Pour revenir sur ce sujet, nous avons interrogé un routier du mouvement tercériste, Jean-Gilles Malliarkis. Nous ne partageons pas nécessairement tous les points de vue exprimés par ce journaliste, écrivain et auteur, mais celui-ci nous permet d'aborder la question au-delà des lieux communs et des jugements intempestifs.Il avait disparu du radar, mais au mois d'octobre dernier, l'islam radical et sa branche djhadiste ont repris du service en multipliant en France les attentats de faible ampleur, décapitant ici un enseignant, orchestrant une tuerie dans une église, abattant un prêtre ... bref, la fin de l'État islamique ne signifie pas la fin du terrorisme islamique.
Le harfang - Croyez-vous que ce phénomène soit en train de se résorber ou, au contraire, que le terrorisme au nom d"Allah soit devenu inévitable ?
Jean-Gilles Malliarkis - Le terrorisme au nom d'Allah, comme vous le définissez, peut disparaître dans les pays occidentaux, si nous nous employons à détruire ses réseaux et à éradiquer son idéologie. Je crois que le général Lecointre, chef d'état-major des armées françaises, a fort bien formulé une réponse à cette question, dans un entretien publié en 2019. Il souligne notamment que nous menons des guerres dans lesquelles on ne signe pas de paix. Les actions contre les chefs de réseau, leurs logisticiens, ont pour but d'imposer une pression, qui, si elle est complétée par des offres de nature politique pour la population, permettra d'arriver à quelque chose. La destruction pour la destruction n'a aucun sens.
Dans les autres pays, je crois difficile d'imaginer que, sur les 57 États membres de l'Organisation de la coopération islamique, aucun parti, aucun dirigeant ne chercherait plus jamais à s'emparer de l'étendard sanglant du djihadisme armé. Ceci se produira notamment pour concurrencer tel rival musulman plus pacifique, ou pour alimenter un conflit avec son voisin, éventuellement désigné pour infidèle, par exemple l'Inde pour le Pakistan, l'Arménie pour l'Azerbaïdjan, etc. N'oublions jamais à cet égard le caractère fractionné du monde de l'islam : la concurrence interne s'y révèle même plutôt efficace car elle demeure assortie d'une très forte solidarité qui s'exprime dans la pression des opinions populaires.
H - Au-delà des très médiatisés attentats, l'islam a-t-il sa place en Occident ?
JGM - Tout dépend de ce que l'on entend par "sa place". Pendant de nombreux siècles, le monde de l'islam a joué, indistinctement, le rôle de l'ennemi commun, avec certes des phases de répit.
Ainsi, après sa substitution à l'empire arabe, qui fut successivement celui des Omeyyades de Damas, puis celui des Abbassides de Bagdad, l'empire ottoman a joué le rôle de l'oppresseur pour les nations de l'Europe balkanique, celui de l'occupant dans le sud de l'Espagne et en Sicile, et celui de la menace permanente pour l'Europe centrale et danubienne. Jusqu'ici, du moins jusqu'au 11 septembre 2001, l'Amérique du Nord pensait sans doute avoir échappé à cette préoccupation. Et, il est vrai que certains pouvoirs coloniaux s'en étaient affranchis : ainsi, l'empire britannique des Indes avait mobilisé les forces islamiques contre l'hindouisme.
H - Chez certains groupes libéraux, on préconise un Vatican II musulman, une réforme libérale interne. Est-ce là une chimère ? Est-ce même souhaitable ?
JGM - On pourrait répondre ironiquement que, si un tel "Vatican II"- convoqué par quel pape de l'islam ? - entrainait les mêmes effets destructeurs sur la religion des mahométans, que ce concile en a produit pour le catholicisme, on ne pourrait, en effet, que s'en féliciter. Cette hypothèse semble en dehors du temps, une pure conjecture utopique comme les aiment nos amis libertariens. Les tendances respirables, pour nous, au sein de la pensée musulmane sont certes en principe à encourager. En littérature, le soufisme peut ainsi nous apparaître charmant. Hélas, la méconnaissance totale de l'interlocuteur oriental dont font preuve la plupart des libéraux que vous évoquez, les a surtout conduits à privilégier des rapports et des alliances avec les pires adversaires de toute forme de dialogue, en Arabie saoudite ou au Pakistan par exemple. Longtemps ces libéraux ont vu dans l'AKP et Erdogan les homologues turcs de la démocratie chrétienne ... Nous payons cher cet aveuglement.
H - Nous savons également qu'une certaine frange sioniste tente de récupérer les nationalistes et populistes en agitant le spectre de l'islam.
