Bisdent a écrit : ↑ven. 06 nov. 2009, 13:02
Bonjour,
Pourriez-vous m'éclairer sur un point ? Je lis dans un livre traitant de l'armée romaine antique que personne, pas même les premiers chrétiens eux-mêmes, n'ont remis en cause l'esclavage. Je lis toujours dans le même livre "Les chrétiens eux-mêmes, au Bas-Empire et depuis saint Paul, ont admis cette institution et ils trouvaient qu'elle entrait dans un ordre normal".
Avez-vous des informations théologiques ou historiques (avec sources svp) concernant le positionnement des premiers chrétiens par rapport à l'esclavage. Il est évident que ce rapport devait être différent de l'heure actuelle, étant donné le contexte et les moeurs de l'époque. Les références bibliques et les références dans des documents historiques des cinq premiers siècles de notre ère (tant chez les pères de l'Eglise que chez les païens) m'intéressent.
Merci pour votre attention,
Bien à vous,
Bonjour,
La lettre à Philémon est un texte central sur la question.
A vrai dire, Paul ne soutient pas l'esclavage, pas plus qu'il n'en combat politiquement l'institution, puisque son objectif n'était pas de fonder un Etat de droit, mais de veiller à l'institution des premières communautés chrétiennes dans un monde non chrétien qui a ses lois propres (et Paul n'avait aucun pouvoir sur l'ordre socio-politique de son temps).
Chercher dans la Bible un soutien politique ou une contestation politique de l'esclavage n'a à mon avis aucun sens. Car les choses se jouent à un niveau bien plus profond. La lettre à Philémon nous en montre l'exemple rapidement. Paul parle d'un esclave nommé Onésime, qui signifie "utile". Et Paul demande de ne plus voir en Onésime un esclave utile qui a fauté et qui mérite une sanction, mais un frère bien aimé dans le Christ. La révolution, s'il y a révolution, est spirituelle : regarde celui que je t'envoie avec amour, et non avec les yeux de chair utilitariste qui réduisent l'autre à une fonction sociale bornée. A travers le Christ se fonde une véritable communauté de personnes libres et égales: reçois-le comme si c'était moi, dit Paul, c'est-à-dire non pas comme un serf, un coût ou je ne sais quoi d'autre, mais comme un frère libre à égalité dans la foi, sans distinction d'ordre social ou de hiérarchie juridique. Les premières communautés chrétiennes n'avaient pas besoin de renverser politiquement l'esclavage dans l'ordre de la chair, puisqu'ils l'avaient déjà aboli dans l'ordre du cœur et mis en pratique cette abolition par la charité.
L'accusation contre Paul et les chrétiens d'avoir soutenu l'esclavage est donc infondée. Car un fervent défenseur de l'esclavage n'aurait pas pu écrire cette lettre à Philémon. Au contraire, il aurait été demandé de punir sévèrement cet esclave en fuite, car le droit autorisait cette sanction, jusqu'à la crucifixion s'il y avait lieu. Paul fait tout l'inverse dans cette lettre.
Pour répondre à la question, le christianisme implique une conversion du regard sur autrui, conversion spirituelle aux conséquences pratiques réelles. Ceci se joue à un niveau plus profond qu'une revendication politique.
Que cette conversion du regard ait ouvert l'espace de l'abolition politique de l'esclavage plus tard dans l'histoire, c'est fort possible. Mais alors il s'agit d'une conséquence de cette conversion et de son implantation dans l'ordre social, et non d'un militantisme politique révolutionnaire.