Je propose d'ouvrir ce fil de discussion pour tous ceux qui ont lu le rapport Sauvé publié le 5 octobre 2021 par la commission CIASE.
Le rapport peut se trouver ici : https://www.ciase.fr/rapport-final/
Pour les personnes qui n'ont pas lu le rapport et qui souhaitent discuter de la CIASE en général et du sujet des abus dans l'Eglise dans leur généralité, vous avez ce fil de discussion : https://www.cite-catholique.org/viewtop ... 93&t=46580
Je n'ai pas encore tout lu (j'en suis à la page 140 sur 548),mais je peux déjà vous livrer des éléments de réflexion. Je complèterai au fur et à mesure.
I) Synthèse de ce que révèle le rapport :
le rapport analyse la période de 70 ans en 3 phase distinctes : 1950-1970, 1970-1990, après 1990. Le phénomène des abus sexuels est surtout marqué sur la 1ère période, le nombre de cas rapportés diminue dans la 2ème et la 3ème pếriode pour plusieurs raisons détaillées dans le rapport (dont les deux principales sont l'effondrement des vocations et des structures accueillant les jeunes d'une part ; l'individualisation de la société d'autre part, qui a coupé la population de l'Eglise). Voir paragr 244 à 248.
le rapport pointe précisément le nombre de victimes connues, et rapproche ces chiffres avec ceux d'autres structures accueillant les jeunes. Le nombre statistiquement estimé de victimes est entre 216000 et 330000 personnes sur 70 ans. Ce nombre est à rapprocher du nombre total de personnes ayant subi des abus sexuels sur la période, estimé autour de 5,5 millions. Le rapport compare ce qui s'est passé dans l'Eglise et ce qui s'est passé dans les autres structures de la société : cercle familial, amical, l'école publique, les colonies/camps de vacances, les clubs de sport et les structures d'activités culturelles. Dans l'ordre, les milieux les plus affectés sont :
Le cercle familial (3,8% des plus de 18 ans ont subi des abus dans ce cadre)
L'Eglise (1,16%, dont 0,82% par des clercs, le reste étant perpétré par des laïcs en lien avec l'Eglise)
Les colonies/camps (0,36%)
L'école publique (0,34%)
Les clubs de sport (0,28%)
Les structures d'activités culturelles (0,17%)
le rapport évalue le nombre d'agresseurs et la typologie des enfants agressés. Il situe entre 2900 et 3200 le nombre de clercs agresseurs (2,5 à 2,8% de l'effectif sur la période considérée). Au vu du nombre de victimes, il semble établi que la plupart des agresseurs sont multi-récidivistes et que le phénomène des abus sexuels est très rarement un acte ponctuel qui ne se reproduit pas. Cela est d'ailleurs compatible avec la littérature sur la criminalité envers les enfants et les adolescents, la récidive étant une quasi-constante dans ces situations si l'agresseur n'est pas empêché.
Les victimes sont pour l'immense majorité des jeunes garçons de 10 à 13 ans (80%).
II) Les mérites du rapport :
Le travail d'introspection réalisé depuis 2 ans, à la demande de l'Eglise, dont le rapport est l'aboutissement, a l'immense mérite d'attaquer le problème des abus sexuels dans l'Eglise depuis 1950. A ce titre, la démarche est exemplaire ; et à ma connaissance, aucune organisation au monde n'a engagé une telle initiative aussi transparente sur ce sujet pour établir la vérité. L'objectif, clairement affirmé, est de faire la lumière sur ce qui s'est passé depuis 70 ans dans l'Eglise, de façon à agir pour que cela ne se reproduise plus.
le rapport définit précisément ce qu'est l'abus et en distingue 6 types : l'abus paroissial, l'abus scolaire, l'abus familial, l'abus éducatif, l'abus thérameutique et l'abus prophétique. Ces abus sont souvent liés aux 3 leviers suivants : les sacrements, la vocation, la charité à travers le service. Cette typologie aide à mieux comprendre par quels canaux sont passés les abus sur la période étudiée.
