Reflexion 1 ) : vous affirmez là que la faculté d'abstraction n'a rien à voir avec le cerveau.
C'est bien cela ou ai-je mal compris ?
Tout à fait, voir plus haut, l’abstraction est irréductible aux opérations du cerveau, qui sont des opérations mécaniques et mesurables ayant des inputs finis et produisant des outputs finis, donc totalement inaptes à abstraire un concept dont la portée est infinie, puisque dégagé de tous les objets qui constituent son extension. A ce sujet le point de vue naïf et erroné qu’on trouve chez les réductionnistes c’est de croire que parce qu’on a saisi une collection d’objets rouge on a du même coup saisi le concept de rouge, et ces messieurs de crier victoire en croyant nous faire avaler leurs sornettes d’un « cerveau conceptualisant », alors qu’il n’y a rien de plus faux, il ne faut avoir aucune once de rigueur et même de raison pour identifier le concept à une collection finie de son extension, c’est vraiment ne rien comprendre à la logique la plus élémentaire, et notamment celle des ensembles.
Je préviens aussi une autre erreur de raisonnement, c’est celle consistant à nier l’autonomie de l’abstraction sous prétexte qu’elle doit être précédée d’autres opérations comme la perception, et le naïf de dire « celui qui ne perçoit rien, n’abstrait rien, donc il n’y a pas autonomie de la faculté d’abstraction ». Grossier paralogisme ! Car il y a confusion entre l’autonomie de l’opération à proprement parler et l’autonomie à produire un résultat qui est tout autre chose. Sur une chaîne de montage un ouvrier pose les boulons, puis après un deuxième les serre : les deux ouvriers sont autonomes, mais le résultat du second dépend de celui du premier, si le premier ne pose pas les boulons, l’autre n’aura rien à serrer. Or ce qui nous intéresse nous, dans le sujet bien précis de la subsistance de la forme humaine, ce n’est pas l’autonomie à produire un résultat (parce que bien évidemment c’est une constatation triviale qu’il faut d’abord percevoir avant d’abstraire) mais c’est l’autonomie de l’opération elle-même (c’est à dire qu’au moment où elle opère, elle opère sans coopération).
Reflexion 2) : Vous faites référence à Gödel et précisément à ce passage que vous aviez cité ailleurs :
Pour Gödel, le cerveau est une machine de Turing qui ne peut prendre qu'un nombre fini d'états possibles. On dispose d'un nombre de neurones fini, susceptibles de se connecter les uns les autres. Les connexions sont, soit ouvertes, soit fermées. L'état du cerveau à un instant t donné est alors déterminé par les connexions ouvertes entres les neurones: il n'y a qu'un nombre fini d'états possibles.
Mais Gödel refuse le fait que l'esprit soit lui-même une machine et soit donc réductible au cerveau. Pour Gödel, le matérialisme qui assimile l'esprit au cerveau est fondé sur une métaphysique basée sur des "préjugés" de notre temps.
Gödel entend montrer l'irréductibilité de l'esprit au cerveau par ce raisonnement:
1. On admet que l'Homme peut résoudre tout problème qu'il peut se poser.
2. On admet que le cerveau est une machine de Turing, c'est-à-dire qu'il ne peut prendre qu'un nombre fini d'états possibles.
3. Le fonctionnement de l'esprit est donc irréductible à celui du cerveau.
4. On remarque que la façon la plus simple de dissocier le fonctionnement de l'esprit à celui du cerveau est d'accorder à l'esprit un nombre infini d'états possibles.
5. On conclut que puisque l'esprit est capable de prendre des états internes plus nombreux que ceux du cerveau, il faut que l'esprit soit une entité distincte du cerveau.
6. Si l'esprit est une entité distincte du cerveau, il doit pouvoir exister sans le cerveau
Commentaires :
postulat 1) "on admet que" ... On peut tout autant ne pas admettre ce premier postulat.
Dire que l'Homme peut résoudre tous les problèmes qu'il peut se poser, c'est présumer beaucoup de l'Homme. Il y a quantités de problèmes que l'Homme n'a jamais résolu et ne résoudra probablement jamais... à commencer par l'origine de l'Univers.
