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par Xavi » mer. 15 mai 2019, 12:57
Bonjour Cinci et Diviacus,
Je ne vois pas où vous trouvez dans cette video de la rigueur scientifique ou de l’objectivité en ce qui concerne Abraham.
Elle n’en parle que très peu, comme un nomade (ce que rien ne prouve du seul fait qu’il avait des troupeaux, et qu’il a quitté Ur pour Charan puis, de nombreuses années plus tard, Charan pour le pays de Canaan) en ignorant totalement le fait qu’il provenait de Ur qui était une capitale culturelle de haut niveau et qu’Abraham a ensuite vécu à proximité de Ebla dont le niveau culturel très élevé est aussi prouvé à une période beaucoup plus ancienne.
Dans cette video, le père Abadie résume bien le manque de rigueur de Finkelstein, beaucoup cité par Diviacus, lorsqu’il affirme que « tout ce que l’archéologie ne démontre pas, c’est de la fiction, de l’affabulation ». La réalité, évidente, c’est que l’archéologie ne retrouve qu’une minime partie de la réalité du passé antique. Un fait biblique n’est pas nécessairement fictif ou légendaire du seul fait qu’il n’a pas laissé de traces archéologiques.
La rigueur scientifique, c’est plutôt la réflexion exacte du père Tassin lorsqu’il constate que l’archéologie c’est seulement un « garde-fou » et qu’on « ne peut pas dire de l’histoire le contraire de l’archéologie ». Ici, c’est exact.
Mais, entre ce que l’archéologie peut constater et la réalité que raconte la Bible, il y a un inévitable écart. Objectivement, la Bible est, au moins, un récit antique et, pour les croyants, un témoignage authentique (à interpréter selon son mode d’expression qui peut être mythique ou poétique) qui, nécessairement du fait de l’ancienneté des faits qu’elle relate (d’une manière qui est souvent très symbolique et poétique, ce qui n’exclut pas une évocation d’un fait réel), ne peut être confirmé que très partiellement par des traces matérielles ou objectives, ce qui ne permet pas pour autant d’en déduire nécessairement et a priori une absence d’objectivité ou d’authenticité historique.
Il faut évidemment considérer, comme on le rappelle à juste titre dans la video, que « l’histoire est toujours une reconstruction ». Inévitablement, en racontant le passé on y projette ce qu’on pense du présent et de l’avenir. Tout cela reste toujours vrai encore aujourd’hui, pour un historien autant que pour un journaliste ou pour n’importe quel témoin de n’importe quel fait.
On ne peut rien en déduire pour contester la valeur historique d’un écrit biblique, mais on doit en tenir compte pour interpréter le mieux possible chaque témoignage, chaque récit.
À cet égard, c’est de manière non fondée que le père Abadie affirme a priori que, pour nous, ce qui est vrai, c’est « ce qui s’est passé réellement » alors que ce ne serait « pas du tout la manière de voir des anciens ». L’intérêt pour l’histoire réelle a toujours existé. Oublie-t-il ou ignore-t-il que, déjà à Ebla, plusieurs siècles avant Abraham, dans l’axe de circulation entre l’Égypte et l’Assyrie, on a retrouvé une bibliothèques d’archives soigneusement classées qui indique tout l’intérêt que l’on avait déjà à cette époque pour la mémoire des faits anciens ?
Ce qui a changé ce sont les informations disponibles ainsi que la manière de raconter et de transmettre les éléments utiles ou intéressants de cette histoire réelle. Les mots « pas du tout » sont donc excessifs.
Cela semble indiquer, chez le père Abadie, une difficulté à reconnaître le niveau des capacités intellectuelles qui existaient déjà durant les troisième et deuxième millénaires avant Jésus-Christ.
Par ailleurs, prétendre qu’avant l’exil « Israël n’était pas monothéiste », comme le fait le père Abadie, est ici encore une affirmation qui simplifie excessivement le niveau de la pensée théologique sans base historique réelle. Certes, l’affirmation est probablement exacte si vous considérez l’opinion commune du plus grand nombre dans le pays d’Israël, mais il n’y a pas de raison d’exclure que, parmi les gens religieux et cultivés comme Abraham, Joseph ou Moïse, il n’y avait pas de gens capables de percevoir et de comprendre, déjà à leur époque, qu’au-delà des apparences des cultes multiples, Dieu est un.
