réception des sacrements; c'est ainsi que par révérence envers l'eucharistie, on consacre l'autel et les vases qu'on y emploie.» (cité dans
L'eau bénite. Histoire et spiritualité)
La théologie ancienne opérait de nombreuses distinctions parmi les sacramentaux :
orans, le Notre Père, les prières prescrites et dites au nom de l'Église;
tinctus, les aspersions d'eau bénite et les onctions saintes;
edens, les aliments bénits;
confessus, la récitation du confiteor;
dans, l'aumône et les oeuvres de miséricorde,
benediscens, les bénédictions.
La théologie au début du XXe siècle
La théologie avait abandonné ces subtiles distinctions pour ne retenir que deux catégories de sacramentaux, les sacramentaux-actions et les sacramentaux-choses.
Les "sacramentaux-actions" regroupent toutes les bénédictions, consécrations et exorcismes qui ont des effets de courte durée. c'est à dire du temps de l'action, tandis que les sacramentaux-choses présentent un caractère permanent, tant que l'objet demeure, c'est le cas d'une médaille bénite ou encore d'un autel consacré. Ainsi, le Code de droit canonique de 1917 classifiait parmi les sacramentaux-actions, les consécrations, les bénédictions et les exorcismes.
Avec le Code de droit canonique de 1917, l'Église recentra le débat théologique dans ses canons 1144-1145 :
Can. 1144. Les sacramentaux sont des choses ou des actions que l'Église a l'habitude d'employer, par une certaine imitation des sacrements, pour obtenir par sa prière des effets avant tout spirituels. Can. 1145. Seul le Saint-Siège peut constituer de nouveaux sacramentaux, interpréter authentiquement ceux déjà en usage, abolir ou changer quelques uns d'entre eux.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la théologie prit ses distances avec la logique scolastique et ses multiples divisions pour appréhender la motion de sacramental dans sa globalité. Ainsi, à la veille du concile Vatican II, M. Righetti définissait ainsi les sacramentaux : «Les sacramentaux sont des signes visibles, d'ordre religieux, institués par l'Église en vue du culte, comme une protection contre les agissements du démon, et pour faire grandir le bien spirituel et matériel des fidèles.»
Cette dernière définition permet d'envisager davantage les sacramentaux dans leur dimension ecclésiale et non plus proprement à la lumière des sacrements.
La synthèse conciliaire du magistère actuel
La réflexion théologique va permettre aux Pères du concile Vatican II de sortir définitivement des distinctions entre les sacramentaux-actions et sacramentaux-choses pour ne considérer en eux qu'un signe qualifié de sacré.
Ces signes sacrés, institués par l'Église, agissent à l'imitation des sacrements. Ils produisent des effets spirituels pour préparer les fidèles à la réception des sacrements ou encore les aider dans leur vie quotidienne. La Constitution
Sacrosanctum Concilium résume ainsi la doctrine des sacramentaux :
«En plus, la Sainte Mère l'Église a institué des sacramentaux. Ce sont des signes sacrés par lesquels, selon une certaine imitation des sacrements, des effets surtout spirituels sont signifiés et obtenus grâce à l'intercession de l'Église. Par eux, les hommes sont disposés à recevoir l'effet principal des sacrements et les diverses circonstances de la vie sont sanctifiées.»
Cette conception des sacramentaux est également complétée par les autres documents conciliaires, notamment la Constitution dogmatique
Lumen Gentium, qui authentifie le lien entre l'acte cultuel et l'engagement temporel des fidèles. Cet enseignement sera entièrement repris dans le Magistère ordinaire actuel. Ainsi le
Catéchisme de l'Église catholique, dans l'article consacré aux sacramentaux, reprend la citation conciliaire de Sacrosanctum Concilium, avant d'en exposer sobrement la théologie :
«Ils sont institués par l'Église en vue de la sanctification de certains ministères de l'Église, de certains états de vie, de circonstances très variées de la vie chrétienne, ainsi que de l'usage des choses utiles à l'homme. Selon les décisions pastorales des évêques, ils peuvent aussi répondre aux besoins, à la culture et à l'histoire propre au peuple chrétien d'une région ou d'une époque. Ils comportent toujours une prière, souvent accompagnée d'un signe déterminé, comme l'imposition de la main, le signe de la Croix, l'aspersion d'eau bénite (qui rappelle le baptême). Ils relèvent du sacerdoce baptismal : tout baptisé est appelé à être une "bénédiction" (cf. Gn 12,2) et à bénir (cf. Lc 6,28; Rm 12,14; 1 P 3.9) [...] »
CEC n. 1668-1669
Note : j'utilise ici comme source Marc-Antoine Fontenelle, oblat bénédictin,
L'Eau bénite. Histoire et spiritualité, Pierre Téqui éditeur. 2009