Là il y a erreur de compréhension, mais c’est vrai qu’il s’agit d’un schéma vulgarisé et non de la démonstration elle-même, ce qui peut prêter à confusion, donc précisons: il s’agit d’un raisonnement par l’absurde où l’on suppose vraie une hypothèse de départ de laquelle on déduit sa négation, et d’où l’on conclut pour éviter la contradiction qu’il faut nier l’hypothèse de départ, donc affirmer l’hypothèse contraire. Or l’hypothèse de départ en l’occurrence c’est celle de l’homme-machine conforme à la fois à la thèse matérialiste et au programme finitiste et formaliste lancé par Hilbert et auquel Gödel se proposait de répondre. Hilbert proposait de montrer qu’il était possible de démontrer n’importe quelle proposition en un nombre d’étapes finies par la simple application mécanique d’un jeu d’axiomes et de règles d’inférences, donc en fait qu’une machine pouvait se substituer à l’esprit mathématique, qu’une machine suffisamment complexe pouvait démontrer ce que les esprits les plus géniaux avaient démontré, si donc une machine peut faire tout ce que l’homme fait, alors pourquoi voir dans l’homme autre chose qu’une machine, et puisque c’est l’homme qui produit les machines, pourquoi ne pas voir en l’homme la machine la plus évoluée capable de tout ? Là nous sommes en plein dans les thèses scientistes et matérialistes du XIXème, début XXème. (vision mécaniste de l’homme, confiance absolue dans sa capacité à tout résoudre etc...)
Et Gödel dit : « chiche, supposons qu’il en soit ainsi, donc 1) que l’homme soit capable de tout démontrer et 2) qu’il ne soit rien de plus qu’un cerveau, modélisable par une machine de Türing sans perte de généralité.
Et ce que va réfuter Gödel par la démonstration ce sont ces 2 points : Non l’homme n’est pas capable de tout démontrer, car il existe des propositions vraies mais indémontrables, Non l’homme n’est pas qu’un cerveau, puisqu’il est capable de décider de propositions indécidables pour une machine, et peu importe le degré de complexité de la machine. (ce degré de complexité sera toujours fini)
Mais je vous propose une formulation plus claire et rigoureuse de l’irréductibilité de l’esprit au cerveau, et je vous renvoie à la discussion sur « l’esprit et le cerveau »:
1) Le cerveau est isomorphe à une machine de Türing (ce n’est jamais rien de plus qu’une machine programmable organisée en réseaux et processus neuronaux)
2) L’esprit logico-mathématique peut établir la vérité de certaines propositions qui pour une machine de Türing sont indécidables
3) Donc l’esprit logico-mathématique n’est pas isomorphe à une machine de Türing et par conséquent n’est pas
isomorphe au cerveau
4) L’esprit logico-mathématique est une partie de l’esprit humain (toutes les activités de l’esprit ne se réduisent pas seulement à la logique-mathématique)
5) Si donc une partie de l’esprit n’est pas isomorphe au cerveau, alors a fortiori la totalité de l’esprit n’est pas
isomorphe au cerveau
6) Or qu’est-ce dire que deux êtres ne sont pas isomorphes, c’est dire qu’ils n’ont pas la même forme, donc que ce sont deux entités distincts.
7) D’où l’existence de l’esprit indépendamment du cerveau
Postulat 4) "on accorde à l'esprit un nombre infini d'états possibles" : c'est très arbitraire. Qu'est-ce qui permet d'affirmer cela ?
Réponse : les mathématiques, pour un mathématicien c’est comme le nez au milieu de la figure. Le grand Professeur de mathématique Souriau s’exclamait même : «Mais, sans infini, il n'y a plus de mathématiques ! ». C’est comme si vous demandiez à un coureur du 100 mètres : « on accorde à l’homme des jambes : qu’est-ce qui permet d’affirmer cela ? » et lui de vous répondre « Eh bien sans jambes il n’y aurait pas de course du 100 mètres... » Mais là encore c’est mal formulé, formulé plus correctement : « l’esprit est capable d’intégrer le concept de l’infini dans ses démonstrations, ce qu’une machine est incapable de faire », simple constat. Et même plus : « l’esprit est capable d’étendre indéfiniment son axiomatique, ce qu’une machine est incapable de faire », un peu plus compliqué, mais toujours de l’ordre du constat.
Conclusion :
cette "démonstration" de Gödel n'en est pas une.
C'est une hypothèse parmi d'autres.
Elle n'a aucun caractère d'irréfutabilité.
Non la bonne conclusion c’est que vous êtes parti d’un simple schéma explicatif, mal formulé certes, mais que vous avez compris à contre-sens.
Si Gödel avait établi de façon ifférutable que l'esprit est indépendant du cerveau et vit sa propre vie même après la destruction du cerveau (ou avant la formation de celui-ci), ça se saurait et il n'y aurait plus de débat.