Le rapport détaille sa méthode pour parvenir à ses fins. Les outils utilisés pour mettre en évidence le phénomène des abus sexuels sont très diversifiés : statistiques, témoignages de victimes, de clercs et de personnes concernées (plus ou moins proches de l'Eglise), entretiens semi-directifs, études des archives diocésaines. Chaque outil éclaire la réalité sous un angle intéressant et permet de mieux prendre la mesure de ce qui s'est réellement passé. Ainsi, la démarche est le reflet de la constitution de la commission CIASE, à savoir un panel de personnes aux compétences diverses et complémentaires, dont l'indépendance a été renforcée par l'absence dans la commission de personnes appartenant à la hiérarchie catholique.
III) Les critiques du rapport :
Les deux principales critiques portent :
1) sur les défauts de la méthodologie (j'en pointe plusieurs ci-après)
2) sur l'interprétation des données traitées et de la formulation des facteurs explicatifs et des recommandations idéologiques proposées
1) Sur les défaut de méthodologie :
La méthodologie (comparaison des chiffres, rapprochements de données) souffrent d'approximations très discutables.
Par exemple, lorsque le rapport compare le nombre d'abus dans l'Eglise et dans les autres structures de la société, elle prend des données qui n'ont pas fait l'objet de la même rigueur que celles utilisées pour l'Eglise. Ainsi, il est probable que le rapport minimise les faits dans l'Education Nationale. Comparer les quelques statistiques que l'on a , obtenues par des études bien moins poussées que celles de la CIASE, avec celles du rapport après 2 ans d'enquête, il y a de quoi s'interroger sur ce rapprochement. D'autant qu'il existe des études internationales sur le sujet, qui placent plutôt l'Eglise dans une position plus favorable que d'autres milieux, avec proportionnellement moins de cas d'abus sexuels que dans l'école publique.
Autre approximation : l'interpolation statistique. Le rapport estime entre 216 000 et 330 000 le nombre de victimes, selon les travaux de l'INSERM qui a extrapolé statistiquement les 6000 contacts (témoignages, entretiens directs et téléphoniques, courriers) réalisés par la commission CIASE, selon la méthode des quotas. Le problème est que cette méthode statistique postule une structure de l'échantillon, et s'il est vrai que toutes les victimes ne parlent pas, les contacts pris auprès de ceux qui parlent peuvent biaiser l'échantillon, puisqu'on n'interroge pas ceux à qui il n'est rien arrivé. De plus, l'étude par questionnaire porte sur environ 28000 personnes, mais a été réalisée sur Internet. Le contrôle de la véracité de ce qui y est transmis jette le doute sur la démarche.
l'utilisation et la citation des témoignages dans le rapport ne reflète pas la réalité statistique des victimes. On a, de ce que j'ai pu lire, 1/3 de témoignages de femmes et 2/3 de témoignages d'hommes (proportion personnelle évaluée par mes soins à mon stade de lecture), alors que l'essentiel des victimes sont des hommes. L'utilisation du témoignage dans le rapport est d'ailleurs présenté de manière sensible, pour, le rapport le dit, interpeller sur les horreurs commises. Ce sentimentalisme n'a pas sa place dans un rapport qui se veut rigoureux. Si les témoignages sont essentiels pour la démarche et ont des informations précieuses à révéler pour l'étude, ils ne doivent pas être instrumentalisés à des fins sentimentalistes pour aggraver les résultats. Il existe d'ailleurs en sciences sociales des méthodologies pour analyser des contenus qualitatifs comme les témoignages. A mon stade de lecture, le rapport ne mentionne pas de telles méthodologies.
