Cinci a écrit : ↑lun. 05 août 2019, 1:44
Je partais de l'allusion à la pensée socratique et selon laquelle l'homme bon serait le sage ou le connaisseur, le mauvais l'ignorant. Et alors je disais que l'idée était transposable dans le christianisme. Cet homme bon c'est le saint. Pourquoi est-il bon ? Parce que, à la différence des autres qui sont plongés dans l'obscurité de la caverne, le saint a eu accès (suffisamment) à ce qui se trouve de l'autre côté du décors, à l'extérieur. Et c'est en cela qu'il est connaisseur. Et c'est une grâce évidemment.
Quand le pécheur n'a jamais vu Dieu, ne sait même pas s'il existe, qu'il ne sait même pas quelle voie serait la bonne (Pilate : "Qu'est-ce la vérité ?") alors le saint serait plutôt comme saint Jean qui a vu, touché, palpé, qui a expérimenté Dieu en un mot, qui a pu dialoguer avec la sainte Vierge en personne, qui a vu le diable et qui sait donc de quoi il parle. Ce n'est pas pour rien non plus qu'on ferait d'une sainte Thérèse un
docteur de l'Église.
Puis ...
Saint Paul en serait un autre ayant eu vent de choses ineffables dans son curieux transport au 3e ciel. Je parle bien sûr d'une connaissance qui libère, un savoir capital qui a la valeur d'une parole de Dieu, c'est à dire qui agit, qui est transformante, christo-conformante. Je ne vous parle pas d'une accumulation de connaissances cognitives d'ordre mentale comme on en trouverait chez le docteur Mabuse.
Pensez à Moïse qui a la grâce insigne de pouvoir échanger avec Dieu sous la tente comme on le ferait avec un ami. Une expérience qui n'est pas donnée à tout le monde ...
Mais tout ceci serait qu'une parenthèse et qui n'avait pas vocation de s'étendre sur cinq pages. Si vous ne comprenez pas ce que je dis ou si ça ne vous plaît pas alors tant pis ! Vous le verrez mieux une autre fois. Ce serait préférable que nous nous reportions sur ce qui fait le coeur de la discussion en effet.
p.s. : Chose la plus difficile au monde peut-être : écoutez ce que dit son interlocuteur et acceptez de recevoir ce qu'il dit comme étant juste ce qu'il dit et non pas autre chose. Personne n'a jamais dit qu'un saint n'aurait pas eu de lutte personnelle à livrer. François d'Assise a vécu d'authentique expérience mystique que des millions de personnes ne vivront jamais dans leur vie.
La "connaissance" de Dieu est probablement ce que certains appellent la "science" spirituelle ou mystique (je ne sais pas quel est le bon qualificatif). Je ne suis pas certain qu'elle existe réellement, et que l'idée de Socrate soit vraiment transposable dans le christianisme. Mais je sais que l'idée est très tentante. Elle a obsédé tout un courant d'ésotéristes à la fin du 19e et au 20e siècles, dont le plus érudit, René Guénon a fini par jeter l'éponge en admettant que la "science", ou la "Tradition" avait disparu dans le christianisme. Une fois le constat fait, il s'est converti au soufisme où il pensait que cette Tradition subsistait encore.
Mon avis tout personnel est que cette science ne peut tout simplement pas exister, pour une raison : la voie du christianisme est l'humilité. Or, la conscience de posséder la Science de Dieu, cette seule pensée, suffit à détruire d'un seul coup l'humilité. C'est inévitable. Pensez que vous possédez, maîtrisez la Science de Dieu. C'est fini. Vous n'êtes plus dans Dieu. Tout est à recommencer. Et l'humilité est presque impossible à atteindre. La vanité est partout, dans toutes les pensées des hommes. Impossible de chasser la vanité. Les moines eux-mêmes le disent. A la rigueur, on est vraiment humble lorsqu'on reconnaît qu'on est vaniteux. Paradoxalement. Mais il faut bien se garder d'ajouter : "comme j'ai reconnu que j'étais vaniteux, je suis enfin devenu humble". Non, ça ne marche pas. En pensant cela, la vanité s'est aussitôt royalement réinstallée au centre de l'âme, plus rutilente que jamais. Peine perdue. Alors qu'est-ce que la science, lorsqu'on achoppe sur une caillasse aussi proéminente et grossière ? Il n'y a pas de science, pas de connaissance. Rien. Le néant. Voilà la conviction que j'ai acquise.
Alors, je n'ignore pas les innombrables avis, récits, traités sur la question. Je sais qu'il existe les fameuses "trois voies". J'ai lu ce traité. C'est très beau, très bien écrit, mais ça reste complètement théorique. Personne, en réalité, ne peut dire : tiens, en ce moment, je suis dans la voie unitive, ou je suis dans la voie illuminative. Non, car sitôt que l'on dit ça, c'est comme l'humilité, on se gorge de vanité, et hop, terminé, on a déjà redévallé la pente jusqu'au commencement de la voie purgative, qu'en réalité nous ne quittons jamais vraiment. Les deux autres voies ne sont que de brèves incursions (et encore, dont on ne peut pas vraiment être certain). Je n'ignore pas non plus l'image du "château de l'âme". Grandiose récit mystique de Sainte Thérèse d'Avilla. Mais le problème, c'est que rien n'est acquis. Oui, en effet, on peut se laisser surprendre en train d'ériger ce fameux château, lequel cependant peut s'effondrer comme un château de cartes en un instant, et d'un seul coup, on se retrouve à patauger dans les marais infestés de démons, et tout est à recommencer. Et rien ne dit qu'on arrivera de sitôt à le rebâtir.
Ce qui est certain, c'est que cette science, si elle existe, ne libère pas pour autant du péché.
Une idée me gêne : Pilate serait pécheur, saint Jean serait doté de la Connaissance, comme s'il y avait une opposition entre péché et connaissance. Mais il ne me semble pas que cette opposition existe. Pilate est d'abord et surtout un inconverti. Saint Jean, lui, est converti. Là est la seule réelle différence entre eux. Mais les deux sont pécheurs ! Aussi bien l'un que l'autre. Pilate n'est pas plus pécheur que saint Jean. Et là, nous revenons au sujet de cette conversation. Encore une fois, le problème n'est pas le péché, mais la conversion.
Tous en reçoivent l'appel. Pilate aussi. Pas seulement Moïse, saint Jean, saint François d'Assise. Et je crois que Dieu s'y prend avec chacun d'une manière très différente, ce qui pourrait expliquer qu'il n'existe pas de traité, de méthode, de "science", de "connaissance" qui s'appliquent uniformément à tous. Chaque appelé fait l'objet d'un appel particulier, et donc d'une "connaissance" ou "science" particulière, pour lui seul préparée par Dieu. Ne serait-ce pas ce nom unique attribué à chaque élu dont parle l'Apocalypse ?