Dans cette video, le père Tassin est prudent, mais le père Abadie succombe à deux pièges classiques.
1. Oui, tout écrit de la bible a des finalités qui influencent de manière déterminante ce que l’auteur raconte. Mais, non, il ne s’en déduit pas que l’auteur ne se réfère pas à des faits réels, historiques.
Lorsque le père Abadie affirme que « La Bible n’informe pas, elle forme ». C’est exact en ce qu’il constate qu’elle « forme », mais c’est sans aucun fondement qu’il nie le fait qu’elle peut, pour réaliser ses finalités, se fonder sur les faits réels, historiques. La Bible informe de faits pertinents quant à l’action et la présence de Dieu, en même temps qu’elle forme. Elle le fait cependant à sa manière, celle de ses auteurs dans leur contexte, et selon des finalités spécifiques.
Bien sûr qu’elle nous forme et qu’elle a des finalités pédagogiques évidentes. Bien sûr qu’elle utilise largement le langage symbolique et qu’elle révèle le réel selon des finalités théologiques ou autres, mais elle est aussi une révélation qui nous informe de ce qui est vrai.
2. Oui, on peut affirmer, comme le fait encore le père Abadie, que « Moïse est le miroir de l’exilé (à Babylone) plus qu’une figure du 13ème siècle » mais, cela ne fait que rappeler le fait que tout témoignage est toujours une reconstruction du témoin selon son point de vue au moment où il témoigne. C’est nécessaire pour comprendre son témoignage, mais, non, cela ne permet en rien d’en déduire un manque d’authenticité mais impose seulement d’appliquer les règles adéquates de toute interprétation selon les caractéristiques personnelles et sociales de celui qui témoigne.
La caricature est trompeuse lorsque le père Abadie ne distingue que des minimalistes qui pensent que tout est inventé au 3ème siècle avant Jésus-Christ et des maximalistes qui prennent les textes « au pied de la lettre ». Est-ce sérieux ? Prendre un texte au pied de la lettre, c’est limiter sa compréhension à un sens littéral strict, c’est une erreur intellectuelle dite « fondamentaliste ». Mais, exclure tout fondement historique dans les textes antiques en est une autre.
Et le problème est toujours le même et illustré dans la video par l’exemple des murailles de Jéricho. On oppose une version Walt Disney interprétée au pied de la lettre, qu'on peut comprendre comme « un mur de pierres de plusieurs mètres de haut s’effondre tout seul lorsqu’un cortège tourne autour » à une constatation archéologique au centre de la ville actuelle de Jéricho où la plus ancienne trace d’une muraille détruite est datée de 1500 avant Jésus-Christ, soit bien avant l’installation du peuple hébreu en Canaan.
Ne faudrait-il pas, au moins, dans cet exemple, envisager sérieusement que l’interprétation du récit biblique peut viser un autre lieu et être exprimée de manière poétique de sorte que le mot « murailles » peut avoir un sens plus ouvert, de même que le mot « effondrement » ?
L’écoute de cette video proposée par Alexandre-Invité puis par Cinci ne permet donc guère de progresser dans la recherche historique de ce que furent les conditions de vie et de pensée de la famille d’Abraham à Ur puis à Charan.
Les dernières découvertes permettent de s’en faire une idée qui s’écarte de l’opinion répandue qui considère Abraham comme un brave nomade, incapable de percevoir un Dieu unique et de considérer la création de l’humanité comme le livre de la Genèse la présente.
Le message initial de ce fil, dans la section Histoire du forum, n’est pas de la spéculation. Il présente les conditions culturelles et religieuses objectives dans le pays de Sumer dont Abraham est issu et à son époque. Un tout autre point de vue que les légendes qu’on en fait.
Ce fil n’a pas pour objet de discuter de manière générale de l’historicité d’Abraham ou de la Genèse que beaucoup contestent, mais de réfléchir aux conditions historiques et religieuses de l’époque en cause et d’un personnage vivant à cette époque avec les caractéristiques de ce qu’en dit le récit biblique pour Abraham.
À cet égard, même un incroyant est le bienvenu car la recherche est ici strictement objective.
Mais, évitons de considérer les gens de cette époque comme étant tous des ignares ou quasi, car cela n’est pas justifié par l’état actuel des recherches archéologiques et historiques.