JGM - Ne nous trompons pas d'époque, ni de combat. Ceux que vous appelez pudiquement sionistes se savent dans le contexte actuel aux premières loges de l'agression islamiste. Tenons-nous en au réel.
En France, il y a un demi-siècle les dirigeants gauchistes de 1968 s'appelaient pour la plupart Krivine, Geismar, Cohn-Bendit, Benny Levy, Pierre Goldman, Ben Saïd, Castro, Weber, etc. Certes, tel vice-président de l'UNEF s'appelait Sauvageot. Ils étaient, à l'évidence, divisées entre eux. Et, au fil dans ans, leurs divergences se sont aggravés, mais ils étaient tous nos adversaires. Cette génération n'existe plus sinon à l'état de fossile.
Aujourd'hui, parmi les plus déterminés des adversaires de l'islamisme et de l'immigrationnisme, on trouve des gens qui s'appellent Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, Gilles-William Goldnadel, etc. Ils expriment, entre eux, des nuances et des débats tout à fait respectables. Je ne perçois donc aucun complot les unissant , et parfois il m'arrive de regretter de ne pas en voir poindre un à l'horizon. Il ne s'agit pas de nos ennemis mais de nos amis ou de nos alliés dans la défense de l'Occident.
H - L'islamisation de la société est visible, avec l'apparition de symboles comme le voile et la création de mosquées. Selon vous. malgré ce qu'en disent certains imams conciliants, y-a-t-il une volonté islamique hégémonique ?
JGM - Cela me semble consubstantiel à la version dure de l'islam lui-même. La violence, une violence sans limite, accoucheuse de l'histoire aux yeux d'Engels et de son disciple Lénine, fait déjà partie de la doctrine mahométane et de la pratique des califes. Imiter le fondateur de cette prédication, c'est imiter le chef de guerre. C'est exactement le contraire du sermon sur la montagne. On est passé trop vite sur le discours prononcé par Benoit XVI en 2006 à Ratisbonne. Il dérangeait sans doute les bonnes consciences politiquement correctes.
H - Brièvement, vous liez dans votre dernier ouvrage en date islamisme et communisme. Quels sont les parallèles à faire entre ces deux idéologies ?
JGM - Dans le petit livre "La faucille et le croissant" j'évoque surtout une alliance conjoncturelle née il y a un siècle entre ce que j'appelle le nationalisme musulman et bolchévisme, née à Bakou en 1920. Elle était d'ordre géopolitique, le komintern, ayant échoué à l'ouest, se retournait vers l'est du monde. Il y a un siècle, la convergence n'apparaissait guère. Elle s'est précisée au cours de la période de la décolonisation. Les Français en ont tâté, pendant la guerre d'Algérie, avec le Congrès de la Soumman du FLN durant l'été 1956. On retrouva l'équivalent dans de nombreux pays, jusque dans l'Indonésie de Soekarno et de son nationalisme islamisme communisme de 1957 à 1966. Un demi-siècle plus tard, les affinités idéologiques se sont développées, une fois liquidée la guerre soviétique d'Afghanistan, désastreuse pour l'URSS, et qui avait été déclenchée par un coup d'État du KGB en 1979 à Kaboul. Ce conflit servir de catalyseur à ce qui est devenu l'Organisation de la Conférence islamique regroupant, depuis lors, 57 pays.
Or, le rapprochement ne résulte pas seulement de l'anticolonialisme d'hier. Les bases de l'anti occidentalisme, commun à des régimes en apparence si différents que ceux de la Chine , de la Turquie , du Venezuela de Maduro, etc. reposent sur des discours pseudo-victimaires qu'on retrouve aussi bien dans le Coran que dans les écrits du matérialiste dialectique Karl Marx.
H - Finalement, vous qui avez été impliqué dans la cause nationaliste durant des décennies, considérez-vous que la question de l'islam est devenue prioritaire ?
JGM - A égalité avec la menace que fait peser sur nous la Chine communiste, la réponse est oui, dans l'ordre des inquiétudes immédiates.
Plus profondément, cependant, ce qui me préoccupe, plus encore que je ne pouvais le ressentir au début de mon engagement militant qui remonte en effet à 1960, je dirais que c'est la décadence de l'Occident, et celle de la France en particulier. Sans une renaissance culturelle en Europe, point de salut.
Source : Le harfang, vol 9, numéro 3, février 2021
P.S. On peut consulter la fiche wikipédia de Jean-Gilles Malliarkis. On y précisera, pour la petite histoire, comment son père, le peintre Mayo était un copain d'Albert Camus et qu'il aurait fait les décors et costumes du film de Marcel Carné, Les enfants du paradis. Un film iconique du cinéma français s'il en est un, avec Arletty. Moi, qui ai toujours adoré ce film. Amusant.