La distinction du phénomène en 3 phases (1950->1970, 1970->1990, 1990-> 2020) est artificielle est de recouvre pas du tout les profonds changements des années 60. Du coup, la période 50-70 n'est absolument pas homogène et les tumultes ante et post Concile Vatican II ne peuvent qu'amener à relativiser ce que dit le rapport sur cette période. Le rapport en parle d'ailleurs assez peu. Je vous renvoie à l'analyse du père LAGUERIE sur le sujet : https://blog.institutdubonpasteur.org/L ... ve-a-vomir (le ton est acerbe et excessif, mais l'analyse relativement juste)
2) Sur les interprétations erronées des résultats et l'idéologie sous-jacente des recommandations de la commission CIASE :
Le plus grave reproche que l'on peut faire au rapport et la commission CIASE tient aux recommandations qu'elle formule. Ces recommandations souffrent d'idéologie et ne comprennent absolument pas ce qu'est l'Eglise. Les propositions sont donc au mieux des évidences (il faut un discernement pour les séminaristes), au pire des attaques contre l'Eglise pour la réformer selon les idées du monde (on garde le secret de la confession, sauf pour les abus sexuels, la loi civile est supérieure à la loi de l'Eglise). Détails :
dans les recommandations, l'accent est porté de nombreuses fois sur la nécessité de créer des structures d'évaluation de la situation (recommandation 2, 3, 12, 13, 14, 15, 35(redondant) : créer des services dédiés, faire un bilan annuel, créer un numéro vert, dynamiser le contrôle interne, etc.)
En gros, faire de l'Eglise une bureaucratie inefficace, à l'image de notre Etat régalier glouton, au-lieu de se recentrer sur l'essentiel : l'annonce de l'Evangile. Bien évidemment qu'il faut agir, mais pas comme cela ! Un maître-mot à appliquer ici : la subsidiarité... Et ce n'est pas ce qui est proposé !
Les recommandations 23 à 27 propose une responsabilité civile de l'Eglise dans son ensemble, en plus de la responsabilité civile des personnes. Ces recommandations sont très dangereuses, car on va évaluer, et potentiellement condamner, un système de fonctionnement sur des bases floues. En fait, il n'est pas possible, juridiquement, de condamner un système, ce dernier n'étant pas un objet de droit. Les propositions vont donc se tourner vers l'attaque de la responsabilité des associations diocésaines en tant que personnes morales. Outre que ces responsabilités sont difficiles à établir (sur quelles bases?), le but réel de ces propositions n'est-il pas en réalité de faire payer financièrement quelqu'un, là où l'agresseur ne pourra pas payer ? Ce fut déjà le cas aux Etats Unis, où des diocèses ou des églises non catholiques ont dû indemniser à grand frais les victimes financièrement pour des faits commis par certains de leurs membres, au point parfois de faire faillite (n'est-ce pas le but non avoué?). Mais quelle est la pertinence de faire payer au sens civil toute l'Eglise pour les fautes de seulement quelques uns ? C'est à mon sens une fausse conception de la justice et un dévoiement de ce que dit Saint Paul en 1 Cor XII,26... La proposition de justice réparative proposée reste assez tournée vers l'indemnisation des victimes. L'Eglise n'a pas attendu ce rapport pour accueillir les victimes dans toute leur dimension humaine, pas seulement financière...
La recommandation 36 est hors sujet et idéologique. En quoi mettre davantage de femmes dans les structures décisionnelles de l'Eglise va-t-il aider à lutter contre les abus sexuels ? Cette recommandation méconnaît gravement ce qu'est l'Eglise sur plusieurs points :
a) Les femmes sont déjà très présentes dans l'Eglise. De fait, sans forcément avoir de reconnaissance officielle, elles ont un pouvoir décisionnel.
b) La hiérarchie de l'Eglise n'est pas une structure d'ascension du pouvoir (ou ne devrait pas l'être, nous savons que même dans l'Eglise, il y a des dysfonctionnement sur ce point). Etre dans la hiérarchie de l'Eglise, c'est servir, non exercer un pouvoir. Donc revendiquer plus de pouvoir aux femmes, comme le font les féministes dans la société civile, n'est-ce pas une volonté de transformer la notion de service en lutte de pouvoir ? Pourquoi vouloir officialiser une reconnaissance de type hiérarchique pour des personnes qui donnent de leur temps à l'Eglise, si ce n'est semer le trouble ?
La recommandation 36 me semble donc à mon sens l'antichambre vers le sacerdoce féminin, réclamé par les ennemis de l'Eglise, pour mieux la détruire de l'intérieur.