Alors d’abord précisons un point : Gödel est à la logique-mathématique ce qu’Einstein est à la physique, d’ailleurs ils étaient ensemble à Princeton et Gödel en a remontré à Einstein. Simplement pour situer le niveau. Vous allez me dire argument d’autorité : oui mais justement avant de dire que quelqu’un qui fait autorité dans sa discipline s’est trompé ou a fait preuve de légèreté, il faut d’abord se demander si soi-même on n’a pas mal compris ou si l’on n’est pas partie de sources à vocation didactique : par exemple d’un mauvais exposé de la relativité générale vous n’allez pas en conclure que la relativité générale est fausse, mais seulement que l’exposé est mauvais ou de façon plus nuancé qu’il est peut-être bon seulement à titre d’ouvrage de vulgarisation, par contre si vous voulez critiquer la relativité générale il va falloir que la critique soit à sa hauteur.
D’autre part qu’un débat continue n’est nullement la preuve que la question n’a pas été définitivement résolue, d’abord parce que le débat peut continuer à être alimenté par des gens qui ne comprennent pas et font de grossiers contre sens, et donc ça peut continuer longtemps, ensuite parce que les passions et la mauvaise foi peuvent se mêler de la partie, surtout lorsque le sujet est sensible et que les conclusions déplaisent.
Ne prenons donc pas les supputations de Gödel pour parole d'Evangile ...
(et ne tombons pas dans sa paranoia qui a entrainé sa mort)
Démonstrations et non supputations, démonstrations reposant sur ses théorèmes d’incomplétude. Quant à sa mort, qui peut prétendre à une belle mort ?
cracboum a écrit :
Qu'une substance puisse subsister hors espace-temps demande un acte de foi. Le cosmos a produit la vie et des organismes suffisamment complexes pour parvenir à l'abstraction, cela suffit pour la seule raison.
Au demeurant nous ne savons pas ce qu'est vraiment la matière.
Là vous confondez différence de degrés et différence de nature : la croissance du degré de complexité n’implique pas un changement de nature. Les ordinateurs d’aujourd’hui, avec les progrès de la miniaturisation, ont un degré de complexité bien supérieur à ceux d’il y a 30 ans, mais ce sont toujours des ordinateurs, ils ne pensent toujours pas et ils n’aiment toujours pas. Cette confusion est d’ailleurs celle des matérialistes, qui abusivement identifient une complexité croissante à un changement de nature, mais il n’y a rien de plus faux : le degré de complexité est mesurable, quantifiable alors que la nature ne l’est pas, la nature relève du saut qualitatif. On emploie d’ailleurs ce distinguo pour les actes humains : entre blesser un peu et blesser gravement vous avez une différence de degrés mais entre blesser et tuer vous avez une différence de nature, deux actes de nature différente.
Donc il est archi-faux d’affirmer, en plus gratuitement, qu’il suffit d’un certain degré de complexité pour parvenir à l’abstraction, ce n’est qu’un préjugé matérialiste réfuté en bonne et due forme par les démonstrations gödeliennes sur l’irréductibilité de l’esprit au cerveau, et ce quelque soit son degré de complexité.
Ensuite dans cette démarche viciée, il y a quelque chose de grave : c’est de dire, tout à fait gratuitement : « ce ne sont pas des vérités de raison mais des vérités de foi » alors que le bon Seb s’est évertué depuis le début à montrer que le philosophe ou l’homme de science (comme Gödel et d’autres) par la seule force de sa raison arrive à établir l’existence d’une âme immortelle, ne pouvant pas aller au-delà bien sûr. C’est grave parce que l’assise de la foi est la raison, une foi qui ne s’appuie pas sur la raison est une foi fragile et peu crédible, et en substituant la foi à la raison vous ne faites qu’obscurcir la raison et fragiliser la foi.
Je vais prendre une image : regardez une cathédrale gothique avec ses contreforts et solides assises et sa fine flèche crevant le ciel, la raison ce sont ses assises et ses fondations solidement ancrées dans la terre, et la foi c’est cette flèche qui s’élance vers le ciel. Si vous retournez la cathédrale, mettant la flèche contre terre, que va t-il se passer ? d’abord elle ne tiendra plus debout, ensuite la flèche va plier jusqu'à être complètement écrasée et brisée entre la terre et le reste de la cathédrale. Vous aurez mis la raison sans dessus-dessous et brisé la foi.
cracboum a écrit :
Les spéculations d'Aristote, comme celles qui lui font suite dans ce fil, pour intéressantes qu'elles soient, ne permettent pas d'en déduire que Dieu nous appelle à vivre de sa Vie, ni ce que deviendront les animaux et toute la création.
N’inversez pas les rôles, Aristote ne se livre pas à des spéculations gratuites, mais s’appuie sur le donner raisonnable et interpelle tous les hommes de raison, les spéculations gratuites ce sont celles sur l’âme des animaux. Si l’Eglise a fait de l’aristotélico-thomisme une référence, ce n’est pas par effet de mode et ce n’est pas non plus matière à option, il y a quelque chose d’un peu plus sérieux et un peu plus raisonnable dans tout cela...