Idem pour le paragraphe 2 de la recommandation 4 : en quoi changer la discipline du célibat dans l'Eglise répond-elle à l'objectif ? En rien, c'est hors sujet et idéologiquement progressiste. Mais bon, dans l'ensemble du rapport, ça sème un vent de progressisme...
Le rapport a l'audace de réclamer une révision du droit de l'Eglise (recommandations 9, 10, 11, 34, 37 et les scandaleuses n°8 et n°43). Ces recommandations veulent changer le vocabulaire de l'Eglise, et donc son discours sur le péché et la morale sexuelle. Selon le rapport, la fixation de l'Eglise sur la morale sexuelle serait contre-productif pour lutter contre les abus (sic!). On constate d'ailleurs que le rapport veut mettre les droits de la victime à la première place, quitte à changer le catéchisme. On peut répondre à cela que l'Eglise a toujours eu pour les personnes une profonde attention. Elle a toujours distingué le pécheur de son péché, à l'image du Christ. La recommandation 10 est donc au mieux inutile, au pire instrumentalise la victime pour accuser l'Eglise et la faire payer,ce qui est scandaleux.
Les propositions 8 et 43 (redondantes, comme pour insister!) préconisent de lever le secret de la confession pour des propos qui révélent des abus sexuels sur mineurs. Cela remet donc en cause le paragraphe 1467 du Catéchisme. Le fait que le rapport propose cela, en toute connaissance de cause, me semble une réelle attaque contre l'Eglise et il ne faut pas être naïf sur ce point. Car si on admet une exception au secret de la confession, on peut en légitimer d'autres et on accepte également la subordination des règles de l'Eglise aux règles de l'Etat (violant par là même le principe de laïcité, mais dans ce sens-là c'est admis...).
La formulation de cette partie de la recommandation 8 est emblématique :
L'obligation de révéler aux autorités judiciaires des faits est de droit divin ? Ah bon...Relayer, de la part des autorités de l’Église, un message clair indiquant aux confesseurs et aux fidèles que le secret de la confession ne peut déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités judiciaires et administratives les cas de violences sexuelles
infligées à un mineur ou à une personne vulnérable (cf. Recommandation n o 43).
Bref, qu'a toujours fait l'Eglise dans un tel cas ? Déjà, le confesseur doit persuader le pénitent de se dénoncer à la justice des hommes, ou de dénoncer à la justice un crime dont il a connaissance. S'il obtempère pas, il doit lui refuser l'absolution. Donc tout en préservant le secret de la confession, le confesseur permet néanmoins que justice soit faite sur le plan humain. La commission CIASE sait très bien cela. Les recommandations 8 et 43 ne sont donc pas anodines...
Rappel sur ce point : la loi civile existe et est voulue par Dieu. Dieu permet que les lois civiles existent pour que les sociétés puissent se réguler. A ce titre, l'Eglise, et donc les catholiques, doivent respecter les règles juridiques en vigueur.
Toutefois, la loi de Dieu est supérieure à la loi des hommes. Ainsi, une loi civile en contradiction avec la loi naturelle ou la loi de Dieu n'a pas à être respectée.
Un enseignement de Benoît XVI sur le sujet : https://qe.catholique.org/politique/160 ... e-comme-le
La non-collaboration à une loi inique : http://qe.catholique.org/politique/7107 ... a-des-lois
dernier point, et non des moindres : le rapport occulte complètement le caractère très spécifique des abus sexuels dans l'Eglise. Il s'agit essentiellement de victimes masculines abusées par des hommes. C'est donc de la pédérastie. Le rapport ne s'interroge pas du tout sur la montée et la tolérance des pratiques homosexuelles dans la société depuis 70 ans, pratiques qui ont touché et qui touchent toujours d'ailleurs, l'Eglise. C'est à mon sens minimiser le danger de la promotion, par des associations très militantes, des pratiques homosexuelles qui dépravent des pans entiers de la société. Ce facteur devrait être étudié en tant que principal facteur cause des abus sexuels dans l'Eglise, et hors de l'Eglise. Le rapport n'en dit mot.
Analyse à suivre....