Saint Pie X, Pascendi, No. 45: «Quand Nous prescrivons la philosophie scolastique, ce que Nous entendons surtout par là - ceci est capital - c'est la philosophie que nous a léguée le Docteur angélique. Nous déclarons que tout ce qui a été édicté à ce sujet par Notre Prédécesseur reste pleinement en vigueur, et, en tant que de besoin, Nous l'édictons à nouveau et le confirmons, et ordonnons qu'il soit par tous rigoureusement observé. Que, dans les Séminaires où on aurait pu le mettre en oubli, les évêques en imposent et en exigent l'observance : prescriptions qui s'adressent aussi aux Supérieurs des Instituts religieux. Et que les professeurs sachent bien que s'écarter de saint Thomas, surtout dans les questions métaphysiques, ne va pas sans détriment grave.»
L’Eglise bâtit la foi sur des fondations rationnelles solides et plus elle s’élève plus elle consolide ses fondations, sans quoi c’est l’effondrement. Alors après à titre personnel vous pouvez procéder autrement, et faire fi de l’aristotélico-thomisme et y substituer vos impressions, mais cela n’engage que vous, ce n’est pas la position de l’Eglise.
Pasteur avait coutume de dire : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche », alors évidemment il y a une question de niveau, mais l’Eglise en matière de raison n’a jamais fait de nivellement par le bas.
cracboum a écrit :
Plus on réfléchit à la nature de l'homme, de la vie, des lois qui régissent l'univers, plus on est abasourdi par leur complexité, plus on est conduit à l'humilité et moins on est enclin à tirer des conclusions hâtives et péremptoires.
Mais ce n’est pas la complexité qui doit vous empêcher de tirer des conclusions hâtives et péremptoire, c’est la raison, cette faculté qui fait de vous un homme. Sans la raison nous ne sommes pas conduits à l’humilité, mais à l’avilissement des bêtes.
cracboum a écrit :
La faculté supérieure de l'homme n'est pas la raison ni une substance, mais sa vacuité, c'est pourquoi enstase et extase ne font qu'un. En cela consiste la personne que l'Autre est sa "substance". En termes anthropomorphiques : la volonté de mon Père est ma nourriture. Ce n'est pas moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi.
Cette "faculté" de l'homme, qui est d'être une personne, est insaisissable et indéfinissable.
Là vous ouvrez un nouveau débat sur le bouddhisme ? Parce qu’effectivement les bouddhistes du petit véhicule nient l’existence de l’âme au nom de la vacuité, et ce n’est plus du tout chrétien, ni rationnel d’ailleurs...
et quel rapport de forme faite vous entre une babouche et une rangers ?
La babouche comme la rangers épouse la même forme, celle du pieds... Un lecteur optique n’est pas seulement capable de reconnaître une forme, mais une classe de forme, c’est pour ça par exemple qu’il peut reconnaître des écritures différentes...
Je précise que dans l'expérience citée ci-dessus, le chien a rapporté la rangers, alors qu'il ne savait pas ce qu'était "baton", "journal", "caillou" etc...
Il n'a donc pas procédé par élimination.
En revanche, il a déjà vu son maître porter des babouches, des rangers, des tennis, des mocassins ..
Mais ça prouve quoi ? ça prouve simplement qu’il est capable d’un mécanisme d’association, qu’il est capable d’associer les pieds de son maître aux chaussures qu’il a portées, ça aussi ça casse pas des manivelles, c’est parfaitement automatisable.
Il a donc intégré le concept général de "chaussure", et la reconnaissance de la forme n'a rien à voir la-dedans.
Mais non parce que le concept de chaussure ne réside pas dans la simple association pied-chaussure. Le jeune enfant qui touche au feu ressent la douleur, il fait donc l’association feu-douleur et chaque fois qu’il voit du feu il s’en tient éloigner, est-ce que cela veut dire qu’il a le concept du feu ? Bien sûr que non pour avoir le concept du feu il faudra justement qu’il se dégage de cette association et passer du feu-douleur au principe de combustion lui-même.
Mais d’ailleurs c’est bien simple, si les animaux étaient capables d’abstraire des concepts ils seraient capables des mêmes constructions que les hommes, ils auraient suivi la même évolution technologique, pour tout dire ce seraient des hommes puisque ce qui fait la nature humaine c’est son intellect abstractif. Vous savez une fois que l’homme a abstrait les concepts d’atome et de fissibilité du noyau il a été capable de construire des bombes atomiques et des centrales nucléaires, et lorsque vous regardez des castors eh bien ils construisent toujours les mêmes barrages, ils ne construisent pas des centrales nucléaires et fort heureusement